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La stabilisation en Irak préalable au reste des « marchandages » moyen-orientaux

lundi 22 novembre 2004, par Hassiba

La Conférence internationale sur l’Irak sera-t-elle dominée par la question « famous » : « Pour ou contre la guerre » ? Pourtant, frappée par de terribles attentats, la luxueuse station de Charm El Cheikh risque de ne pas remettre tout le monde d’accord sur la perception du terrorisme.

Les ténors de la diplomatie mondiale débarquent avec des bagages pleins d’idées tranchées. A une semaine de ces retrouvailles, chacun avait pris le soin de seriner ses visions inchangées.

Quand les Etats-Unis se sentent toujours en guerre -l’Irak reste pour eux le front déterminant pour la gagner globalement-, la « vieille Europe » estime que le renversement de Saddam n’a fait qu’exacerber le sentiment anti-occidental dans le monde arabo-musulman. A bien y regarder, l’occasion de revenir à un ordre mondial multipolaire serait ratée encore une fois. Et ce, malgré les mille et un conseils prodigués à l’administration Bush de revenir à la concertation et au multilatéralisme dans le sens large du terme. Avec des scores historiques en sa faveur à la dernière présidentielle, il serait contraint de revoir sa copie. Sinon la rapprocher le plus de celle de son père, l’excès dans les dépenses militaires du fils finirait par provoquer une fronde du contribuable américain. On parle même d’une rébellion restreinte au sein des « faucons » à propos de budgets votés au détriment de la politique intérieure. Une suppression de la dette irakienne à fort taux, pour ne citer que celle-ci, sera la bienvenue. Avec un accord en vue -le club de Paris serait prêt à l’éponger à 80% et non à 95% comme le souhaite Washington-, la diplomatie américaine va venir en Egypte avec un demi-souci en moins. Mais pas assez de quoi fouetter un chat, la reconstruction de l’Irak exige beaucoup plus que ça.

L’accompagnement sécuritaire du processus politique en cours se veut le débat phare sur la rive de la mer Rouge. C’est du moins ce qu’espère le gouvernement Alloui pour mener à bien sa mission de stabilisation post-élections, fixées au 30 janvier. Ayant tenté des rapprochements directs avec ses voisins sur la question de l’imperméabilisation des frontières, -les pressions américaines n’ont eu qu’impacts mitigés-, l’exécutif intérimaire et Washington changeront de cap. Le sommet auquel Paris et Moscou n’avaient cessé d’appeler est finalement retenu. Les Américains face à leurs opposants régionaux et occidentaux, ce n’est pas une si mauvaise idée, les Irakiens gagneraient à élargir le soutien à leurs efforts.

Parmi leurs grands espoirs pour ce premier jour de Conférence, la retraite du terrorisme transfrontalier dont l’administration américaine accuse Téhéran et Damas de faciliter les mouvements vers l’Irak. Réconforté par le ralliement du pays chiite irakien à la stabilisation politique et la victoire quasi définitive sur l’insurrection sunnite à Falloudjah, Allaoui semble venir à Charm El Cheikh avec une longueur d’avance. Mais le ciel égyptien se charge de nouveau de perturbations ; la République islamique d’Iran juge inutile de rencontrer le démissionnaire Powell et va insister sur le départ des troupes US. Réussira-t-il à repousser la présence militaire américaine à ses portes ? Dans la déclaration finale du sommet, ce retrait n’est certes pas indéfini mais il est conditionné par la stabilisation totale de l’Irak. Peine presque perdue pour les Iraniens et point de détente dans les relations américano-iraniennes au moment où le dossier du nucléaire iranien prolonge la saignée. Si l’application de l’accord de Paris sur la suspension provisoire de l’enrichissement de l’uranium gêne l’acharnement américain contre les « khameneistes », il n’est pas pour le réduire à néant. L’Iran est accusé d’avoir trouvé la « parade » pour poursuivre ses activités nucléaires, Israël l’accule avec ce qu’il croit « mensonges d’Etat ». Médiateur de bons offices, le trio européen est ainsi invité à aider à renvoyer Téhéran devant les instances de l’ONU. Sur le vieux continent, les fidèles à ce scénario de l’embargo donnent de la voix ; il faut tout faire pour empêcher l’Iran d’entrer dans le club des puissances nucléaires tolérées. Désormais, à la veille de la Conférence sur l’Irak, Washington semble convaincu que ce n’est plus la peine de « pactiser » avec Téhéran afin d’assurer une transition pacifiquement appréciable en Irak.

L’apaisement dans le Sud irakien, rendu possible grâce à la collaboration du clergé chiite de Sistani, tiendra-t-il bon jusqu’aux élections ? Le chiite Allaoui paraît y croire, son casse-tête de l’heure est plutôt sunnite. Bien qu’il se soit montré plus discret sur les attitudes qu’il afficherait lors du sommet, le régime de Bachar Al Assad n’est pas perdu de vue pour ses appuis soupçonnés à l’insurrection sunnite en particulier et au terrorisme en général. En invitant la Syrie à la table de Charm El Cheikh, et dans une démarche identique à celle prônée avec l’Iran, les Irakiens chercheraient à la mettre devant ses responsabilités. C’est aussi rappeler maladroitement que l’insistance de Colin Powell auprès des autorités de Damas pour qu’elles coupent les vivres aux factions palestiniennes et surveillent mieux leur frontière avec l’Irak n’a pas eu grand effet. Y consentiront-elles davantage alors que le redéploiement de leurs troupes au Liban ne satisfait pas la France, encore moins les Etats-Unis, et qu’elles restent sous le coup d’éventuelles sanctions ? Difficile donc pour Damas de défendre ses propres intérêts -la relance de la négociation syro-israélienne sur le plateau du Golan-, sans donner des garanties claires sur sa bonne volonté à propos du dossier irakien. La présence US à Charm El Cheikh serait un atout supplémentaire pour l’Irak afin de faire aboutir ses plaintes contre l’ingérence de ses voisins. Sa démarche consiste en clair à enclaver l’insurrection sunnite pour mieux l’éradiquer mais, en attendant, faut-il qu’aucune influence n’intervienne. Ayant également compris que les chances de l’adhésion des forces politiques irakiennes de ce bord au processus politique étaient presque nulles -la proposition de Paris sur la « repentance » figure dans la résolution finale-, le gouvernement Allaoui joue depuis les va-t-en-guerre.

Et le pire serait à venir si les ouléma sunnites continuent à appeler au boycottage des élections. Celles-ci ne seront sûrement pas parfaites, reconnaissent les responsables irakiens, mais tout semble plaider pour la tenue d’élections sur l’ensemble du territoire irakien. Cela implique bien sûr une coopération militaire accrue, mais les Etats-Unis rechignent à l’implication active de l’OTAN. Son intervention serait systématiquement bloquée par la France tandis que la Russie a fait grise mine sur l’effacement de la dette irakienne avant de céder d’après une source US. Le sommet de Charm El Cheikh favorisera-t-il le dégel dans sa globalité ? Malgré la persévérance de l’alliance Bush-Allaoui à faire du front irakien l’axe majeur de la lutte antiterroriste mondiale -le lièvre Al Zarkaoui a encore de belles courses devant lui-, il y a toujours des voix contestataires dans l’air. Celles qui sont persuadées que l’ONU n’a que trop pâti de toutes ces déchirures au moment où elle a le plus besoin de consensus internationaux pour réussir sa réforme. Mais il n’est pas du tout évident que cette dernière puisse faire disparaître ces deux Occidents, l’un américain et l’autre européen ; et ce gouffre civilisationnel dans lequel est en train de sombrer l’universalisme en entier.

Par Anis Djaad , latribune-online.com