ENTRETIEN. Soufiane Djilali : « Un schisme profond s’est produit au sein du Hirak »
Par: Younès Djama 08 Juin 2020 à 13:10
- Votre avez annoncé la libération prochaine de Karim Tabbou et Samir Benlarbi, ce qui a suscité beaucoup de réactions.
Certains n’ont pas compris pourquoi c’est Monsieur Djilali qui a fait cette annonce ?
Soufiane Djilali : Dans la vie politique il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui agissent. Je vous rappelle que depuis plusieurs mois et à chaque occasion, Jil Jadid a soutenu les détenus d’opinion et a agi en faveur de leur libération. A l’occasion d’un entretien avec vous sur votre site le 14 mai dernier, j’avais lancé, une fois encore, un appel au président de la République pour qu’il libère les détenus politiques afin qu’ils puissent passer l’Aïd au sein de leur famille. J’ai réitéré cet appel dans une émission de la radio nationale de grande écoute. Joignant le geste à la parole, j’ai introduit une demande d’audience au président de la République. C’est ainsi qu’il m’a reçu le 27 mai.
L’objectif pour moi était de débloquer une crise de confiance stérile et d’aller vers l’avant. Contrairement à ce qui s’est dit, c’est moi qui ai demandé à ce que cette rencontre ne soit pas rendue publique, sachant par avance que les accusations d’instrumentalisation des prisonniers allaient fuser de toutes parts. L’essentiel était de pousser le pays vers l’apaisement et une sortie de crise consensuelle.
Le comble de l’histoire, c’est qu’à partir du lendemain, jeudi 28 mai, une campagne hystérique a été déclenchée contre Jil Jadid, au motif inventé que j’aurai nié l’existence des détenus d’opinion dans une émission de télévision étrangère. Pourtant, j’avais seulement ramené la proportion des détenus politiques à leur stricte réalité et celle-ci est déjà assez lourde en soi sans avoir à exagérer les choses. En fait, le journaliste de la chaîne Khalidji avait formulé sa question en disant que l’Algérie était un régime militaire et que toutes les prisons étaient pleines de détenus politiques. En tant que responsable politique, je ne peux me laisser manipuler par un journaliste qui défend les intérêts de son pays à notre détriment. La crédibilité des hommes politiques se mesure aussi à leur capacité à traiter des sujets aussi graves avec sérieux et sans surenchère. Les accusations de trahison du Hirak que j’ai encourues étaient injustes et infondées vu le nombre de mes déclarations personnelles soutenant nommément les détenus politiques ainsi que les innombrables communiqués du parti à ce sujet.
Sur ces entrefaites, je me suis résigné à rendre publiques les conclusions de mon entrevue avec le président de la République pour éclairer l’opinion et donner les faits. Immédiatement après, une deuxième campagne fut déclenchée, cette fois-ci pour les raisons inverses de la première. On me reproche maintenant d’avoir annoncé la libération de deux détenus.
Le plus sidérant dans l’affaire est que certains avocats ont immédiatement réagi pour condamner cette libération et verser dans le mensonge contre Jil Jadid. Ce que je peux comprendre de la part de militants passionnés qui ont besoin de l’image du héros qui se sacrifie pour leur cause, je ne peux par contre l’admettre de ces avocats. Il s’agit là d’une grave dérive morale et une atteinte à l’honneur de cette profession. Un avocat qui veut enfoncer ses clients, je crois que c’est inédit dans le monde. Cette perte de lucidité, de mesure et d’humanité est en réalité symptomatique d’une logique intéressée et implacable à la fois. On peut être avocat et politique en même temps, je l’admets mais en aucun cas, on ne doit manipuler des clients, en tant qu’avocat, pour atteindre ses propres objectifs politiques !
- Sinon, comment expliquez-vous l’argumentaire de ceux qui sont pour le maintien des détenus en prison ?
Après avoir versé des larmes de crocodile sur les prisonniers, ils refusent maintenant leur libération car ils exigent au préalable une justice indépendante et rejettent donc une intervention politique. Très bien sur le principe. Pour avoir une justice indépendante, il faut pourtant changer la Constitution, non ? Pour engager le débat sur la Constitution, il faut d’abord un dialogue politique, non ? Mais pour que celui-ci ait lieu, il faut selon eux, d’abord libérer les détenus politiques. Mais comme il n’est pas question de les libérer sans justice indépendante on se retrouve dans un cercle vicieux. Alors qu’il y a un drame humain qui se joue, et que le pays souffre de graves difficultés dues au legs de Bouteflika, ils veulent créer ainsi un monde kafkaïen pour mener au pourrissement de la situation. Et c’est là le vrai objectif stratégique d’une alliance tentaculaire et à plusieurs visages.
- Enfin, pourquoi Jil Jadid a eu la primeur de l’annonce de la libération des détenus ?
La réponse est dans le communiqué. Le président de la République est favorable à un vrai dialogue et a voulu faire passer le message de l’apaisement par le canal d’un parti qui s’est engagé sur cette voie. Autrement dit, je pense que le président Tebboune a voulu dire que le dialogue peut apporter des solutions et qu’il est préférable à la confrontation. N’est-ce pas là l’exercice fondamental de la politique ?
- Savez-vous dans quelles conditions Tabbou et Benlarbi seront-ils libérés ?
Non. Le président s’est engagé à agir dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles et légales. Je n’ai pas plus de détails.
- Certains vous reprochent d’avoir parlé uniquement de deux détenus. Pourquoi eux spécialement ? Quel est le sort réservé aux autres prisonniers du Hirak ?
Là aussi, il y a eu beaucoup de mauvaise foi. Jil Jadid a parlé de tous les détenus, comme il l’avait fait auparavant pour Lakhdar Bouregaa, Fersaoui (Abdelouhab, président de RAJ, libéré, Ndlr) et tant d’autres. C’est le président de la République qui a décidé d’agir en premier pour ces deux détenus. Lui, il connait les raisons. Quant à moi, je n’ai aucun pouvoir pour décider de qui peut bénéficier de l’élargissement. Si cela ne tenait qu’à moi, il aurait fallu tourner la page et libérer tout le monde pour reconstruire une nouvelle ère.
Enfin, dernière précision. Jil Jadid a voulu, en tant que voix politique, se joindre à tous ceux qui ont réclamé cette libération et je crois que c’est le devoir de tout parti politique engagé dans le combat pour la démocratie. Ni plus ni moins. Nous n’avons pas la prétention de dire que nous avions libéré quiconque.
Par: Younès Djama 08 Juin 2020 à 13:10
- Votre avez annoncé la libération prochaine de Karim Tabbou et Samir Benlarbi, ce qui a suscité beaucoup de réactions.
Certains n’ont pas compris pourquoi c’est Monsieur Djilali qui a fait cette annonce ?
Soufiane Djilali : Dans la vie politique il y a ceux qui parlent et il y a ceux qui agissent. Je vous rappelle que depuis plusieurs mois et à chaque occasion, Jil Jadid a soutenu les détenus d’opinion et a agi en faveur de leur libération. A l’occasion d’un entretien avec vous sur votre site le 14 mai dernier, j’avais lancé, une fois encore, un appel au président de la République pour qu’il libère les détenus politiques afin qu’ils puissent passer l’Aïd au sein de leur famille. J’ai réitéré cet appel dans une émission de la radio nationale de grande écoute. Joignant le geste à la parole, j’ai introduit une demande d’audience au président de la République. C’est ainsi qu’il m’a reçu le 27 mai.
L’objectif pour moi était de débloquer une crise de confiance stérile et d’aller vers l’avant. Contrairement à ce qui s’est dit, c’est moi qui ai demandé à ce que cette rencontre ne soit pas rendue publique, sachant par avance que les accusations d’instrumentalisation des prisonniers allaient fuser de toutes parts. L’essentiel était de pousser le pays vers l’apaisement et une sortie de crise consensuelle.
Le comble de l’histoire, c’est qu’à partir du lendemain, jeudi 28 mai, une campagne hystérique a été déclenchée contre Jil Jadid, au motif inventé que j’aurai nié l’existence des détenus d’opinion dans une émission de télévision étrangère. Pourtant, j’avais seulement ramené la proportion des détenus politiques à leur stricte réalité et celle-ci est déjà assez lourde en soi sans avoir à exagérer les choses. En fait, le journaliste de la chaîne Khalidji avait formulé sa question en disant que l’Algérie était un régime militaire et que toutes les prisons étaient pleines de détenus politiques. En tant que responsable politique, je ne peux me laisser manipuler par un journaliste qui défend les intérêts de son pays à notre détriment. La crédibilité des hommes politiques se mesure aussi à leur capacité à traiter des sujets aussi graves avec sérieux et sans surenchère. Les accusations de trahison du Hirak que j’ai encourues étaient injustes et infondées vu le nombre de mes déclarations personnelles soutenant nommément les détenus politiques ainsi que les innombrables communiqués du parti à ce sujet.
Sur ces entrefaites, je me suis résigné à rendre publiques les conclusions de mon entrevue avec le président de la République pour éclairer l’opinion et donner les faits. Immédiatement après, une deuxième campagne fut déclenchée, cette fois-ci pour les raisons inverses de la première. On me reproche maintenant d’avoir annoncé la libération de deux détenus.
Le plus sidérant dans l’affaire est que certains avocats ont immédiatement réagi pour condamner cette libération et verser dans le mensonge contre Jil Jadid. Ce que je peux comprendre de la part de militants passionnés qui ont besoin de l’image du héros qui se sacrifie pour leur cause, je ne peux par contre l’admettre de ces avocats. Il s’agit là d’une grave dérive morale et une atteinte à l’honneur de cette profession. Un avocat qui veut enfoncer ses clients, je crois que c’est inédit dans le monde. Cette perte de lucidité, de mesure et d’humanité est en réalité symptomatique d’une logique intéressée et implacable à la fois. On peut être avocat et politique en même temps, je l’admets mais en aucun cas, on ne doit manipuler des clients, en tant qu’avocat, pour atteindre ses propres objectifs politiques !
- Sinon, comment expliquez-vous l’argumentaire de ceux qui sont pour le maintien des détenus en prison ?
Après avoir versé des larmes de crocodile sur les prisonniers, ils refusent maintenant leur libération car ils exigent au préalable une justice indépendante et rejettent donc une intervention politique. Très bien sur le principe. Pour avoir une justice indépendante, il faut pourtant changer la Constitution, non ? Pour engager le débat sur la Constitution, il faut d’abord un dialogue politique, non ? Mais pour que celui-ci ait lieu, il faut selon eux, d’abord libérer les détenus politiques. Mais comme il n’est pas question de les libérer sans justice indépendante on se retrouve dans un cercle vicieux. Alors qu’il y a un drame humain qui se joue, et que le pays souffre de graves difficultés dues au legs de Bouteflika, ils veulent créer ainsi un monde kafkaïen pour mener au pourrissement de la situation. Et c’est là le vrai objectif stratégique d’une alliance tentaculaire et à plusieurs visages.
- Enfin, pourquoi Jil Jadid a eu la primeur de l’annonce de la libération des détenus ?
La réponse est dans le communiqué. Le président de la République est favorable à un vrai dialogue et a voulu faire passer le message de l’apaisement par le canal d’un parti qui s’est engagé sur cette voie. Autrement dit, je pense que le président Tebboune a voulu dire que le dialogue peut apporter des solutions et qu’il est préférable à la confrontation. N’est-ce pas là l’exercice fondamental de la politique ?
- Savez-vous dans quelles conditions Tabbou et Benlarbi seront-ils libérés ?
Non. Le président s’est engagé à agir dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles et légales. Je n’ai pas plus de détails.
- Certains vous reprochent d’avoir parlé uniquement de deux détenus. Pourquoi eux spécialement ? Quel est le sort réservé aux autres prisonniers du Hirak ?
Là aussi, il y a eu beaucoup de mauvaise foi. Jil Jadid a parlé de tous les détenus, comme il l’avait fait auparavant pour Lakhdar Bouregaa, Fersaoui (Abdelouhab, président de RAJ, libéré, Ndlr) et tant d’autres. C’est le président de la République qui a décidé d’agir en premier pour ces deux détenus. Lui, il connait les raisons. Quant à moi, je n’ai aucun pouvoir pour décider de qui peut bénéficier de l’élargissement. Si cela ne tenait qu’à moi, il aurait fallu tourner la page et libérer tout le monde pour reconstruire une nouvelle ère.
Enfin, dernière précision. Jil Jadid a voulu, en tant que voix politique, se joindre à tous ceux qui ont réclamé cette libération et je crois que c’est le devoir de tout parti politique engagé dans le combat pour la démocratie. Ni plus ni moins. Nous n’avons pas la prétention de dire que nous avions libéré quiconque.
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