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L’autre Paul Wolfowitz

mercredi 13 avril 2005, par Stanislas

Décidément Bush II ne désarme pas : sur le plan de ses idées, il reste inflexible ! A ceux qui auraient encore quelques doutes, sa réélection est la confirmation suprême, si besoin est, de ses « bons » choix (géo)politiques.

Tenons-nous-le pour dit : de ce credo, il n’en démordra point ! En habile tacticien, il a entrepris cependant d’envoyer, ces derniers mois, des signaux sur sa volonté « réconciliatrice » avec l’Europe et le reste du monde. Et celle qui incarne cette mission d’ouverture n’est autre que Condoleezza Rice, une proche de Bush, nommée à la tête du Département d’Etat (diplomatie).

Une nouvelle ère se juge aussi sur les hommes qui vont l’incarner.

Paul Wolfowitz

Ce à quoi on assiste ces dernières semaines, c’est la nomination de certaines personnalités à des postes stratégiques dans l’administration Bush ou ailleurs ; des personnalités qui sont connues pour être des faucons de la pensée néoconservatrice. Pour continuer à gagner la bataille de l’influence, Bush II semble vouloir privilégier le pouvoir de dissémination de ses idées. Deux institutions multilatérales, de première importance, vont servir de terrain d’expérimentation à cette vaste offensive : l’ONU et la Banque mondiale. John Bolton est le nouvel ambassadeur US aux Nations unies. Il est archiconnu par ses prises de position à l’emporte-pièce contre tout ce qui pourrait symboliser le multilatéralisme. Comment interpréter son arrivée ? Sûrement comme la volonté de dominer de l’intérieur cet outil. Ne perdons pas de vue cet homme. L’autre surprise est l’adoubement de Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la Défense jusqu’au 31 mai, à la tête de l’institution phare de Bretton Woods.

Il y a un halo de mystère qui entoure cet homme. Deux personnages, antagoniques, cohabitent chez lui. Pour le grand public, il est l’un des théoriciens de la guerre contre l’Irak. Son influence, ses réseaux et ses liens intimes dessinent la galaxie des « néocons », dont il est la pièce maîtresse. Mais il est avant tout l’architecte en chef du projet de « démocratisation » du Moyen-Orient, dont l’Irak - débarrassé de Saddam Hussein - serait, estime-t-il, le modèle à suivre pour une région à « remodeler » autour des intérêts géostratégiques américano-israéliens. Depuis lors, et considérant les violences massives de l’après-guerre irakien, on sait ce qu’il advint de cette vision, décidément trop naïve, de la réalité moyen-orientale. Cette dimension relève tout simplement de l’activisme - bousculer le statu quo, pour transformer la réalité, pourrait-on dire -, laquelle contraste avec son autre facette douce, naturellement sympathique, voire timide, où l’on est surpris par un certain « côté enfant » qu’il continue de cultiver à son insu. Tous ceux qui ont pu le rencontrer confirment ce jugement.

A 61 ans, le petit-fils d’immigré juif est un pur produit de l’élite américaine : il a passé vingt-quatre ans de sa vie entre le Département d’Etat et le Pentagone. Mais il porte encore, pour beaucoup, l’aura de l’universitaire qu’il a été (1). Si ses liens avec Israël restent profondément charnels et étroits - sa soeur Laura a fait le choix d’y vivre -, mais il est loin d’être un ultra, à l’image d’un Richard Perle, conseiller occulte, ou d’un Douglas Feith, ancien n°3 du Pentagone.

C’est à Jakarta, où il était ambassadeur pendant quatre ans, qu’il a découvert le monde de l’Islam. Son insatiable curiosité l’a poussé à apprendre l’arabe, à lire le Coran et même, selon des témoins, à réciter certains versets coraniques. Ses relations avec Shaha Ali Riza, haut fonctionnaire d’origine arabe à la Banque mondiale, ont visiblement renforcé ce tropisme et cet intérêt pour cette culture et ses peuples (2). Reste à savoir quel est le vrai visage de cet homme ?... On ne va pas tarder à le savoir.

Les Américains sont les champions du pragmatisme. La conversion à un certain réalisme, qui pourrait se traduire par un changement de position à 180 degrés par rapport à des choix initiaux, apparaît en Europe comme une pure palinodie ! Cette façon de s’adapter au réel choque souvent les esprits, en dehors de l’Amérique. Avec Bush II, le président le plus doctrinaire que les Etats-Unis aient connu, on n’en est pas encore tout à fait là. Il n’empêche que certaines choses sont en train de se modifier. Paul Wolfowitz arrive, à la tête de cette institution, avec une réputation sulfureuse. Pour déminer le terrain sur lequel il va évoluer, il a multiplié dans la presse, ces dernières semaines, les propos pour rassurer sur ses intentions. L’homme semble vouloir casser son image de dur : « Beaucoup de gens, déclare-t-il au « Figaro », parlent sans me connaître, ou ne me connaissent qu’à partir de caricatures, parfois très inexactes. » (3). Et de préciser, dans la foulée : « (...) Beaucoup redoutent que je bouleverse totalement l’organisation. Mais ce n’est pas du tout mon genre. » Sans préjuger de l’avenir, une chose est sûre : le nouveau président de la Banque mondiale ne pourra pas, à moins de faire imploser l’institution, agir à sa guise. Les contrepoids ne manquent pas. 184 pays sont membres de la BM. En plus, il faut compter sur les vingt-quatre directeurs exécutifs qui la quadrillent. Paul Wolfowitz sait qu’il sera très surveillé et doit consacrer beaucoup de temps à apprendre son nouveau métier. Tous les signes d’un vrai virage existent en pointillé chez lui. La lutte contre la pauvreté et la bataille pour le développement sont les éléments clés du monde de demain. Paul Wolfowitz, aux antipodes du faucon d’hier, se veut au coeur de ce combat ! Accordons-lui un préjugé favorable...

Par Hichem Ben Yaïche, quotidien-oran.com

(1) Il A Eté Le Doyen De L’école D’études Internationales Paul H. Nitz A L’université Johns-Hopkins, En 1992.

(2) Cette Information Est Rapportée Par « Paris Match », 31 Mars-6 Avril 2005.

(3) « Le Figaro », 19 Mars 2005.