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L’Asie du Sud polarise l’intérêt des grandes puissances

mercredi 12 janvier 2005, par Hassiba

La reconstruction de l’Asie du Sud demandera des milliards de dollars et prendra entre cinq et dix ans. Ces estimations sont celles de Kofi Annan.

Le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), de son côté, estime que les économies et communautés d’Asie touchées par le tsunami pourraient mettre trois ans ou plus à récupérer et qu’une aide d’urgence sera nécessaire pendant au mois neuf mois. Compte tenu de ces éléments, les Nations unies ont, jusqu’à présent, reçu 4 milliards de dollars de promesses de dons. Une somme record correspondant à l’ampleur du sinistre qui touche directement 52 Etats (les victimes appartiennent à 52 nations différentes). Pour des raisons purement humanitaires ou pour satisfaire des intérêts politiques, l’ensemble de la communauté internationale, gouvernements, ONG et opinions publiques réunis sont mobilisés. Désormais, la mondialisation, c’est aussi cela.

La globalisation se voyait beaucoup en termes économiques. La multiplication des crises, l’élargissement des missions de certaines organisations comme l’OTAN ou l’OSCE ont mis en exergue la notion de globalisation de la sécurité. La catastrophe de Tchernobyl et l’avancée du nuage radioactif jusqu’en Europe occidentale ont révélé le caractère transnational des catastrophes technologiques. Quant à la tragédie qui a frappé le Sud asiatique, elle rappelle que la nature ne connaît aucune frontière surtout quand les Etats appartenant à un même sous-système régional refusent de jeter les bases d’une coopération minimale. Cette précision faite, une solidarité étatique s’est dessinée et exprimée notamment à travers le sommet extraordinaire consacré aux conséquences du séisme du 26 décembre et rassemblant au moins 25 pays ou organisations internationales.

Sommet répondant à l’appel lancé dans l’urgence par le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono. En attendant de se transformer en actions concrètes, les promesses de ces Etats fusent. Jusqu’à présent, plus de deux milliards de dollars d’aide publique ont été promis.Cet événement a également révélé un autre phénomène touchant, celui-là, l’opinion publique internationale et les organisations non gouvernementales. A ce propos, on notera l’engagement de deux anciens présidents américains à ramasser des fonds privés ainsi que des initiatives individuelles de taille.

Parmi les derniers dons en date, citons celui du champion allemand de Formule 1, Michael Schumacher, qui a offert dix millions de dollars. En Allemagne, les dons privés s’élèvent à près de 140 millions d’euros, contre environ 45 millions en France. Ce phénomène de solidarité internationale n’est pas réellement inédit, puisque la troisième guerre du Golfe l’avait déjà révélé. Ce second événement le confirme, avec ses acquis et ses insuffisances. Parmi celles-ci, relevons qu’un quart seulement des deux millions de rescapés recensés par l’ONU a eu accès à l’aide alimentaire, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). Dans le détail, les équipes du PAM ont envoyé des rations alimentaires à 464 000 personnes vivant sur le pourtour de l’océan Indien. De nombreux obstacles rendent difficile l’acheminement des aides. Certains sont totalement indépendants de la volonté des hommes (conditions climatiques défavorables au Sri Lanka, frappé par la mousson). Certains autres sont, en revanche, liés à des considérations politiques et stratégiques.

Les Etats-Unis confirment leur influence

Comprenant également l’Inde, l’Australie et le Canada, deux Etats de la coalition apparaissent comme incontournables : les Etats-Unis et le Japon. Les Etats-Unis ont déployé des capacités humanitaires à travers leurs forces armées. Environ une vingtaine de navires et plus de 10 000 marines et marins ont été mobilisés pour cette opération, la plus importante conduite par l’armée américaine en Asie depuis la fin de la guerre du Vietnam en 1975. De plus, les Etats-Unis ont indiqué mardi qu’ils prévoyaient de doubler le nombre d’hélicoptères déployés en Asie du Sud pour apporter les secours, en le portant à environ 90. Colin Powell n’a-t-il pas affirmé que les 350 millions de dollars d’aide promis par les Etats-Unis vont « donner au monde musulman et au reste du monde l’occasion de prendre la mesure de la générosité américaine ». Mais les choses n’évoluent pas aussi vite que fusent les grandes phrases.

Arrêtons-nous sur le cas du bâtiment américain, avec à son bord 1 300 marines (la 15ème unité expéditionnaire), des tracteurs, des camions, des péniches de débarquement, du matériel de purification d’eau et des poutres pour fabriquer des abris temporaires. La mission des soldats américains a beau être humanitaire, elle n’en est pas moins politiquement délicate. Les premiers hélicoptères ont décollé le 6 janvier du USS Bonhomme Richard, un navire d’assaut amphibie, pour des opérations de secours à Medan, sur l’île indonésienne de Sumatra. Les marines espéraient envoyer un millier d’hommes sur la côte du Sri Lanka avec de l’équipement lourd pour aider à dégager les routes et construire des abris pour les réfugiés, mais l’exécution du projet a été suspendue. Malgré les moyens de débarquement du Bonhomme Richard, ce sont les hélicoptères qui font la navette pour transporter l’aide qui s’entasse dans les aéroports régionaux jusqu’aux zones les plus isolées où les rescapés les attendent.

Ainsi, après que Colombo eut révisé à la baisse sa demande d’aide, c’est finalement l’USS Mount Rushmore qui transportera un plus petit contingent de marines au Sri Lanka. Notons que cette révision à la baisse n’est pas étrangère au fait qu’une partie des zones dévastées par le tsunami se trouve dans la zone du conflit entre Colombo et les Tigres tamouls qui ont déjà accusé les militaires indiens et américains de vouloir profiter de l’occasion pour espionner les séparatistes et livrer les informations au pouvoir sri-lankais. La guérilla des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), qui lutte pour la création d’un Etat indépendant dans le nord et l’est du pays, a accusé le gouvernement de ne pas laisser passer les dons privés envoyés vers ces régions.

Du côté de l’Indonésie, la situation n’est pas très différente. Le théâtre d’opérations dans la province d’Aceh, à Sumatra, est en proie à un conflit séparatiste. Djakarta, qui restreignait l’accès des étrangers à la province, a cependant autorisé l’aide internationale après la catastrophe. Il n’en demeure pas moins que l’idée que des marines débarquent dans le plus grand pays musulman est politiquement sensible. D’autant plus sensible que des souvenirs récents et anciens alimentent l’imaginaire collectif. Les premiers concernent le fort sentiment anti-américain qui s’est développé depuis les guerres en Afghanistan et en Irak. Quant au second, il remonte aux tentatives de l’administration Eisenhower de renverser le président Sukarno dans les années 1950. A l’époque, il avait favorisé une mutinerie, à Sumatra notamment. Plus tard, Washington avait tacitement et concrètement soutenu le régime dictatorial de Suharto ainsi que la purge des communistes présumés en 1965. 500 000 personnes avaient péri. Plus tard, les Etats-Unis ont interdit les ventes militaires à l’Indonésie en 1999 (après la chute de leur allié), en réaction au massacre de 1 500 personnes dans l’ex-province indonésienne du Timor oriental. L’embargo est en vigueur. Quant au Japon, la catastrophe est apparemment une occasion inespérée pour s’imposer comme un acteur incontournable non plus en raison de sa force et de ses ambitions militaires, comme ce fut le cas du temps du Japon impérial et impérialiste, mais comme un partenaire indispensable.Indispensable pour plusieurs raisons. La première, la plus immédiate, est d’ordre financier.

Le Japon se fraie un chemin

Le Premier ministre japonais Junichiro Koizumi a promis un demi-milliard de dollars. Loin derrière la Chine (60,5 millions de dollars) qui considère la région comme sa zone d’influence. Deuxième donateur après l’Allemagne, il pourrait bien passer au premier rang si, comme l’a promis le ministre, cette somme était provisoire. Tokyo a également décidé d’envoyer 700 à 800 soldats dans les zones sinistrées, soit le plus gros contingent militaire nippon jamais déployé à l’étranger pour des opérations de secours. Mais l’atout majeur de ce pays pourrait bien être joué plus tard, avec la phase de reconstruction.

Le Japon possède des connaissances et un savoir-faire dans les systèmes de prévention des séismes ou des tsunamis très avancés. Système qui fait cruellement défaut dans l’océan Indien. Les considérations politiques sont également à l’origine des difficultés rencontrées dans l’acheminement des aides dans la Corne de l’Afrique. Sur le littoral africain, plus de 54 000 personnes ont besoin de secours immédiats en Somalie. L’ONU a donc lancé un appel à une aide de 13,1 millions de dollars. Sur place, les secours sont entravés par le manque d’infrastructures dans ce pays de la Corne de l’Afrique ravagé par plus de douze années de guerre civile. Cela n’a pas empêché que de nombreux pays y déploient leurs forces armées.

Par Louisa Aït Hamadouche, La Tribune