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Hamid Grine : « Chronique d’une élection pas comme les autres »

mercredi 9 juin 2004, par Hassiba

Il fallait absolument garder une trace de cette élection présidentielle 2004 et ce, pour de multiples raisons dont la plus évidente est résumée de manière éloquente par le titre du dernier livre de Hamid Grine, Chronique d’une élection pas comme les autres.

Notre désormais fin observateur des étapes les plus importantes de la vie de notre pays l’a fait comme pour souligner le caractère singulier de ce scrutin et rappeler son contexte particulièrement houleux. Une année de lutte sans merci, des positionnements, des menaces, des discours alarmistes et des appels à la rébellion, le tout dans un désordre ahurissant où l’armée est sollicitée pour écarter le danger qui mine l’Algérie.

C’est le candidat-président comme aime à le désigner le front du « Tout sauf Bouteflika » qui, évidemment, constitue le danger imminent qu’encourt l’Algérie en cas de réélection pour un second mandat. Hamid Grine restitue avec une précision déconcertante cette folle effervescence et cette terrible ambiance de « guerre » mais en prenant un malin plaisir à épingler les acteurs de cette course folle qui mène aux cimes du pouvoir et à rétablir avec un sens aigu de la dérision quelques vérités sur le fonctionnement du système non sans caricaturer au gros trait ceux qui ont été métamorphosés le temps d’une élection par l’effet enivrant et magique de l’illusion d’un certain pouvoir. L’auteur ne se laisse pas pourtant entraîner par cette envie d’en tisser une histoire tragi-comique en s’imposant avec une rigueur didactique des pauses-repères, un peu comme pour souligner ce qui relève du domaine du réel par opposition à ce qui ne peut émaner que du délire et du fantasque. Hamid Grine se livre avec succès à cet exercice périlleux. On peut, dans la foulée, lui accorder indulgence, quelques perles fantaisistes et une certaine gourmandise des anecdotes ahurissantes, quoique révélatrices d’une certaine euphorie ambiante des candidats et de leurs partisans qui étaient convaincus de la victoire du front du « Tout sauf Bouteflika ».

C’est que l’auteur n’a pas eu le recul nécessaire pour prendre une certaine distance face à l’événement, à son ambiance folle. Editer un ouvrage sur l’événement politique de l’année, l’élection présidentielle, et le mettre à la disposition des lecteurs presque au lendemain des résultats du scrutin sont une première dans les annales de l’édition en Algérie. Un fait inédit qui en fait davantage un témoignage en live de l’événement qu’un ouvrage analytique d’une élection présidentielle. On reste admiratif de l’exploit de notre confrère. Pour avoir été au cœur de l’événement, on mesure la somme de l’investissement de l’auteur, son talent et son savoir-faire journalistique. Pour avoir été témoin d’une discussion à bâtons rompus avec l’ex-Premier ministre Mouloud Hamrouche, on reste subjugué par le compte rendu qu’il restitue dans son ouvrage, l’exploitation qu’il fait de toute opportunité et ce, pour rappel, sans l’avoir surpris en train de prendre la moindre note. Du métier. Extraits. Le soir, rencontre fortuite avec Mouloud Hamrouche chez un ami commun. Il y avait beaucoup de journalistes. Costume bleu, rasé de près, sourire charmeur, le chouchou des réformateurs était au mieux de sa forme. Malgré lui, il s’est vu obligé de répondre aux questions de la presse, non sans préciser, avec humour, que c’est le week-end et qu’à ce titre on peut s’exprimer librement. Que pense-t-il de la sortie du général Lamari ? Il reprend mot à mot ses déclarations à la presse du jour : « Il y a dans les propos du chef d’état-major de l’ANP des arguments certains en direction des fonctionnaires et des juges pour se libérer des allégeances claniques. Je ne sais pas s’il est encore temps, mais c’est un bon investissement démocratique pour l’avenir. »Sourire aux lèvres, le prince des réformateurs reconnaîtra que l’invective et l’insulte ont pris le pas sur le débat d’idées. « Il y a une véritable paupérisation du débat politique. C’est une question de culture. Les dix années de guerre ont produit une culture de l’affrontement. »

Dans "Chronique d’une élection pas comme les autres", l’auteur est au fait de tout ce qui se trame autour des candidats, de tout ce qui se dit et se planifie dans les permanences et de tout ce qui s’est écrit dans la presse et ce, pour coller aux tumultes de la campagne électorale, de la fièvre du jour du scrutin et aux lendemains du séisme qu’a provoqué la victoire de l’adversaire à abattre dans le camp du front du « Tout sauf Bouteflika. » Une ambiance d’un jour d’enterrement. Tout le beau monde compte sur une intervention de l’armée parce que la fraude est massive. Hamid Grine est à l’affût, il ne rate aucun détail. « Costume noir, chemise blanche, cheveux lisses, peau lisse, verbe lisse, il mérite bien son nom : Benflis-se. On le salue, il répond aimablement, la tête visiblement ailleurs. Où ? Là où il va partir : ‘‘Aux Tagarins, nous confie un de ses proches, l’état-major a demandé à le voir, lui et Sadi. Ca va barder !’’ » On savoure le rappel pour l’histoire dont celle de l’occupation de la rue en cas de fraude !

L’auteur avertit le lecteur de sa chronique de l’élection présidentielle 2004, il l’a voulue « la plus objective possible » avant d’avouer quelques lignes après que la campagne était tellement haute en couleurs qu’il a cédé à plusieurs reprises au délicieux plaisir de croquer quelques portraits en assumant avoir raconté « avec jubilation ce qu’il a vu, entendu, lu. » Le parcours du livre est une découverte qui prend date avec la déclaration du général Lamari et des petites flèches assénées en direction du camp de ceux « qu’on appelle les démocrates ». Les démocrates exigent l’intervention de l’armée quand le vent tourne à leur défaveur mais quand le risque est écarté, l’armée est priée de regagner sa caserne. Hamid Grine ne rate pas l’occasion pour trancher en affirmant que le chef d’état-major doit bien rire de ceux qui lui mettent selon leur bon vouloir, les habits du pyromane ou du pompier. « Cut » pour une pause, celle que propose l’auteur s’insère comme dans un film en montage parallèle, histoire d’opposer des itinéraires, des portraits et d’autres événements. Une manière aussi cinématographique de procéder à un fondu enchaîné ou de couper court pour annoncer l’ouverture d’une autre séquence de ce flash-back à lire pour revivre ou découvrir l’élection présidentielle 2004.

Par Abdelkrim Tazaroute, La Tribune