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Yasmina Khadra :« Je ne suis pas un écrivain de l’urgence... »

dimanche 15 mai 2005, par Hassiba

« Je ne suis nulle part chez moi que parmi les miens, dans mon pays et ce pays a besoin de moi comme il a besoin de tous ses enfants. » Ces paroles sont de Yasmina Khadra (Moulesshoul Mohamed).

Yasmina Khadra :« Je ne suis pas un écrivain de l’urgence... »

De retour du Koweït où il a reçu le prix El Fikr Oua El Adab des mains du Premier ministre koweïtien, l’écrivain algérien a fait une escale à Oran. Nous sommes allés le trouver chez lui. L’homme rentre au pays après une tournée mondiale de quatre mois qui l’a conduit du Canada à Hong Kong en passant par 12 capitales européennes. Le temps de reprendre son souffle et de nouveau la valise cette fois pour Londres, Sydney, les îles Canaries et Singapour. C’est la preuve tangible que la littérature algérienne se porte bien contrairement aux oiseaux de mauvais augure. Entretien à chaud autour d’un thé.

Quelques mots sur la dernière distinction El Fikr Oua El Adab qui vous a été remise à Koweit City...

Je fais partie de 43 personnalités arabes honorées pour s’être illustrées dans les domaines des sciences, des arts, des lettres, des médias et de la politique pour notre contribution au raffermissement de l’image de la nation arabe en ces temps de graves malentendus.

Comment avez-vous fait pour faire entendre personnellement votre voix ou encore votre plume ?

Il était plus qu’impératif de crier plus fort que les gourous, plus fort que les canons. La tâche est effectivement difficile, mais il n’y a pas un autre choix car comment faire entendre la bonne parole dans ce charivari de bombes et de manipulations tonitruantes.

Justement que pense Yasmina Khadra de tout ce déluge ?

J’essaie de comprendre. J’essaie surtout de réfléchir d’où l’imminence de mon prochain roman.

Un roman qui parle de quoi ?

L’Attentat qui sort le 18 août prochain raconte une histoire qui se déroule au Moyen-Orient. J’ai mis toute ma foi dans cette œuvre qui suscite déjà un fort intérêt des Américains. D’ailleurs, la maison Doubleday l’a déjà acheté à un prix rarement atteint par une œuvre venue d’ailleurs.

A combien l’a-t-elle acquis ?

D’autres maisons se l’arrachent aux enchères, avant sa sortie, je n’en dis pas plus.

Et les autres romans ?

Les Hirondelles de Kaboul continue de connaître un vif succès aux USA et au pays voisin le Canada. Sorti en édition de poche, en avril dernier, le livre a été élu Livre de la semaine The Pick the Week à travers tous les Etats-Unis. Il fait partie des 16 meilleures ventes. A quoi rêvent les loups ? et les Agneaux du seigneur ainsi que Morituri refont surface. Ils sont enseignés dans plusieurs universités à travers le monde.

Yasmina Khadra est un homme heureux !

Heureux parce que mes romans marchent bien. Ils sont traduits dans 17 pays, ils seront traduits en chinois dans peu de temps. Ils se sont frayé un passage au Danemark, en Suède, en Bulgarie et en Chine. Ce qui m’honore plus, c’est que je suis l’un des rares écrivains arabes à être lu et salué par les grands noms de la littérature mondiale.

Yasmina Khadra, le géniteur du commissaire Llob, est-il prêt à donner un avis sur la littérature algérienne ?

Elle se porte bien. Beaucoup d’auteurs algériens de la nouvelle génération sont en train d’élargir leur audience de manière fantastique.

Intervenez-vous personnellement pour les soutenir à l’échelle mondiale ?

Plus d’une fois, j’ai profité des liens privilégiés qui me lient à certaines institutions et maisons d’éditions pour les proposer. Je suis fier de les soutenir. J’ai déjà fait traduire en allemand, en espagnol et en Italien quelques auteurs algériens. Non pas parce que je les aime, mais parce qu’ils le méritent. Même si, par endroits, certains sont décevants non par leur texte mais par le fait de considérations qui ne les honorent pas.

Etes-vous un écrivain de l’urgence ou prétendu comme tel ?

Je ne suis pas un écrivain de l’urgence et je ne sais pas ce que ça signifie. Je suis seulement un romancier qui essaye de donner le meilleur de lui-même. Et qui, sans soutien aucun et sans être obligé de lécher les bottes, touche des centaines et des centaines de milliers de lecteurs des cinq continents.

Vous réagissez comme un écorché. Est-il si douloureux pour vous de porter le succès ?

Sans entrer dans le détail qui fait inutilement mal, je crois qu’il est temps d’apprendre à reconnaître le mérite des autres. Certains pensent, en citant Joyce ou Kafka, accéder à leur génie. On peut très bien être grand en citant Boualem Sansal et Bachir Mefti.

Sont-ils enrichissants ?

Certainement, Boualem Sansal est l’écrivain que j’admire le plus pour sa verve et son talent, je vous réponds également par une anecdote : Hervé Bourge très content de l’Année de l’Algérie en France me demande mon avis sur celle-ci, en marge d’une conférence conjointe organisée à l’université d’Amsterdam, je lui rétorque : « Vous avez passé votre temps à honorer les morts pour mieux enterrer les vivants. »

Pourriez-vous nous dire plus que ce que vous avez dit à l’ex-président de l’Année de l’Algérie en France ?

Dire que la littérature algérienne s’est arrêtée à Mohammed Dib et Kateb Yacine, c’est traiter ces deux grands messieurs de lettres d’incapables d’inspirer les nouvelles générations. L’Algérie est toujours vivante. Ses rêves et ses espoirs demeurent intacts. Et nous sommes là pour les nourrir jour et nuit car le seul avenir pour un Algérien, c’est l’Algérie.

Vous reconnaissez que nos écrivains de la nouvelle génération ont repris de fort belle manière le flambeau ?

Ils pètent le feu. Ce sont des torches itinérantes qui portent la littérature avec constance et brio. Je crois en eux. Que ceux qui les minimisent ou les condamnent se taisent. La voix de ces derniers ne porte pas plus loin que le bout de leur nez. Car jamais les lettres algériennes n’ont si bien brillé parmi les étoiles qu’en ces temps de monstrueuses infortunes.

Estimez-vous qu’on n’en fait pas assez dans la propagation de ces œuvres de l’esprit ?

C’est dommage que l’on soit si peu informé de l’extraordinaire parcours qu’ils sont en train d’accomplir. Il n’est plus triste censure que l’exclusion. Car elle ne profite à personne et surtout pas aux espoirs de ceux qui attendent une éclaircie. Savez-vous que jusqu’à ce jour, je n’ai pas été invité par une université algérienne alors que je suis intervenu en tant qu’écrivain algérien, dans les plus prestigieuses, à travers le monde. C’est vous dire l’esprit sectaire qui règne dans certaines sphères que vous devinez.

Par Bouziane Benachou, elwatan.com