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Serkasti Mohamed, l’artiste poète

mardi 5 avril 2005, par Stanislas

Mohamed Serkasti est de ces poètes qui ne veulent pas cautionner la médiocrité béate, et laisser la poésie tomber dans les rets des rimailleurs sans scrupules qui se prennent pour des « Aragon », des « Beaudelaire » et des « Ben Mohamed ».

Mohamed Serkasti pense comme l’autre, pour qui le poète est un bronde enfermé dans un seul homme. Et il n’a surtout pas besoin d’être très âgé pour assumer des thèmes aussi lourds, comme le soctal, la disparition progressive des qualités humaines, l’amitié et autres. Mohamed écrit également l’amour et l’espoir, qui doivent donner un zeste de bonheur à l’être humain, aussi désespéré qu’il soit.

Notre poète a tété la poésie chez sa prime adolescence pour ne plus l’abandonner. Le déclic ? C’était la fréquentation d’un ami chanteur, à savoir Si Tayeb Ali, qui l’avait encouragé et stimulé sa muse à l’âge de 14 ans, pendant leurs pérégrinations dans les champs voisins. Cette muse a été au fil du temps, forgée par le vécu quotidien, fait des hauts et des bas, du bonheur et du deuil, du beau et du laid, de satisfaction et de déceptions ; des succès et des échecs, d’amour et de haine, etc... Et un artiste ne peut pas rester indifférent et insensible, à tout ce monde d’intrigues, de contradictions et de
soucis. Ce fils de Maâtka respire la poésie. Elle court dans ses veines. Elle fait partie de ses gestes et habitudes, on la ressent dans ses battements du cœur. Il est de ceux qui ne parlent pas pour ne rien dire. S’il parle, il dit.

Et s’il y a des paroles qui ne disent rien ou presque, certains silences disent énormément de choses ; le silence de Mohamed est très significatif.
D’aucuns pensent qu’un poète est celui qui part à la chasse de la rime, pour construire un poème tel des pièces d’un puzzle, une image initiale. Lui pense, par contre que le poète doit voir les choses différemment. Il peut surmonter ses difficultés et ses soucis, grâce à la poésie. La poésie, pense le poète, est une manière de communiquer, mais aussi de s’extérioriser et de crier son désarroi, ses peines, ses joies et sa misère . La poésie est également un moyen de dénoncer les vices et les défauts humains, qui font du tort à l’humanité. Le bonheur d’un poète, ajoute-t-il, est différent des autres, ceux qui le méritent, du moins.

On ne se fait pas prier pour croire Mohamed quand il parle. ça se voit dans ses yeux, la sincérité coule de source.
On ne voit pas forcément les choses de la même manière comme les autres quand on est poète, sinon comment expliquer que notre poète voit la poésie, comme une femme stérile qui élève un enfant et prend soin de lui ? A l’instar des gens rentables pour la société, des enseignants, des ingénieurs, des paysans, des ouvriers, des médecins et autres, un poète selon le poète, peut avec ses visions imaginatives, apporter sa pierre pour la construction des bases solides d’une nation et d’une société. Il est le guide et l’éveilleur de consciences, mais ne doit pas se fier aux apparences ». « On ne doit pas juger les gens selon leurs pieds mal chaussés, il faut savoir fixer les points de jugements. Le poète, aux yeux de Mohamed, pour emprunter l’expression célèbre du Mahatma Gandhi, celui qui doit nous faire aimer la vie, sans lui, nous en douterions ». Il ajoute tout en philosophant : « Quand on plante un arbre, il faut attendre ses fruits, sinon sa plantation serait inutile ».

Bâton de pélerin

Il y a des moments où on sent le temps s’arrêter, et écouter des paroles mielleuses, pas comme les autres. Le temps n’aurait pas écouté tout ce qu’on dit, mais a ses propres choix. Il aurait par contre volontiers marqué un pause, pour écouter ces sagesses de notre poète, qui assume ses dires avec ce regard qui appuie ses propos. « Un oued en crue ne doit pas être pris pour une route. Mais une route, ne doit pas être redoutée et fuie comme un oued en crue ». Mohamed a, depuis 1989, pris son bâton de pèlerin, pour participer à toutes les joutes politiques de la région de Kabylie : A Larbaâ Nath Irathen, Tizi Ouzou, Aït Yenni, Béjaïa, et a pu décrocher le premier prix dans un concours de poésie organisé à Maâtkas, sa région natale et le 2e prix à Mechtras en 1995 entre autres.
Et rien jusque-là ne l’empêche d’écrire et de dire ce qu’il pense.

Il a par ailleurs enregistré une cassette de poésie en 1990, avec des supports musicaux réalisés par le chanteur Ahcène Naït Zaïm qui n’est pas à présenter. Malheureusement, l’album n’a pas pu être édité, en raison de l’entêtement de l’éditeur l’ayant obligé à payer sa duplication ; ce que l’auteur désapprouva et l’enregistrement sommeille encore les tiroirs de l’oubli. Puisse un jour se lèvera sur lui et le fera sortir de l’ombre. En effet, Mohamed n’est pas la première victime de quelques éditeurs malhonnêtes qui ne ménagent pas leur instinct commercial pour sucer les veines des artistes en herbe.Tant mieux si notre poète a su tirer son épingle du jeu. La seconde tentative d’édition d’une autre cassette a pu être matérialisée en 1998 avec Ahcène N’Aït Zaïm au violon, chez l’édition Nostalgie, mais, selon le poète n’a pas eu une bonne distribution, puisqu’elle est introuvable sur les étals des disquaires de Tizi Ouzou et les environs.
En fidèle fan de Lounis Aït Menguellet, Mohamed a rendu hommage à travers un poème à l’auteur de « Ammi », où il fustige les morveux qui n’hésitent pas à s’en prendre au grand poète de tous les temps, usant de leurs mesquinerie perfides.

Mais peine perdue pour eux, comme le dit le proverbe du terroir : « A ttekkredh, teslent s ungar » (s’attaquer à un frêne à l’aide d’une faucille). Dans son poème, il s’adresse aux détracteurs sans scrupules du fils d’Ighil Buammas :
Ula d win tghurredh / Tasa yellan a tt-yegzem
Tehdudredh, termumdhedh / Tefkidhed ddbab i usirem
Inanagh-d d asu tessndh / Ay yizi irsen af yizem
Ma tewwtedh deg yiwen awedh-it / Ma tessnedh ini-d khir-is
Ma ur tessnidh d acu tessnedh / A megr-ik tugaresthansis
(Nul n’est à l’abri de tes trahison / Tu t’en es pris aux âmes sensibles
Mais tu dégringoles jusqu’aux abysses / Toi qui a emmietté l’espoir
Dis, que sais-tu donc dans cette vie ? / Oh ! pauvre mouche sur un lion
Ne dois-tu pas atteindre le niveau / de celui que tu dénigres ?
Mais en refusant de dévoiler tes connaissances / Tu n’es enfin qu’une crue destructrice)
A la force des muscles des uns et les insultes des autres, Mohamed oppose la force du verbe. N’est-elle pas la plus puissante de tout ?
Et comme chaque artiste qui se respecte et qui respecte l’art et les autres, il puise son inspiration dans la nature, mais aussi dans des modèles qui ont bercé son enfance. Pour lui les modèles, sont : Lounis Aït Menguellet, Paul Eluard et Molière. Il n’omet pas d’espérer de voir revenir le sourire sur toutes les lèvres, la raison et la paix.

Par Salem Amrane, depechekabylie.com