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L’administration américaine, le Grand Moyen-Orient et le bourbier irakien

mardi 9 novembre 2004, par Hassiba

La rallonge du budget militaire américain en Irak, l’assaut sur Falloudjah seront-ils suivis d’options militaires contre l’Iran et la Syrie avec la réélection du président Bush pour un second mandat ?

Les quatre prochaines années s’annoncent déterminantes pour un Proche-Orient devenu le théâtre d’expérimentation de la « guerre préventive », alors que les perspectives d’assouplissement de la politique américaine inconditionnellement favorable à Ariel Sharon s’amenuisent.

La victoire du président Bush va-t-elle augmenter considérablement l’influence des faucons ? « Il y a une certaine attitude à l’étranger, qui voit comme une perte de temps d’essayer de promouvoir des sociétés libres dans certaines parties du monde. Je comprends tout à fait que certains aient du mal à digérer cela et que cela puisse passer pour une folie. Tout simplement, je ne suis pas d’accord », a déclaré G. Bush lors de sa première conférence de presse le jeudi 4 novembre dernier.

Déterminé à produire des « résultats » au cours de ce second mandat, le chef de l’exécutif américain se donne visiblement un agenda très serré en matière de politique internationale, et affiche aussi sa ferme intention de poursuivre sa politique. En Irak d’abord où l’assaut militaire contre Falloudjah pourrait être le prélude à une tentative d’intensification des combats en vue de la préparation des élections à la date prévue. « Cette victoire de George W. Bush est d’une grande ampleur. Au-delà du décompte des grands électeurs, le Président sortant dispose de plus de 3 millions de voix d’avance sur son challenger démocrate alors que les instituts de sondage prévoyaient un résultat beaucoup plus serré. L’électorat américain a, cette fois-ci, massivement apporté son soutien à George Bush. On a également vu lors de cette élection une mobilisation extrême des électeurs américains avec 11 millions de voix en plus par rapport à la dernière élection.

Mais contrairement à ce que l’on attendait, cette participation n’a pas entraîné de vote sanction à l’égard de l’Administration républicaine », estime Pascal Boniface, le directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Faut-il en déduire que, fort de cette majorité, le président Bush persistera dans l’unilatéralisme qui prévaut dans sa gestion des relations internationales et accélérera la « refonte » du Proche-Orient, telle que présentée et défendue ?

Pour certains analystes arabes, George W. Bush « risque de pratiquer des politiques plus dures, libéré qu’il est du fardeau de capter le courant centriste modéré du Parti républicain et des contraintes de préparation d’un nouveau mandat présidentiel ». Sentiment partagé par la plupart des politologues arabes qui soulignent : « La moitié de la population américaine a approuvé la politique de la guerre préventive, en affirmant qu’elle a peur et qu’elle se sent encore dans l’insécurité depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Cette moitié se donne quatre ans supplémentaires pour que les Américains se sentent à nouveau en sécurité. » En conséquence, « le citoyen arabe et musulman va donc sentir sans tarder que la réélection de G. Bush sera suivie de la préparation d’une invasion de l’Iran, puis d’un coup porté à la Syrie pour l’obliger à se soumettre aux exigences israéliennes et de l’éradication du Hezbollah au Liban, en attendant la cerise sur le gâteau : l’Egypte, même si le travail dans ce sens a déjà commencé au sud par le Soudan ».

« Entre un assouplissement ou un durcissement » de la politique américaine au Proche-Orient, nombreux, en effet, sont ceux qui pensent que le « militarisme » restera l’option privilégiée. Et que le second mandat ne changera rien au traitement du dossier irakien et palestinien. Par contre, un élargissement de l’intervention américaine dans la région n’est pas exclu. Aussi, ils s’attendent davantage et « dans l’immédiat à une crise avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont le directeur général, l’Egyptien Mohammed El Baradei, a été accusé par l’administration américaine d’immixtion dans l’élection présidentielle », après ses révélations sur le vol de 400 tonnes d’explosifs en Irak. A une nuance près, soulevée, cette fois, par le Wall Street Journal : « Quelles que soient ses préférences, sa marge de manœuvre sera considérablement limitée par le coût énorme de la guerre en Irak, le fait qu’il n’y a pas d’options militaires valables en Iran et en Corée du Nord, et le désir du public américain de réparer les relations avec l’étranger, ne serait-ce que pour partager le fardeau. » La prochaine conférence internationale sur l’Irak est prévue à Charm El Cheikh, en Egypte, les 22 et 23 novembre prochains. Son objectif : obtenir l’appui de pays occidentaux et des voisins arabes « à la reconstruction de l’Irak, à l’organisation des élections, à la formation de l’armée et à l’allégement de sa dette ». Le sommet pourrait être aussi l’occasion d’une éventuelle rencontre entre Colin Powell, le secrétaire d’Etat américain, et son homologue iranien, Kamal Kharrazi.

Le 25 novembre doit se tenir une réunion de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA) sur l’Iran. Concernant l’Irak, John Pike, le directeur de l’institut Global Security.org, estime que les « Américains pourraient être contraints de maintenir 50 000 hommes en Irak pendant des décennies, et notamment jusqu’en 2008, date du prochain scrutin présidentiel ». Cela leur donne quatre ans pour « créer une situation en Irak qui doit leur permettre de justifier la décision initiale de partir en guerre », a-t-il indiqué.Avant même la proclamation définitive des résultats de la présidentielle, les compagnies de marines étaient regroupées devant Falloudjah dans l’attente du feu vert présidentiel pour l’assaut dit « final ». George W. Bush souhaite tenir le calendrier adopté en juin dernier à l’ONU, prévoyant des élections en Irak avant fin janvier et fixant le terme du mandat des forces américaines à la fin de 2005. Le Président compte aussi demander au Congrès dès janvier une rallonge de 70 milliards de dollars pour l’Irak. Interrogé sur le sens du vote en faveur de G. Bush, le directeur de l’IFRI ne pense pas qu’il s’agisse d’un blanc-seing pour la poursuite de la politique au Proche-Orient. « Il y a tout de même eu de nombreux débats sur ce thème durant la campagne électorale. On voit aussi à travers les sondages que de nombreux Américains se posent encore des questions sur la manière dont l’administration de Georges W. Bush a géré le cas irakien.

L’une des questions est sans doute de savoir comment le Président sortant va lui-même interpréter sa réélection. Il peut très bien se dire qu’il a été largement élu cette fois-ci et qu’il peut donc poursuivre sa politique dans le sens de ses orientations. Mais en fonction des réalités du terrain, il offrira peut-être au monde un visage un peu moins unilatéral. Il aura, à un moment ou un autre, besoin de la coopération des autres pays et il sera peut-être amené à composer pour se sortir du bourbier irakien. » Les analystes américains, de leur côté, affirment que « le président réélu devrait bientôt commencer à évoquer plus ouvertement une stratégie de sortie d’Irak ». Lors de son discours, le 3 novembre dernier, M. Bush a en effet parlé du « retour » des troupes au pays. « Nous aiderons les démocraties d’Irak et d’Afghanistan pour qu’elles puissent se consolider et défendre leur liberté, puis nos forces armées rentreront à la maison », a-t-il déclaré. 142 000 soldats américains sont déployés en Irak. Le Pentagone a récemment évoqué la possibilité de réduire ce nombre après les élections en Irak. C’est sans compter sur une réalité majeure : celle de la résistance irakienne bien plus importante que ce qui en est dit. « Ces questions ne peuvent être réglées par le seul usage de la force militaire », affirme le général Barbara Fast, ancien chef du renseignement pour le commandement militaire américain à Baghdad.

S’agissant de l’Iran, les Européens ont présenté une nouvelle offre diplomatique « enrichie » de propositions d’aide économique pour faire pression sur Téhéran. Mais, l’administration Bush, représentée sur ce dossier par le faucon John Bolton, sous-secrétaire à la Défense chargé de la non-prolifération, pourrait pousser à un transfert du dossier iranien au Conseil de sécurité de l’ONU, prélude à l’imposition de sanctions internationales et d’une politique d’isolement visant un changement de régime. George Bush n’a exclu « aucune option, y compris militaire ». « Le Président sortant a aussi, semble-t-il, bénéficié de l’apparition de Ben Laden sur les écrans de télévision à quelques jours du scrutin. Le fait que le terroriste saoudien n’ait pas été mis hors d’état de nuire depuis le 11 septembre paradoxalement n’est pas venu desservir George W. Bush. Cela a plutôt conforté sa position », fait remarquer M. Boniface. Unilatéralisme intransigeant ou multilatéralisme qui impliquerait une convergence euro-américaine ? Soutien à Ariel Sharon et poursuite des objectifs du plan de « Grand Moyen-Orient », au risque de susciter plus de terrorisme encore ?

Par Chabha Bouslimani, latribune-online.com