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Le Maroc et son passé

mardi 12 avril 2005, par nassim

C’est un véritable travail sur lui-même qu’opère actuellement le Maroc.

Un travail patient, tout à la fois douloureux et salvateur, qui conduit le Maroc à revenir sur les cruelles injustices commises durant les "années de plomb", sous le règne du roi Hassan II (1956-1999).

Créée il y a maintenant un an, l’Instance Equité et Réconciliation s’emploie activement

Mohamed VI, roi du Maroc.

à dresser le bilan des atteintes aux droits de l’homme commises, à donner la parole aux victimes ou à leurs ayants droit, enfin à rédiger un rapport permettant de dégager la méthode et les moyens qui permettraient d’éviter que de telles dérives se reproduisent. La tâche est immense, et les membres de la Commission ont multiplié les enquêtes sur le terrain, découvrant au fil des semaines une multitude de prisons secrètes, d’oubliettes d’un autre âge et de bagnes qui s’étaient souvent refermés à jamais sur des hommes et des femmes sur une simple lettre de cachet. A ce jour, 26 000 dossiers ont été adressés à l’Instance Equité et Réconciliation, présidée par Driss Benzekri, lui-même resté dix-sept ans prisonnier pour avoir milité dans un mouvement marxiste-léniniste dans les années 1970.

Il ne s’agit pas encore d’écrire au sens propre l’histoire des années noires du Maroc, mais d’établir une liste des crimes et de libérer une parole contenue, opprimée. Déjà, on s’éloigne des légendes noires pour arriver à une plus juste appréciation des ravages causés sous l’autorité d’Hassan II. Ainsi saura-t-on un jour si le nombre des "disparus" s’élève à 800 ou à beaucoup moins. Et combien d’opposants, ou supposés tels, ont perdu la vie dans des geôles privées de lumière.

L’Instance Equité et Réconciliation fait naturellement penser à la Commission Vérité et Réconciliation, dirigée en Afrique du Sud, dans les années 1990, par l’archevêque anglican Desmond Tutu. Le parallèle est cependant superficiel : la Commission marocaine procède pour sa part à des auditions publiques à doses homéopathiques ; elle interdit de citer le nom des coupables et refuse de les entendre. Il ne s’agit pas pour elle de juger, mais de prendre la mesure des exactions commises et d’interdire au Maroc un retour en arrière. Son but est de cautériser les plaies d’une société qui a été marquée par un climat de peur, de suspicion et de répression. Et de proposer une réforme de la justice.

Cette démarche est une première dans le monde arabo-musulman. Cette singularité est tout à l’honneur du Maroc, qui accepte de faire face à son histoire. A vrai dire, la prise en compte d’un minimum de justice avait été intégrée par Hassan II lui-même, à la fin de son règne, et symbolisée par quelques libérations. Le roi Mohammed VI va plus loin en donnant la possibilité à l’Instance Equité et Réconciliation de réhabiliter les victimes de crimes commis sur ordre de son père. Il convaincra définitivement de l’audace de sa politique et de son aspiration à la démocratie en acceptant les futures propositions de la Commission et en les faisant appliquer.

Source : lemonde.fr