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Slimane Azem : L’éternelle voix

jeudi 24 mars 2005, par Stanislas

L’ardent désir de quitter le village - symbole de misère - qui torturait la jeunesse d’antan n’avait pas épargné cet enfant qui deviendra, plus tard, un monument incontestable de la chanson kabyle.

L’ardent désir de quitter le village - symbole de misère - qui torturait la jeunesse d’antan n’avait pas épargné cet enfant qui deviendra, plus tard, un monument incontestable de la chanson kabyle.

Après avoir été accusé, à tort, de connivence avec l’armée française, et ce, pour l’unique raison d’avoir chanté dans la caserne où il était mobilisé, il sera traqué, de renouveau par cette même force impérialiste pour ses chants patriotiques qui définissaient sans commentaire, la position nationaliste d’un chanteur pourchassé tout le long de son vivant.
Né le 19 septembre 1918 à Agouni Gueghrane (Tizi Ouzou), feu Slimane Azem, comme tous ses semblables, nés sous l’occupation française et dans un sol aride et rocailleux de la Kabylie, n’avait comme choix que d’exercer le métier de berger, qui consistait à garder les quelques têtes de bétail dans les champs avoisinants de Tadert.

L’ardent désir de quitter le village - symbole de misère - qui torturait la jeunesse d’antan n’avait pas épargné cet enfant qui deviendra, plus tard un monument incontestable de la chanson kabyle.
En 1936, il n’avait que 18 ans lorsqu’il foula le sol français, 1937, il s’installe à Longwy (Meurthe et Moselle) avec son frère, Ouali. Tous les deux vivent ensemble et travaillent à l’usine.
L’amour incandescent qu’il portait dans son tréfonds pour la musique s’explique par les multiples soirées qu’il donne dans les cafés arabes pour les émigrés - Kabyles - qui viennent en masse écouter l’un des leurs chanter leurs déboires et souffrances.
Sa rencontre avec le regrettable artiste arabophone, Mohamed El Kamal, aura son pesant d’or dans la vie artistique, de Slimane Azem qui venait de prendre de l’ampleur aux côtés de ce géant avec lequel il organise d’interminables soirées dans les différentes villes de France. En effet, ce fut la consécration définitive pour la chanson.

Sa première chanson enregistrée en 1948, A moh a Moh ekker ma tedudh anruh, nous renseigne sur la situation pénible où l’émmigré souvent s’est enlisé. Dans un couplet, il disait :

Anay ya Sidi rebbi
A yahni ay amaâ zuz
Temz iw truh d akurfi
Deg mitro daxel uderbuz
Lpari tehkem felli
Waqila tesaâ lahruz
La lucidité de Slimane Azem réside dans la force intransigeante du verbe qu’il avait bien su manier avec sa clairvoyance avérée. Ses mélodies très élaborées et assez sensibles ajoutaient de la dose aux émotions d’une âme qui avait tant souffert d’un exil forcé.
D’awhd d avarani
D itmura n meden
Alwahch I mhani
M drebbi igraden

Sa poésie assez raffinée et appréciée de tous les Kabyles, le classait comme le plus grand poète de son temps. Ses sketchs bourrés de sens et d’humour lui donnaient le titre d’un grand fabuliste, d’un homme de culture attaché à ses coutumes et traditions qu’il n’avait jamais cessées de sauvegarder et de défendre. En 1956, l’année ou la guerre d’Algérie devenait intensive et surtout en Kabylie, Slimane Azem n’avait pas pu rester indifférent devant les abus criminels de l’occupant.
La célèbre chanson Effegh ay ajradh tamourthiou en disait trop.

Ay ajradh tchidh t murt
Wah magh achu d esbaâ
T chidh alhab t arnidh alim
T khtiridh d il michaâ
Khas oughalid taskourt
Takfa idi l’imhibaâ

Cette œuvre immortelle lui avait causé quelques problèmes avec les autorités françaises. Son activisme au sain de la fédération de France a été relaté par le rescapé des condamnés à mort de la guerre d’Algérie, Ali Zamoum dans son livre Tamurth Imazighan (Mémoires d’un survivant 1940-1962). Plus de 200 chansons ont été éditées par ce monument pendant une carrière de 40 ans au service de son peuple et de l’Algérie qu’il a su bien chanter.
Loin des siens et de son pays qu’il a bien adulés, Slimane Azem a rendu l’âme le 28 janvier 1983 dans sa maison à Moissac. Son legs culturel, à ce jour marche comme s’écoule l’eau d’une vasque et reste éternel dans le vaste patrimoine culturel berbère.

Sa tombe se trouve, à ce jour au cimetière de Moissac, qui sait ? Peut-être, feu El Hasnaoui a pu lui limiter un tant soit peu la solitude de l’exil qu’il a bien clamée. Feu Matoub Lounes avait raison d’avoir qualifié l’Algérie d’ogresse qui dévore et qui renie ses enfants.

Ali Khalfa, www.depechekabylie.com