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George W. Bush met Lakhdar Brahimi devant le fait accompli

lundi 31 mai 2004, par Hassiba

La CIA, la centrale des renseignements américains, et les services secrets britanniques désignent, sans l’aval des Nations unies, un de leurs hommes à Baghdad, Iyad Allaoui, un chiite laïque de 58 ans, réputé proche du Koweït et de l’Arabie Saoudite et auteur d’une tentative de coup d’Etat en 1996 pour renverser le régime de Saddam Hussein, comme Premier ministre du futur gouvernement « souverain » de l’Irak en charge de la tenue d’élections générales prévues au plus tard le 31 janvier 2005.

Les Irakiens, qui découvrent les affres de l’occupation et des sévices, ne trouvent pas cette désignation à leur goût aussi. « Quiconque s’est vendu à la CIA n’est pas apte à devenir le chef du gouvernement irakien », disent-ils. Lakhdar Brahimi, l’envoyé spécial des Nations unies, qui a mené toutes ses consultations en vue de former un gouvernement de « technocrates qui soit le fruit de consultations et non de nominations par la coalition » et sans la participation d’aucun membre de l’actuel exécutif, n’aurait pas apprécié cette « cooptation » et la manière avec laquelle la candidature d’Allaoui, neurologue et homme d’affaires parent du « délinquant » financier, Ahmed Chalabi, a été vendue par la CIA au Conseil de gouvernement, et encore moins cette politique du fait accompli alors qu’il s’apprêtait à annoncer aujourd’hui la liste complète du gouvernement à Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies.

Vraisemblablement, Washington et les partis politiques irakiens ont fait front contre lui pour ne pas perdre leurs prérogatives. Ce n’est pas la seule « confusion » à Baghdad. L’ancien ministre algérien des Affaires étrangères qui a applaudi « timidement » cette désignation découvre un second coup fourré. Paul Bremer, le proconsul américain, et les 23 membres du CIG s’apprêtent à le prendre une seconde fois au dépourvu. Contre toute attente, Allaoui, fort du soutien de Bremer, entame depuis vendredi soir ses consultations avec des responsables irakiens et américains pour former son équipe. « Nous ne pensions pas que cela se passerait ainsi », reconnaît Fred Eckhard, porte-parole du secrétaire général des Nations unies. La Maison-Blanche se défend d’avoir « doublé » Brahimi. « Les Etats-Unis n’ont sélectionné personne comme candidat », déclare la Maison-Blanche. Les analystes s’accordent à affirmer qu’Allaoui et son équipe seront des « marionnettes » aux mains de John Negroponte, le successeur de Bremer. Dans une déclaration au journal koweïtien Al-Raï Al-Aam, le Premier ministre irakien, dès le 1er juillet, annoncera ses priorités : « Contrôler la situation sécuritaire » et « améliorer les relations de l’Irak avec ses voisins ». « Je vais uvrer à améliorer les relations avec les voisins de l’Irak, en particulier le Koweït dont les liens avec l’Irak () ont été gravement endommagés en raison des politiques immorales de l’ancien régime et de son chef » Saddam Hussein, dit-il au quotidien. Brahimi, qui est favorable à la désignation d’Adnane Pachachi, membre sunnite du Conseil de gouvernement transitoire et ancien ministre irakien des Affaires étrangères dans les années 1960, au poste de président sera-t-il suivi par Bremer ?

Le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Richard Lugar, s’interroge déjà si les liens supposés entre Allaoui et la CIA ne vont pas poser de problèmes. Loin des tractations politiques qui se déroulent à Baghdad et au Conseil de sécurité de New York, les dissensions au sein des chiites, tués depuis avril dernier, se révèlent au grand jour et prennent un ton violent. Entre Moktada Sadr, le jeune chef chiite qui est à la tête d’une armée de miliciens, Armée du Mahdi, et les dirigeants politiques et religieux chiites modérés, le courant ne passe plus.

Djamel Boukrine, Le Matin