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L’Europe en panne sociale par la volonté des États

samedi 23 avril 2005, par Stanislas

La Constitution, selon nombre de ses adversaires, encouragerait le « dumping social » et favoriserait les délocalisations. Pourtant, ces réalités, bien qu’indéniables, sont étrangères au Traité.

La construction européenne, depuis le Marché commun en 1957 prône la libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises, libre circulation qui s’est progressivement mise en place. Les entreprises, pour conquérir un marché, produire à meilleur coût ou plus près du consommateur, ont depuis longtemps investi hors de leurs frontières. C’est ainsi que sont venues en France (particulièrement en Alsace) des entreprises allemandes et en Allemagne, quelques entreprises françaises. Ce mouvement paraissait normal jusqu’à présent, puisque, à quelques détails près, les pays d’accueil connaissaient un niveau de vie et des protections sociales identiques. Ou ont atteint un seuil social « acceptable » comme l’Espagne depuis son adhésion en 1986.

Enrayer les délocalisations

L’élargissement à l’Est a changé la donne. Dans les Pays Baltes ou en Slovaquie, un ouvrier gagne moins de 250 € par mois et les incitations fiscales (très faible impôt sur les sociétés) sont séduisantes. Or, ni les traités actuellement en vigueur ni la Constitution ne prévoient une réglementation mettant fin à ces pratiques.
Finalement, la seule possibilité d’intervenir pour enrayer les délocalisations à l’intérieur de l’Union européenne passe par la « politique de cohésion » (les transferts de fonds au profit des zones en retard de développement). Cette « politique de cohésion » est soumise à l’unanimité des États membres, au moins jusqu’à la fin 2007.
En effet, il n’est pas normal qu’un pays « racolant » les industries des autres par ses bas salaires et ses incitations fiscales perçoive en plus une prime au développement. L’Europe ne va pas lui financer ses infrastructures pour mieux accueillir les entreprises délocalisées ! Encore faut-il savoir imposer son opposition. Ce n’est certainement pas en se mettant en marge de l’Europe qu’un État aura le poids politique suffisant pour faire valoir son refus.

Ce « frein » éventuel n’agit, évidemment, que sur les délocalisations dans l’Union européenne. Les entreprises qui installent leur production en Asie échappent à tout contrôle européen. Seuls les États qui abritent les sièges de ces sociétés migrantes pourraient, s’ils le voulaient, empêcher ces pratiques. L’Europe « sociale », il faut le reconnaître, bloque aussi. Certes, la Constitution offre des avancées importantes en énumérant une foule de droits (droits de grève, consultation des syndicats, doit à l’information des travailleurs, négociations collectives, etc.) inscrits dans la Charte sociale qui sera juridiquement contraignante : aucune loi de l’Union européenne ne pourra la transgresser.

Le « social » fait peur à la Grande-Bretagne

La Constitution permet aussi dans quelques domaines des votes à la majorité qualifiée (approbation par 55 % des États membres représentant 65 % de la population de l’Union), notamment pour la prise en compte des prestations sociales dues aux travailleurs migrants ou frontaliers (lorsqu’il n’y a pas d’accord entre les États). Les États peuvent aussi à l’unanimité décider de passer au vote à la majorité qualifiée dans pratiquement tous les domaines sociaux... Mais cela reste très théorique.
En réalité, la politique sociale fait partie du « noyau dur » des souverainetés nationales. Nul ne permettra de toucher à « son » système de sécurité sociale ou à « ses » retraites. Voilà pourquoi les décisions à l’unanimité restent la règle. D’une part, parce que les pays à forte politique sociale - en premier lieu la Suède - refusent tout risque de nivellement par le bas... et, à l’inverse, la Grande-Bretagne (très en retard sur ses grands voisins) redoute les harmonisations qui alourdiraient sa compétitivité avec l’alourdissement des charges.
Enfin, la politique sociale est intimement liée à la politique fiscale. Et c’est un autre pan de souveraineté que les États ne veulent pas déléguer à l’Union européenne.

Par Jean-Claude Kiefer, DNA.fr