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Y.Hemdane :"Il ne faut pas sous-estimer le risque de tsunami sur la côte algérienne"

mardi 18 janvier 2005, par Hassiba

Le séisme de magnitude 9 survenu le 26 décembre 2004 au large de l’île indonésienne de Sumatra et suivi de raz-de-marée dévastateurs sur les côtes des pays riverains de l’océan Indien a fait au moins 157 705 morts, selon un bilan provisoire établi au 15 janvier.

On ne peut s’empêcher de penser au phénomène naturel très bizarre qui a été observé sur le littoral algérois, lors du séisme du 21 mai 2003 qui a touché la région d’Alger. La mer s’était retirée d’environ 300 mètres, pour revenir ensuite au-dessus de sa position initiale !

Les Algériens qui ont observé ce phénomène de « fin du monde », sans précédent, notamment les pêcheurs, étaient restés perplexes. Une vague extraordinaire générée depuis le littoral de Boumerdès s’est propagée en direction de la rive nord de la Méditerranée, vers les côtes espagnoles où elle a provoqué des dégâts considérables au large (grands fonds). Si la mer n’est pas revenue à sa position initiale sur la côte de Boumerdès, c’est, disent les spécialistes, à cause du soulèvement tectonique d’environ 1 mètre qui a généré cette nouvelle plage.

S’agissait-il d’un tsunami ?
Nous avons posé la question à Yacine Hemdane, chercheur en dynamique côtière et en environnement littoral et marin, à Dunkerque, France.

Tout d’abord, comment peut-on définir un tsunami ?
Y.H : Les vagues que nous voyons régulièrement, ont une période (T) « durée d’une seule vague » oscillant généralement entre 5 et 30 secondes. Quand les périodes des vagues dépassent les 25 secondes, on parle de vagues d’infragravité. Mais quand les ondes ont une période dépassant les minutes, 30 minutes par exemple, là on parle de tsunami (raz-de-marée). Une vague de tsunami est une onde de type (lente) et de faible amplitude et presque indécelable au large par les bateaux.

Cependant, à son approche du littoral, les vagues du tsunami, plus précisément, le creux de la vague du tsunami commence à sentir les petits fonds et ce sont ces petites profondeurs proches de la côte qui vont exercer un effet de frottement et font augmenter de façon gigantesque les hauteurs de ces vagues atteignant parfois les 30 mètres de hauteur. Ces tsunamis sont générés par les séismes en mer, les chutes d’astéroïdes en mer et les glissements des fonds marins (éboulements). Les vagues des tsunamis sont dévastatrices sans omettre aussi les vagues événementielles des tempêtes et les vagues scélérates.

Le littoral algérien est-il exposé au risque de tsunami ?
Le risque zéro n’existe pas et le risque n’est pas la catastrophe, c’est plutôt l’attente de la catastrophe. Quant à notre pays, je tiens à répondre à certains confrères et décideurs qui « rassurent » en excluant qu’un tsunami dévastateur soit généré chez nous parce que tout simplement, selon eux, nous ne pouvons pas connaître des séismes aussi catastrophiques que celui de Sumatra, donc nous excluons ces phénomènes chez nous.

Je pense que cette vision est incohérente et que c’est une conception uni-disciplinaire qui n’inclut pas tous les agents environnementaux et je vais m’expliquer. Seules la pluridisciplinarité et une vision intégrée pourraient nous aider à mieux comprendre le milieu marin, cet environnement très complexe que les scientifiques ne commencent à comprendre que maintenant. Avant d’exclure les Tsunami dévastateurs en Algérie, il faut tout d’abord voir l’histoire de notre pays qui a connu des tsunamis dévastateurs dans le passé.

Je cite le tsunami qui a inondé une partie de la ville d’Alger en 1365 et celui qui a marqué la région de Jijel en 1856, sans oublier le tsunami généré lors du séisme du 21 mai 2003 et qui, heureusement, a été anéanti parce que sa direction était vers la rive Nord de la Méditerranée et son amplitude a été amortie grâce aux grands fonds avant d’arriver aux côtes espagnoles. Nous ne pouvons peut être pas connaître un séisme marin semblable à celui de Sumatra mais je peux avancer que vu l’état de nos côtes, même un tsunami beaucoup plus faible que celui de Sumatra serait catastrophique pour notre pays. Plus précisément, nos côtes ne sont pas en mesure de minimiser les conséquences de ces vagues tueuses parce que plusieurs zones côtières dans notre pays sont devenues plus basses que le niveau de la mer à cause de la destruction flagrante de notre littoral, du vol de sable côtier et de la destruction des dunes littorales qui sont censées mettre l’arrière-pays à l’abri des vagues événementielles des tempêtes et des tsunamis. Donc, ceux qui ont exclu des tsunamis catastrophiques en Algérie, je pense qu’ils n’ont pas pris en considération l’état de notre littoral et le paramètre incontournable qui est « l’inondabilité » de nos côtes.

Que faut-il faire alors ?
Je pense que le fait d’admettre que le risque de ces vagues tueuses existe chez nous et que notre littoral est en continuelle destruction, c’est déjà un plus, car jusqu’à présent, on nous prend pour des « alarmistes » quand on prévient.

Je tiens à rassurer la population que la vitesse de propagation d’une vague de tsunami est de l’ordre de 700 km/h ce qui est relativement lent car si on détecte les vagues du tsunami à environ 170 km au large de la côte, on aura environ 15 minutes devant nous avant que la première vague du tsunami déferle sur la côte.

Mais pour ce faire, il faut absolument que notre pays s’investisse avec des partenaires méditerranéens pour la surveillance de ces vagues au large et préparer la population à ces risques et inclure des instructions les concernant dans des accessoires domestiques qui sont à la portée de la plupart de la population comme les annuaires, les factures de paiement et même dans des emballages de produits de consommation, en plus de l’école, car l’enfant algérien doit et a le droit de connaître les risques naturels qui existent dans son pays pour mieux s’en accommoder. Cette idée de penser à mettre des instructions concernant les risques majeurs sur des produits à la portée du citoyen paraît bizarre, mais je pense que cela nous aidera pour sauver des vies humaines et cela ne demande qu’une volonté de la part de tout le monde.

Par M’hamed Rebah, La Nouvelle République