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Lakhdar Brahimi : L’homme des missions difficiles

jeudi 6 mai 2004, par Hassiba

Au départ, Lakhdar Brahimi était fondamentalement contre cette guerre.« J’ai longtemps hésité avant d’effectuer cette mission », admet-il aujourd’hui.

De longues semaines d’âpres néociations avant de présenter son « dossier » devant le Conseil de sécurité Mais à peine a-t-il terminé son exposé que Lakhdar Brahimi découvre ahuri sur les écrans TV les images humiliantes de prisonniers irakiens torturés et indignement traités : la barbarie à visage inhumain, à propos de laquelle les nouveaux philosophes, si prompts à « pétitionner », ne soufflent mot. Brahimi est secoué, mais cela suffit-il à ébranler ses certitudes en mettant à plat tout le travail accompli ? Non, car l’homme en a vu d’autres.

Il y a quelques jours, il avait prévenu contre les tueries de Felloujah, mais ses appels se sont fondus dans le vacarme des chars américains. Brahimi sait qu’il faut s’attendre à tout en politique où tout est permis sauf se laisser surprendre. L’envoyé spécial de l’ONU reconnaît que « la situation s’est effectivement détériorée, mais pas au point d’atteindre ce seuil ». Brahimi a fait ce qu’il avait à faire et accuse imperturbable les critiques qui fusent ici et là.

« Cet ancien du FLN algérien est devenu l’homme providentiel à Washington », murmure-t-on non sans arrière-pensée, dans les couloirs des Nations unies. Brahimi a l’habitude des attaques sournoises, mais il sait encaisser. De plus, son patron Koffi Anan lui a toujours rendu à maintes reprises des hommages appuyés pour « son travail exceptionnel et son engagement ».« Brahimi a su être l’homme des situations difficiles et des missions accomplies », reconnaît un ancien diplomate arabe lié d’une vieille amitié avec le haut fonctionnaire des Nations unies.

Forgé à l’école du militantisme

Forgé à l’école du militantisme, Lakhdar, issu d’une famille de notables, est né en janvier 1934 à El Azizia. Il a su bénéficier de l’éducation de son père Boudjemaâ dit Salah, petit propriétaire terrien à Aïn Bessem. « Notre père, se rappelle Miloud, le frère cadet, n’avait pas la réputation d’être un lettré, mais il sacralisait l’école. D’ailleurs, il est parti avec un gros chagrin parce qu’on a empêché Lakhdar, alors âgé de 10 ans, de passer l’examen de certificat d’études. On a jugé qu’il était trop jeune. » De l’enfance passée ensemble, Miloud aujourd’hui avocat de renom, garde des images vivaces « comme cette passion de Lakhdar pour les études. Il adorait lire. Il dévorait les livres. Il s’est vite forgé une personnalité », note son frère qui rappelle que Lakhdar a représenté le FLN à Djakarta à l’âge de 22 ans. Il parlait couramment l’indonésien et sa connaissance du Sud-Est asiatique était presque parfaite. L’influence de l’oncle Ahmed n’est pas à négliger. Bachagha connu, il a su rallier ses pairs de la région à la cause nationale. Ce qui lui valut d’être assassiné en 1957 par le colonialisme français. Jeune donc, Lakhdar tâte à la politique en intégrant l’Ugema, dont il est membre fondateur et participe en 1956 à la grève des étudiants. Sa carrière est vite tracée, puisqu’il est repéré pour représenter le FLN et le GPRA dans plusieurs capitales de par le monde.

Au lendemain de l’indépendance, il occupe le poste de secrétaire des Affaires étrangères, puis ambassadeur en Egypte dès 1963, puis une succession de postes à travers le monde. Avant d’être nommé ministre des Affaires étrangères (1991-1992) il a eu l’honneur de seconder le secrétaire général de La ligue des Etats arabes. C’est à ce titre qu’il contribua efficacement à l’accord de Taef avec l’arrêt de la guerre civile au Liban. « Lorsqu’il planche sur un dossier, rien ne l’arrête, c’est un fou du travail, il va jusqu’au bout », se rappelle un de ses anciens collaborateurs aux Affaires étrangères. Un de ses proches ne comprend pas, de son côté, pourquoi si Lakhdar, comme il l’appelle, si rompu aux rudes exigences de la politique, s’est laissé aller à des écarts peu diplomatiques en jugeant que « la politique israélienne du tout-répression contre les Palestiniens empoisonnait le Proche-Orient et aggravait la situation en Irak ». Pour notre interlocuteur, le diplomate onusien est sans doute allé trop loin en affirmant que « le grand poison dans la région, c’est cette politique israélienne de domination et de souffrance imposée aux Palestiniens et ce soutien aussi injuste des Etats-Unis à cette politique ». Si cette déclaration a titillé la fibre des Arabes, elle a, en revanche, fait jaser dans les hautes sphères de la politique de globalisation où la seule évocation des actes d’Israël est considérée comme un sacrilège. Ce proche de si Lakhdar a revu sérieusement à la baisse ses ambitions de voir un jour son parent décrocher le prestigieux Prix Nobel.

Mais le courage a-t-il un prix notamment lorsque Brahimi a rétorqué à Fred Eckhard, porte-parole du secrétaire général de l’ONU qui précisait que les propos concernant Israël n’engageaient que la personne de Brahimi. Celui-ci a répondu qu’il rapportait un fait et non une opinion... Quant à Chalabi, ce Kurde membre du Conseil de gouvernement irakien, dont les propos ont été plus qu’insultants à l’égard de l’Algérien, Brahimi ne veut même pas y faire allusion, laissant à l’histoire le soin d’assumer ce rôle... « Laissons le puit avec son couvercle », comme le dit le vieil adage algérien...

Car que connaît-on du sieur Chalabi sinon qu’il a mis en faillite une banque en Jordanie avant de s’enfuir dans des conditions rocambolesques, qu’il a été ramené par les Américains dans leurs bagages. C’est simple, la rue de Baghdad a depuis longtemps classé « Ce supplétif qui est plus populaire au Pentagone qu’en Irak ». C’est tout dire. D’ailleurs, les membres du Conseil de gouvernement irakien n’en pensent pas moins. Le Dr Brahim El Djaâfari, dirigeant influent de ce conseil et qui n’a pas la réputation d’être un tendre, ne tarit pas d’éloges sur les « initiatives courageuses prises par Brahimi qui a su nous écouter en faisant en sorte que le rôle de l’ONU, soit désormais primordial. Nous avons insisté auprès de Brahimi sur l’importance de ce rôle alors que la coalition s’est montrée très frileuse à ce sujet. Avec Brahimi, nous avons convenu qu’il n’y a pas de contradiction entre la mission de l’ONU et la souveraineté de l’Irak. » Même Bush, qui avait une dent contre l’ONU, a dû se raviser la mort dans l’âme et se plier à ses thèses. Brahimi, rappelle-t-on avait critiqué l’idée des Américains d’organiser des élections indirectes pour désigner un gouvernement provisoire. Puis, sans coup férir, il a écarté l’une de leurs hypothèses de remplacement, l’élargissement de l’actuel Conseil intérimaire de gouvernement. A sa place, Brahimi préconise un gouvernement de « technocrates » qui ne ferait qu’expédier les affaires courantes entre le 30 juin 2004 et les élections au début de l’année prochaine. Pourquoi Brahimi a-t-il opté pour cette demande ? « D’abord parce que quoi qu’on en dise, l’actuel conseil n’est pas représentatif de tous les Irakiens. Ensuite, certains membres de ce conseil sont directement liés à l’Administration américaine », assène Brahimi.

L’exemple le plus frappant est incarné par Chalabi qui a osé qualifier Brahimi de « cet Algérien à la personnalité controversée et pas rassembleur ». Cet acharnement est dû au fait que Chalabi touchait une rente de 340 000 dollars, accordée mensuellement par le gouvernement américain au parti kurde du fantasque membre du conseil. Enfin, pour Brahimi, « il n’y a pas de substitut à la légitimité qui émane d’élections libres et justes ». Pour lui, l’Irak n’aura de gouvernement véritablement représentatif qu’après janvier 2005. Brahimi a sûrement pris acte d’une conjonction d’intérêts hostile à une souveraineté large. Déjà le conseil actuel, malgré ses divergences, s’est ressoudé pour affirmer sa politique et surtout pour se maintenir. Il compte tirer les dividendes de son soutien à la coalition pour rester en place. Le même conseil, contre toute logique, s’est permis de concevoir un nouveau drapeau, effaçant de la sorte toute la symbolique qui se dégageait de l’ancien. Encore un coup fourré, note-t-on dans l’entourage de Brahimi. Réagissant aux remarques faites ici et là, à propos de ses initiatives jugées trop hardies, Brahimi affirme : « Trop souvent, la communauté internationale met la question de l’adoption d’une Constitution et d’organisation d’élections trop tôt. - car ce dont on a besoin d’abord, c’est la sécurité, la sécurité, la sécurité - une fois que vous avez ramené les gens alors vous pouvez les emmener vers ce processus compliqué qui divise. Il faut donc établir un ordre des priorités. » Brahimi l’homme des Saoudiens ? Rahabi , qui a été son chef de cabinet au MAE, réfute cette allégation : « Ce n’est que pur mensonge, car en fait, lorsqu’il était jeune diplomate, il a, de par ses connaissances et son influence, réussi à introduire bon nombre de dirigeants de la péninsule arabique dans les sphères qui comptent. » Puis d’ajouter : « On lui a collé cette étiquette lors de sa mission à Taef à propos du conflit libanais.

Le Globe-trotter de la diplomatie

Il avait rappelé Hadjar de l’ambassade de Téhéran au bout seulement d’un mois. Par dépit, Hadjar avait fait une campagne de dénigrement à Alger et au Moyen-Orient où il fut par la suite nommé ambassadeur. »
Conclusion : « Regardez le retournement de l’histoire. Hadjar est revenu à Téhéran. Ce retour est une revanche de Hadjar et Bouteflika sur si Lakhdar », explique Rahabi qui témoigne de l’estime qu’il avait pour celui qui l’avait nommé au Mexique. « En tant que chef de cabinet, je peux vous assurer qu’il appelait régulièrement les chefs d’Etat et les grands de ce monde. Il avait, cependant, une estime particulière pour deux personnes : cheikh Ould Rouis, son enseignant à la médersa d’Alger, et le Dr Lamine Debaghine, premier ministre de Affaires étrangères algérien. Quand il était à Alger, il leur rendait fréquemment des visites privées. Il me demandait souvent de les appeler pour m’enquérir de leur santé », se souvient Rahabi. A 70 ans, Brahimi ne cesse de sillonner le monde. Après Haïti, il s’est distingué dans le conflit afghan avant d’atterrir à son corps défendant dans la guerre d’Irak. A Paris où il réside, il participe, ces jours-ci, à Sciences Po à un séminaire sur le maintien de la paix. Il y a quelques jours, il s’est permis une « trêve » pour présider aux fiançailles de sa fille Rym, ancienne correspondante d’El Watan à New York et journaliste à CNN, avec le prince Ali de Jordanie, demi-frère du roi Abdallah. En attendant, si Lakhdar est toujours d’attaque pour une autre mission, une autre aventure...

Par Hamid Tahri, El Watan

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