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Un travail de Titan pour la sonde Huygens

vendredi 14 janvier 2005, par Hassiba

Mission-suicide sur la lune de Saturne pour étudier son atmosphère.

Vers 10 heures (de Paris) ce matin, la sonde Huygens, de l’Agence spatiale européenne, se réveille d’un sommeil de 22 jours. Pour la sortir de sa léthargie, depuis son largage par la sonde Cassini le 24 décembre 2004, les ingénieurs ont prévu trois sonneries. Pas question de risquer une panne d’oreiller, l’occasion d’explorer la lune de Saturne est aussi rare que belle. Et pas un instant à perdre durant la descente-suicide.

Bouclier.
D’abord, il faut survivre. Encaisser les seize g du choc de la rentrée dans l’atmosphère. Puis supporter plus de 1 500° ­ dus au frottement ­, grâce au bouclier thermique. De quoi le freiner jusqu’à 1 400 km/h, à 170 km d’altitude. L’engin déploie alors son premier parachute puis le parachute principal pour ralentir jusqu’à moins de 350 km/h. Une phase plus délicate que prévu, Cassini a découvert ­ lors de son survol du 26 octobre ­ des vents de plus de 600 km/h sévissant à cette altitude.

Si tout se passe bien, Huygens largue son bouclier thermique et entame alors sa véritable mission : étudier l’atmosphère et envoyer ses résultats à la sonde Cassini, éloignée de 72 000 km, qui doit les relayer vers la Terre. Mesurer la température du fond de l’air, aspirer des particules de poussières pour en analyser la composition chimique après les avoir chauffées dans un petit four, prendre des clichés d’une atmosphère parcourue de nuages de méthane, peut-être d’éclairs, mesurer ses propriétés électriques, enregistrer le son ambiant. Lors de l’approche finale, un sonar titillera le sol, afin d’en établir la texture. Toute une batterie d’instruments, au total 6 expériences dont 5 à participation française financées par le Cnes, pour répondre aux multiples questions que les observations rapides de Voyager, en 1980, ont soulevées.

Evolution.
L’enjeu, ont argumenté les scientifiques pour obtenir les 360 millions d’euros que coûte cette sonde de 320 kg : l’atmosphère de Titan est la plus proche connue de celle de la Terre primitive. Beaucoup d’azote, du méthane à gogo, des éclairs d’orage, des molécules organiques... A l’exception du froid glacial (-200 °C en altitude, -180 à la surface) qui y règne, la mixture chimique ressemble fort à celle qui devait régner ici, il y a 4 milliards d’années, lorsque l’évolution prébiotique a fabriqué en grande quantité les macromolécules organiques, les « briques de la vie ». Sous l’effet des rayons UV du Soleil, mais aussi des rayons cosmiques ou des électrons projetés sur Titan par la magnétosphère de Saturne, des molécules se brisent, déclenchant des réactions chimiques. Déjà, une vingtaine de composés organiques (comprenant du carbone) ont été identifiés. Ethane, acétylène, benzène, propane, acide cyanhydrique... de quoi fabriquer d’autres molécules, bien plus complexes, comme les acides aminés à partir desquels se forment les protéines ou l’ADN. Les astrochimistes espèrent bien les découvrir avec Huygens. Et dévoiler l’un des mystères principaux de la lune saturnienne : d’où vient le méthane qui abonde dans son atmosphère ?

Des calculs grossiers estiment que les rayons UV doivent dissocier tout le méthane en moins de dix millions d’années. Avant l’arrivée de Cassini, les planétologues comptaient sur de grands océans de méthane, dont l’évaporation expliquerait sa présence dans l’atmosphère. Problème : Cassini n’a rien vu de ces hypothétiques océans. D’où la solution proposée par Daniel Gautier (observatoire de Paris-Meudon), l’un des promoteurs de cette mission : le méthane proviendrait du sous-sol, il y résiderait depuis la formation de Titan, par agglomération de matériaux riches en méthane et en ammoniac. Réchauffé par le frotti-frotta des effets de marées internes provoquées par l’attraction de Saturne, l’intérieur titanien abriterait, sous une couche de glace de 100 km, de l’eau liquide et dégazerait du méthane qui rejoindrait l’atmosphère via des failles. Un scénario plutôt audacieux, qui attend le renfort de données plus solides pour convaincre les planétologues.

Surprise.
Si la chance récompense les planétologues, Huygens survivra jusqu’au sol, voire un peu après son arrivée. De la glace, un roc, un lac de méthane... la nature même de la surface sur laquelle a pu se poser l’engin sera une surprise. Et toute information glanée avant de s’éteindre, un bonus scientifique précieux. Récompense d’une longue patience puisque cette mission a été proposée par les planétologues à la Nasa et l’ESA... en 1982.

Par Sylvestre HUET, www.liberation.fr