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Violences actées : de l’illusion à l’errance

mercredi 22 décembre 2004, par Hassiba

Dans la scène sociale algérienne, l’émergence de violences marque le dérèglement des matières de la vie. Davantage, les violences sont autocentrées, suicidaires et dissidentes.

L’existence opératoire, latente et/ou sublimée de formats et de pratiques de la violence, dans les contextes institutionnels, dans la famille et dans le champ scolaire, portés par les catégories les plus fragiles et les moins stables, celles de jeunesses disparates, indique la distorsion des capacités de métacommunication et d’écoute. Les violences produites dans le champ psychosocial et dans l’environnement du sport sont saisissantes par leur effet spectaculaire et l’imprégnation d’inquiétude qui l’accompagne.

Mais l’expression actée ne vaut pas, systématiquement, en significativité et en mode d’élaboration, la conflictualité ténue, les revendications tues et la violence fondamentale en chaque être. Cet axiome situe, déjà, les traverses à établir entre l’approche psychosociale, anthropologique et politique de la violence et sa caractérisation clinique et psychopathologique qui marque un dérèglement des registres de la relation. En termes diagnostics, les violences, produites ou envisagées, traduisent de graves déficits des organisations psychiques et sociales, le cloisonnement des sujets, la formation des précarités ainsi que l’opacité des règles de l’information et de la communication. La symbolique attachée aux violences est, prosaïquement, indicative de l’inexistence de systèmes de médiation.

Ce constat est d’autant plus malheureux, dans la réalité algérienne, qui souligne les limites ou l’inopérationnalité des politiques de la jeunesse et des qualifications de la demande sociale. La destructivité chez les adolescents et les jeunes adultes est souvent située comme l’indicateur d’un malaise et d’un mal à vivre. Mais davantage encore, elle signe la division des êtres, les frontières séparatrices dans la communauté sociale ou familiale et la forclusion des rêves. Pour ces raisons, la destructivité et la production violente signifient un problème de symbolisation des objets conflictuels de la vie et l’impossibilité de communiquer sur le désir, la perte de l’autre et le destin des pulsions. Il importe de clarifier le paradoxe. Les enfants et les adolescents détruisent pour ne pas se perdre, ne pas mourir. Dans certaines formes, la violence destructrice dirigée contre des univers, réels ou symboliques, sous-identifiés ou dépolarisés, est le symptôme de refoulements cumulés, de privations insondables et de pressions à l’appartenance.

De nombreuses catégories de la jeunesse sont en perte d’articulation de leur identité sociologique, exurbanisés, désocialisés. L’élaboration de nouvelles filiations et de nouvelles socialités dans l’attachement aux clubs sportifs ou aux groupes marginaux désigne une forme de reconstruction, de dissidence affective, d’esthétisation publique et de consécration exogène. La formulation du manque à être dans la négation des règles et des contextes de la normalité contient le sens à accorder au démembrement des solidarités dans la famille, dans les fonctions institutionnelles et dans le discours politique. Les jeunes entendent ce rejet. Ils recherchent, alors, de nouvelles cohérences psychosociales et émotionnelles dans des loyautés intransitives ou régressives et dans les entours de la mort.

Fondamentalement, il n’existe pas encore de système d’écoute capable d’introduire les demandes, massives, d’accompagnement des transformations et des migrations internes chez de nombreux jeunes. Cet empêchement concerne toutes les instances en charge d’inventer et d’accompagner le devenir des enfants et des adolescents. De fait, les déviances et les systèmes d’agression notamment à l’adolescence concernent une rupture de correspondance entre les réseaux internes des sujets et les contenus de la réalité. Les adolescents idéalisent la transgression et les formats de violences qui inscrivent l’illusion d’unité, de grégarité défensive, structurale et narcissique. La socialité marginale des jeunes destructeurs conforte, précisément, une puissance de sidération, dans une dramatique spectaculaire nettement médiatisée, où le rapport de force devient insignifiant et aléatoire.

Les violences produites dans l’environnement des pratiques sportives et du spectacle public expriment le démembrement des segments de la société et l’émergence d’une culture réfractaire qui problématise les catégories sociales entières, les territoires identitaires ainsi que la définition des références de droit et d’autorité. Les sociodépendances articulées à l’univers du sport signalent et légitiment des souffrances élaborées en d’autres lieux de la vie et appelées de compulsions répétitives comme une geste autiste. Le développement des violences en Algérie, dramatiquement dans les contextes de la jeunesse, les effets directs et indirects en termes de santé, de judiciarité de la citoyenneté et de protection sociale, rend impératif le recentrage des systèmes de lecture et de qualification des risques de désocialisation et de fragmentation des structures sociales. De nombreux secteurs institutionnels, psychosociaux et législatifs sont concernés par les réparations à investir et par un imaginaire politique de la société capable de générer des dispositifs de prévention et de contention des déconstructions sociales et humaines.

Par Mourad Merdaci , El Watan