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Airbus A380 : décollage imminent

mercredi 27 avril 2005, par nassim

Sauf incident technique ou conditions météorologiques défavorables, l’Airbus A380 prendra son envol mercredi 27 avril, à Toulouse. L’engouement pour ce premier décollage ­ 50 000 personnes sont attendues ­ est à la hauteur de la compétition que se livrent les deux avionneurs mondiaux Airbus et Boeing.

Après avoir ravi en 2003 la première place mondiale à son rival américain,

Airbus A380 : décollage imminent.

le groupe européen, contrôlé par EADS (80 %) et BAE Systems (20 %), s’attaque au marché des très-gros-porteurs, qu’occupe, seul depuis 1969, le Boeing 747. L’A380, plus gros avion de ligne du monde, a été commandé à ce jour par une quinzaine de compagnies, qui ont pris 154 engagements, dont 144 commandes ferme. Un chiffre proche des prévisions d’Airbus, qui table sur 150 appareils vendus à la mi-2005. Singapore Airlines, qui sera la première compagnie à mettre en service commercial le nouveau géant des airs, en juillet 2006, a déjà ouvert sur Internet un site de réservation des places pour ce premier vol payant.

Boeing est d’autant plus ulcéré de voir Airbus lui ravir le leadership sur les très-gros-porteurs qu’il avait lui-même tenté de donner un successeur à son 747... en coopération avec les Européens. Au début des années 1990, le numéro un mondial de l’aéronautique avait proposé séparément aux quatre sociétés composant alors le consortium Airbus (British Aerospace, l’allemand DASA, l’espagnol CASA et le français Aerospatiale) d’étudier en commun un très gros avion commercial (VLCT, pour Very Large Commercial Transport) de 500 à 1 000 places. Après plus de deux années d’études, le projet était abandonné, Boeing affirmant alors qu’il n’existait pas de marché.

Cependant, en 1995, Airbus décidait, dans le plus grand secret, de mener des études. Cinq ans plus tard, en décembre 2000, le constructeur européen lançait son projet d’avion géant à double pont, le futur A380. Conçu comme la superposition de deux appareils, ce programme a nécessité 10,7 milliards d’euros d’investissement, soit l’équivalent du coût du tunnel sous la Manche ; il a fait travailler 50 000 personnes, dont 6 000 ingénieurs, sur seize sites européens.

Pris de court, Boeing, tout en affirmant étudier en permanence une version allongée du 747 ­ qu’il n’a toujours pas concrétisée ­, ne ménage pas ses critiques envers l’A380. Il estime que son rival européen surestime le marché potentiel visé par ce type d’appareil. Airbus mise sur un développement des grandes plates-formes aéroportuaires de connexion (les hubs), permettant de désengorger le trafic aérien. Boeing, lui, souligne la préférence des voyageurs pour les liaisons directes "point à point" plutôt que pour celles nécessitant un transit.

Mais les critiques les plus acerbes concernent la rentabilité du projet. A la mi-avril, alors que l’A380 effectuait les premières sorties de son hangar, une étude réalisée par des universitaires américains, et diffusée par Boeing, affirmait que ce programme devrait générer une trésorerie négative importante pour son constructeur. Une thèse immédiatement réfutée par Airbus.

La préoccupation de l’avionneur européen porte plus sur la faiblesse du dollar face à l’euro, qui l’oblige à relever le seuil de rentabilité. Le point d’équilibre, qui était de 250 appareils dans les prévisions, sera nettement supérieur à 300 avions avec un euro durablement à 1,30 dollar.

Attaqué sur son secteur le plus rentable, Boeing a répliqué en portant le fer dans un des domaines les plus lucratifs d’Airbus, le créneau des long-courriers de moyenne capacité. Le constructeur a lancé, le 26 avril 2004, son 787 Dreamliner, un avion de 210 à 250 places dont la commercialisation est prévue en 2008. Boeing a remporté, lundi 25 avril, une victoire, en plaçant 14 exemplaires de 787 auprès d’Air Canada, dans le cadre d’une commande totale de 32 avions pour 6 milliards de dollars (4,7 milliards d’euros). Mardi, Air India devait à son tour décider de commander 15 Dreamliner.

Il s’agit pour le constructeur américain de reconquérir une suprématie technologique en s’engageant résolument dans l’utilisation de matériaux composites, plus légers, permettant de faire des avions moins gourmands en kérosène.

AIDES PUBLIQUES

Airbus a tenté de répliquer en décembre 2004 en annonçant le lancement d’un nouveau long-courrier, l’A350, présenté lui aussi comme plus performant. Mais il n’a pour l’instant engrangé qu’une dizaine de commandes, contre plus de 200 pour le Dreamliner. Et il reste à trouver le financement de ce projet de 4 milliards d’euros. Un sujet sur lequel Boeing est extrêmement attentif aux aides publiques dont est susceptible de bénéficier son rival.

Depuis 1992, un accord entre les Etats-Unis et l’Europe définit les subventions que chacun peut apporter à son industrie aéronautique. Dans ce cadre, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Espagne peuvent participer au tiers d’un projet en versant des aides remboursables. Or, depuis l’automne 2004, sous l’impulsion de Boeing, Washington a remis en question cet accord, ce qui gèle la situation. Soucieux de reprendre la première place mondiale, Boeing a présenté à la mi-février le 777-200LR Worldliner. Cet avion, transportant plus de 300 passagers, est présenté comme l’appareil de ligne au plus long rayon d’action jamais construit, pouvant voler pendant près de vingt heures.

Le point d’orgue de cette contre-attaque pourrait avoir lieu au Salon du Bourget, en juin : face à l’A380, qui en sera la vedette, Boeing annoncera peut-être le lancement d’une version allongée de son 747.

Par Dominique Gallois, lemonde.fr