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Darfour : la Cour pénale internationale saisie

samedi 2 avril 2005, par nassim

L’ambassadeur soudanais au Conseil de sécurité tablait visiblement sur les divisions du Conseil de sécurité. Il jubilait dans les couloirs de l’ONU lorsque, jeudi après-midi, le Conseil annonçait un nouveau délai avant de voter sur une résolution permettant de traduire les auteurs d’exactions au Darfour devant la Cour pénale internationale.

Pourtant, peu avant minuit, la résolution était adoptée à onze voix et quatre abstentions, « à l’unanimité » lâchait par erreur le président du Conseil de sécurité dans un lapsus révélateur des longues négociations qui avaient précédé au vote.

« Le Conseil de sécurité... décide de référer la situation au Darfour depuis le 1erjuillet 2002 au procureur de la Cour pénale internationale », dit la résolution. La CPI sera donc chargée de poursuivre les auteurs de meurtres, viols ou pillages dans cette région de l’ouest du Soudan où la guerre civile a fait plus de 180 000 morts ces dix-huit derniers mois. Ce vote intervient après deux mois de tractations au Conseil et entre les capitales, divisées sur l’autorité à saisir pour le jugement des criminels de guerre au Soudan. La commission d’enquête de l’ONU demandait qu’ils soient traduits devant la Cour pénale internationale. Mais les Américains, hostiles à tout ce qui pourrait légitimer l’autorité de la CPI, plaidaient pour l’établissement d’un tribunal en Tanzanie adapté de celui qui a jugé les victimes du génocide rwandais, idée jugée trop coûteuse et longue à mettre en place par la France et les pays membres du Conseil ayant ratifié la CPI.

Les plus virulents face à la situation au Darfour que le Département d’État avait qualifié de génocide, les Américains pouvaient difficilement mettre un veto à une résolution vivement recommandée par la commission d’enquête de l’ONU. Pour avoir raison de leurs résistances et obtenir qu’ils s’abstiennent sur le vote, la France avait présenté un projet de résolution exemptant de poursuites les citoyens de pays qui n’ont pas signé le traité de Rome établissant la CPI. En clair : les Américains qui pourraient être mis en cause au Soudan dans le cadre de mission de l’ONU ou de l’Union africaine n’auront pas à comparaître devant la Cour. Les États-Unis souhaitaient qu’y soient ajoutés « les anciens responsables » d’exactions, et voulaient voir préciser que les auteurs de crimes de pays n’ayant pas ratifié la CPI passeraient en justice devant leur propre juridiction. Vu les réserves d’interprétation qu’avait la France sur l’étendue de cette exemption, les Britanniques ont, dans une pirouette juridique, pris le portage de la résolution. Autre compromis : le financement des coûts ne sera pris en charge que par les États parties au statut de Rome. D’où l’abstention du Brésil, inquiété de voir la CPI affaiblie par cette résolution (les autres abstentions sont celles de l’Algérie et de la Chine). Louise Arbour, la haute commissaire aux droits de l’homme, a aussi dit avoir des « réserves » sur ces concessions. Pas plus que les humanitaires n’ont apprécié ce « chantage » selon les mots de Richard Dicker de Human Right Watch. Immédiatement, l’ambassadeur du Soudan tirait partie de ces exemptions pour jouer les victimes. « Le Conseil de sécurité vient de prouver une fois encore, lorsqu’il l’estime nécessaire, que la justice ne peut s’exercer qu’avec ces exceptions, en épargnant les forts et punissant les faibles. »

Dans l’immédiat, l’équipe américaine a insisté sur le fait que sa position sur la CPI n’avait pas changé. « Les États-Unis continuent à s’opposer fondamentalement à l’idée que la CPI puisse exercer une autorité sur les citoyens... non partie au traité de Rome », a souligné la représentante américaine Anne Patterson devant le Conseil, justifiant une simple abstention « parce que la communauté internationale doit oeuvrer de conserve afin de mettre un terme au climat d’impunité au Soudan ». Que les États-Unis n’aient pas opposé un veto à la résolution risque quand même de hérisser le poil des conservateurs américains. Pour eux, la Cour est un instrument à la disposition des pays qui voudraient régler leurs comptes arbitrairement avec Washington. Si Bill Clinton avait, en 1998, signé le traité de Rome établissant les bases de la Cour, quatre ans plus tard, l’Administration Bush y avait retiré sa signature. C’était alors John Bolton, le prochain ambassadeur américain à l’ONU, un anti-CPI assumé, qui avait signé la lettre révoquant la signature américaine. L’occasion lui avait offert, avait-il dit, « le moment le plus heureux de toutes mes années au service du gouvernement ».

Par Guillemette Faure, lefigaro.fr