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Le triangle sunnite s’embrase, Allaoui veut « ses » élections au prix du sang

jeudi 18 novembre 2004, par Hassiba

« Nous sommes un pays en guerre », rabâche le président George W. Bush à l’adresse des avant-gardistes du camp des opposants à tout fait interventionniste. .

« Evangélisant » la nomination de la nouvelle dame diplomatie -la seconde femme au département d’Etat après la démocrate Albright-, le Texan ne change pas de ligne de mire : l’islamisme radical de Ben Laden à Al Zarkaoui demeurera l’ennemi juré du « monde libre » dans sa définition néo-conservatrice. Elevés au rang de chefs de guerre par Washington, ils n’ont cependant que la foi pour aspirer à égaler la suprématie militaire américaine, l’Amérique s’égosille à convaincre ses alliés déserteurs de la crédibilité de leurs thèses unilatéralistes.

L’administration républicaine s’escrime à garder la création de la Palestine parmi les objectifs de sa politique étrangère, l’ami Blair la jugeant pressante. Les priorités sont ailleurs, à Baghdad où il leur est encore difficile de signer l’acte de naissance d’un Irak libre, en attendant qu’il finisse de se démocratiser. Que l’OTAN se décide ou non à venir « sécuriser » les élections de janvier 2005 -elle l’a accompli avec succès en Afghanistan-, l’alliance Bush-Allaoui a choisi de s’engouffrer dans les tranchées creusées aux abords du pays sunnite irakien. Les appels à la reddition du gouvernement intérimaire sans influence aucune sur les anti-coalition -la négociation parallèle a échoué en l’absence de voix modératrices-, la machine de guerre n’a pas eu le temps de refroidir.

Cap sur Falloudjah la rebelle. Si Ben Laden a « aidé » à la réélection de Bush, Al Zarkaoui lui a « offert » la permission de marcher sur le bastion sunnite. De ce point de vue, tous les amalgames sont permis ; la résistance irakienne se confond avec terrorisme tant que la première ne se démarque pas par rapport à la seconde. Les forces combinées américano-irakiennes font de la confusion de ces « genres » la légitimation de leur intervention. Neuf jours de combats incessants dans les quartiers de la ville des Mosquées et des bilans tenus longtemps provisoires
ajoutant du nerf à la guerre psychologique. Pas moins de mille deux cents insurgés ont été mis hors d’état de nuire sans compter les centaines de prisonniers, se félicite le commandement US.

A en croire ses rapports, Falloudjah est bel et bien tombée, restent des poches de résistance au Sud en mal de provisions et de munitions. Pourtant, les combats faisaient encore rage dans la journée d’hier. L’insurrection sunnite -le nationalisme perd du terrain en raison d’une forte présence des djihadistes étrangers- tiendrait toujours tête à la coalition. Combien de temps encore et ce, au moment où la première milice chiite, « les Brigades de la colère » fait parler d’elle ? Sa mission : combattre les dévots d’Al Zarkaoui et leurs frères radicaux sunnites. Iyad Allaoui en fait aussi son affaire et il a de quoi élargir son champ d’action pour venir à bout des ennemis désignés de la stabilité de l’Irak. Il en reste quelque mille éléments à bien regarder dans le bilan des pertes à Falloudjah, de quoi laisser la chasse ouverte dans tout le pays sunnite. Gage de marche ininterrompue, Al Zarkaoui a pris la poudre d’escampette sous le déluge de feu. A deux mois du difficile pari électoral, Falloudjah se présente plus comme la phase 1 de tout un processus d’éradication qui ne la concernait pas uniquement.

L’armée américaine annonce avoir repris tous les postes de police à l’ouest de Mossoul, second front de bataille, que les anti-US ont indiqué comme bastion de retranchement. Quelque 1 200 soldats américains ont pris part à cette opération qui devrait se concentrer dans les prochaines heures plus à l’est de la ville. Quel retour d’écoute aura le récent appel d’Al Zarkoui auprès de ses partisans leur demandant de mettre le feu aux poudres dans l’ensemble des territoires à minorité sunnite ? Son message a été reçu cinq sur cinq à Ramadi, Samarra, Baaquouba...

Tactiquement louable du fait que la coalition est poussée à être partout et à la fois (Rumsfeld n’avait pas jugé les troupes américaines suffisantes ?) demeure le temps de résistance qui jouera en la défaveur de cette dernière. Les cartouchières risquent d’être à sec, les hommes d’Al Zarkaoui finiraient par miser sur les deux atouts-maîtres restants en leur possession : les attentats kamikazes et le rapt de ressortissants étrangers. Sauf que l’offensive américaine de pareille envergure que celle de Falloudjah menace de faire « sauter en éclats » les derniers relais de coordination de la pyramide d’Abou Mousaab. Le déplacement, voire la fuite de ses hommes, devrait, lui aussi, rendre plus problématique la détention illimitée des otages. Leur exécution n’aura plus pour ainsi dire que l’objectif de contraindre les gouvernements alliés à retirer leurs contingents. La probable exécution de l’humanitaire britannique Margaret Hassen ou la découverte du chauffeur syrien des deux journalistes français semblent confirmer la tendance à « se débarrasser du boulet » qui prévaut chez les djihadistes en déroute. Y aurait-il encore une chance de voir d’autres captifs revenir du désert irakien ? Paris garde espoir quant à la libération des deux correspondants de presse et entreprend des « contacts indirects » pour y parvenir.

Après avoir donné un premier sens à ce rapt -obliger la France à s’impliquer dans l’après-Saddam-, des analystes se rétractent presque : la nouvelle logique veut que Paris reste en dehors de ce conflit. Autrement dit, qu’il ne perde en cours de route son engagement dénonciateur de l’occupation de l’Irak. A la question du quotidien français le Figaro :« La France va-t-elle continuer à rester à l’écart du dossier irakien après la réélection de Bush ? » le patron du Quai d’Orsay répond : « Notre attitude se veut constructive. Nous voulons aider à la reconstruction politique et économique de l’Irak pour sortir de ce ‘‘trou noir’’ qui peut emporter toute la région ». Le gaulliste Chirac emboîte évidemment le pas à son chef de la diplomatie. La chute de Saddam est loin d’avoir rendu le monde plus sûr, au contraire, s’insurge le président français en marge de sa visite d’Etat à Londres. Logique multipolaire ou non, le monde est plus dangereux avec toutes ces réactions en chaîne, souvent violentes, dans nombre de pays islamiques. Explicitement, le terrorisme s’est accru, ce qui n’est autre que la conséquence de l’occupation de l’Irak. A ce constat,Georges W. Bush avait rétorqué qu’Al Zarkaoui existait bien avant l’intervention américano-britannique. Et ce n’est certainement pas à l’heure où Falloudjah compte ses morts par milliers que les Américains et les Français en particulier vont accorder leurs violons sur cette question. Les premiers semblent déterminés à mener à terme leur guerre globale contre le terrorisme et ne peuvent donc se permettre d’échouer sur le front irakien. Seront-ils à l’avenir prêts à tirer les enseignements des difficultés en Irak, comme le leur suggère le chancelier Schröder ? Pas si certain depuis qu’ils détiennent le prétexte en or de leur engagement : salles de torture et de geôles dans les salons de civils à Falloudjah et ailleurs dans le triangle sunnite. Leur « complicité » est encore indéterminée, plus encore en ce qui concerne les pertes par bavures interposées.

Par Anis Djaad, latribune-online.com