Accueil > INTERNATIONAL > Le foulard divise toujours la société turque

Le foulard divise toujours la société turque

lundi 23 mai 2005, par Hassiba

Leyla Sahin est une jeune femme opiniâtre. Elle était étudiante en cinquième année à la faculté de médecine d’Istanbul quand, en février 1998, au nom du principe de laïcité, le rectorat émit une circulaire stipulant que les garçons barbus et les filles voilées n’avaient pas leur place sur les bancs de l’université. Jugeant que cette mesure n’avait pas de base légale, cette étudiante musulmane, portant le foulard, décida donc de demander l’arbitrage de la Cour européenne des droits de l’homme.

Après un premier rejet de sa requête, en juin 2004, Leyla Sahin a fait appel de ce premier jugement : l’affaire est donc maintenant entre les mains de la Grande Chambre, qui s’est réunie jeudi dernier en audience et ne rendra son avis définitif que dans plusieurs mois.

Cependant, pour la deuxième fois en moins d’une semaine, la Cour de Strasbourg est appelée à jouer le rôle d’arbitre sur des dossiers plus que sensibles qui touchent aux bases fondamentales de la République turque.

L’arrêt rendu la semaine dernière en faveur d’un nouveau procès, plus équitable, pour le chef séparatiste kurde Abdullah Ocalan, a profondément irrité les nationalistes ainsi que la sphère militaire. Par contraste, il fut abordé avec une certaine sérénité par le gouvernement en place. Mais concernant la question du foulard maintenant sur la sellette, la situation pourrait bien s’inverser. Et le gouvernement faire preuve d’une capacité de compréhension nettement moins évidente.

Les épouses de plusieurs ministres sont voilées : celle du ministre des Affaires étrangères, Hyrunnisa Gül, avait même suivi l’exemple de Leyla Sahin, engageant une procédure devant la Cour de Strasbourg avant, finalement, de renoncer à son projet.

Quant au premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, il ne cesse de marteler son engagement en faveur d’une levée de l’interdiction du foulard à l’université, qui fut d’ailleurs l’une de ses promesses électorales. Sous son impulsion, et au grand dam des défenseurs de la laïcité, le Parlement turc a voté, au mois de février, une amnistie autorisant le retour à l’université de plus de 500 000 étudiants bannis depuis cinq ans pour cause de barbes et de voiles.

Considérée comme une petite victoire par les fondamentalistes qui jugent toutefois que le gouvernement ne va pas assez loin, cette mesure bénéficie du soutien d’une part non négligeable de la population turque. Une manifestation organisée récemment à Ankara en faveur de la levée de l’interdiction du foulard dans les institutions publiques a réuni plusieurs milliers de personnes.

Il apparaît pourtant assez peu probable que la Cour européenne des droits de l’homme désavoue sur ce point la juridiction turque. En 1993, elle avait rejeté comme irrecevable la requête d’une étudiante en pharmacie d’Ankara qui, ayant refusé de fournir une photo d’identité réglementaire, c’est-à-dire, sans son foulard, n’avait pas obtenu son diplôme. Dans le cas de Leyla Sahin, la Cour de Strasbourg avait justifié son rejet en faisant valoir que les principes de laïcité peuvent aussi être considérés comme une protection des individus contre les pressions extérieures et ceux « qui s’efforcent d’imposer à la société tout entière leurs symboles religieux et leur conception de la société ».

Par Marie-Michèle Martinet, le figaro.fr