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Les vérités de M. Boutros Ghali sur le monde arabe

dimanche 24 avril 2005, par Stanislas

M. Boutros Boutros Ghali, diplomate au long cours, n’a pas une bonne image dans le monde arabe, y compris dans son pays, l’Egypte, où le gouvernement vient de lui confier la présidence de la Commission nationale chargée de la promotion des droits de l’homme.

Une Commission que le gouvernement voudrait indépendante, car constituée en grande partie d’intellectuels choisis en dehors des cercles du pouvoir, à l’exception de son président M. Boutros Ghali.

Si l’image que projette M. Ghali dans les pays arabes n’est pas raisonnablement positive, cela n’est pas dû au fait qu’il soit reconnu comme incompétent, bien au contraire, mais parce que tout simplement les dirigeants arabes lorsqu’ils ne sont pas musulmans suscitent une sorte de désaffection à leur endroit de la part de la population musulmane de ces pays laquelle constitue la grande majorité. Et en Algérie, être par exemple Arabe chrétien, comme l’est M. Boutros Ghali, est antinomique pour ne pas dire plus. La persistance dans ce jugement dans la population arabe musulmane reflète un peu l’échec des systèmes éducatifs dans ces pays, qui n’ont pas encore introduit dans les matières enseignées dans leurs établissements la notion de la liberté de pensée qui est à la base même du développement de la personne humaine, une personne libre, jouissant de son libre arbitre et de ses conséquences aux plans social, politique et culturel qui sont le respect et l’acceptation de l’autre qui sont à l’origine de l’apparition des régimes démocratiques modernes...

Ce dernier, intervenant dans une émission consacrée à l’histoire contemporaine intitulée « témoin de l’histoire » animée par un animateur très controversé de la chaîne El-Djazira, en l’occurrence, ici, M. Ahmed Mansour, qui affiche son antiaméricanisme au grand jour et surtout à l’antenne de cette chaîne, ce qui a mis les dirigeants de celle-ci et le gouvernement du Qatar dans l’embarras, il y a peu, vis-à-vis des autorités américaines. Celui-ci a couvert, il est vrai, d’une manière peu conventionnelle, la première bataille de Falloudja. Les Américains l’accusant d’avoir fourni une tribune favorisant les groupes armés qui se battaient dans la ville contre le Américains et d’avoir servi de relais pour faire passer des messages entre les différents groupes. Il faut savoir gré aux autorités qataries d’avoir résisté aux pressions des Américains et d’avoir maintenu à son travail M. Mansour, bien qu’elles l’aient éloigné de son port d’attache Doha pour le placer au Caire, démontrant ainsi qu’on pouvait être l’allié de Etats-Unis et avoir une politique indépendante.

On aurait pu penser que M. Mansour et M. Ghali allaient avoir une attitude identique, s’agissant d’apprécier la politique américaine dans le monde, M. Boutros Ghali ayant des raisons d’en vouloir aux Américains qui l’ont empêché d’endosser un deuxième mandat à la tête de Nations unies. Il n’en a rien été, M. Boutros Ghali et M. Mansour ont fait la démonstration qu’ils appartenaient à deux écoles de pensée complètement différentes, M. Mansour faisant encore une fois la démonstration de sa façon peu conventionnelle d’exercer son métier, en assumant à l’antenne ses propres positions partisanes qui étaient exposées au grand jour et devant des millions de téléspectateurs.

M. Boutros Ghali ayant produit déjà son « témoignage » sur l’histoire à travers quinze émissions qui ont totalisé quinze heures de temps, il s’agissait cette fois-ci de répondre à différentes interpellations émises par un certain nombre de téléspectateurs ayant suivi ces émissions. C’était peut-être là aussi l’opportunité que voulait saisir M. Mansour, c’est du moins l’impression qu’il a donné pour, en quelque sorte, piéger M. Ghali à propos de ce qu’il avait affirmé précédemment s’agissant de tel ou tel évènement politique... La controverse commence à travers le ou les conflits des Balkans, ceux qui ont ensanglanté l’ancienne Yougoslavie, et particulièrement la guerre en Bosnie que M. Mansour voulait présenter comme modèle des erreurs d’appréciation et de jugement de M. Boutros Ghali. Après avoir produit différentes statistiques sur la composante ethnique et religieuse de la Bosnie, M. Mansour produisait des écrits de la presse occidentale où il était question de massacre de populations musulmanes, de génocides, de viols, etc., disant que dans ce ou ces conflits, c’est la population musulmane qui a été la victime des autres groupes ethniques et religieux (en fait, il s’agit de groupes religieux, catholiques pour les Croates, orthodoxes pour les Serbes et musulmans pour les Bosniaques). M. Boutros revenant à une condamnation générale mettant sur le même pied d’égalité la responsabilité des trois groupes, se refusant à considérer les musulmans comme seules victimes de ce conflit.

Pour lui, sa responsabilité en tant que Secrétaire général de l’ONU à l’époque, était de préserver la personne humaine, sans distinction de race ni de religion, c’est l’homme en général qui a souffert dans cette région et non pas le seul musulman. Revenant à la charge, M. Mansour cite les articles de la presse occidentale pour appuyer ses dires où il apparaît que les massacres seraient le fait des Croates et des Serbes et les victimes les musulmans. M. Boutros dit qu’il pouvait lui aussi produire d’autres écrits qui diraient exactement le contraire, mais que ceci ne pouvait pas faire avancer le débat, qu’il s’agit en définitive de points de vue qui pouvaient être opposés et non pas de faits indéniables comme le défendait M. Mansour. Pour Boutros, il y a la chose qui est un fait et l’appréciation qu’on pouvait en faire qui peut être variable. Le fait dans l’ex-Yougoslavie est que les populations de cette région ont souffert de ce conflit. Sur la responsabilité des soldats de l’ONU qui auraient laissé faire ces massacres contre les populations musulmanes, M. Boutros Ghali reconnaîtra que les contingents envoyés pour des opérations de maintien de la paix, y sont envoyés pour cette seule mission et non pas pour faire la guerre. Par ailleurs, ces contingents dépendent dans leur engagement militaire de leurs pays respectifs.

En Yougoslavie, il y avait des contingents français, allemands, anglais, jordaniens et égyptiens, pour dire donc qu’il n’y avait pas un complot anti-islamique comme semblait le suggérer M. Mansour. M. Boutros l’invitant pour la énième fois de regarder les évènements non pas du point de vue partisan en accord avec son propre engagement, M. Mansour ayant été taxé de « Khouangiste », « c’est-à-dire de Frère musulman, ce que M. Mansour ne s’en défendra pas. Mais d’un point de vue plus large et surtout d’accepter la contradiction et le point de vue des autres, l’idée de vérité absolue que défendrait M. Mansour serait, selon lui, à bannir. Un téléspectateur de Bosnie viendra au téléphone conforter la position de M. Mansour en apportant son témoignage, disant que les musulmans auraient subi une sorte de discrimination s’agissant de leur accès aux armes, ce qui n’aurait pas été le cas des autres groupes religieux, ce qui va dans le sens de la thèse des musulmans victimes du monde occidental, cultivée par les groupes extrémistes arabes, thèse avec laquelle M. Mansour se trouve en parfaite harmonie.

M. Mansour ne manquera pas l’occasion de poser la question qui fâche en demandant à M. Ghali de s’expliquer sur l’accusation qui a été portée conte lui par la presse américaine qui l’avait accusé d’avoir favorisé un parent à lui, en plus de son beau-frère (le frère de son épouse), dans l’attribution de marchés dans le cadre du programme « pétrole contre nourriture » qu’il avait mis en place en 1996, cette presse signalant qu’il aurait placé en son nom quatorze millions de dollars à la Banque Nationale de Paris. Sur ces deux accusations, M. Boutros Ghali commencera par préciser que s’il avait signé cet accord avec l’Irak qui a conduit à la mise en place de ce programme, ce dernier n’a commencé à être mis en oeuvre que deux années après son départ du Secrétariat général des Nations unies et, donc, de ce fait, il ne pouvait favoriser ses parents dont le premier, donné pour son cousin, n’aurait en fait qu’une ancienne filiation avec lui laquelle remonterait à la cinquième génération.

Quant à l’histoire de la Banque Nationale de Paris, son choix comme banque devant abriter les fonds provenant de la vente du pétrole irakien, ce choix a été dicté par le refus des Américains de retenir des banques suisses, préférant des banques américaines, alors que les Irakiens préféraient les banques suisses aux banques américaines. Il s’agissait donc d’un choix de compromis qui n’avait donc aucun lien avec les intérêts personnels de M. Boutros Ghali qui n’en a retiré aucun avantage matériel. C’est du moins, selon M. Ghali, ce qui sortira du rapport de la Commission Volker qui a été chargée de diligenter par les Nations unies d’une enquête en vue de faire la lumière sur l’exécution de ce programme, et laquelle a déjà produit un pré-rapport où la personne de M. Boutros Ghali n’est pas citée en tant que personne suspecte...

Sur le conflit israélo-arabe et sur l’accord de Camp David de 1979 qui a divisé le monde arabe, M. Boutros Ghali, grand admirateur du président Anwar Es-Sadate et son ministre d’Etat des Affaires étrangères, maintiendra ses appréciations antérieures sur l’importance de cet accord en en disant le plus grand bien. Pour M. Ghali, le président Sadate serait le plus grand dirigeant arabe des temps modernes alors que ce dernier continue à être considéré par les autres pays arabes, dirigeants et populations, comme le traître absolu, ce qui marquerait, selon lui, que certains dirigeants et autres penseurs arabes continuent à véhiculer des pensées moyenâgeuses obscurantistes, en refusant de s’inscrire dans une logique moderne qui prenne en compte les réalités telles qu’elles sont et à comprendre que, dans ce conflit, Israël constitue une province américaine et qu’un conflit avec ce pays signifie un conflit avec les Etats-Unis d’Amérique.

En cela, M. Boutros Ghali n’a pas tort. Les Arabes veulent continuer la guerre avec Israël mais à condition que l’Egypte soit à la tête de ce combat, ce que M. Sadate s’est refusé de faire, préférant négocier avec les « Américano-Israéliens » plutôt que de leur faire la guerre, puisque l’Amérique et Israël ne forment qu’un seul et même pays que ni l’Egypte ni les Arabes ne peuvent vaincre ni aujourd’hui ni demain. Sur le processus de paix en cours entre Palestiniens et Israéliens et sur la paix en général entre Israël et les pays arabes et sur la question de savoir pourquoi les Arabes ne feraient pas comme les Vietnamiens, s’agissant de négocier cette paix, ce qui suppose en position de force et non en position de faiblesse comme ils sembleraient le faire, M. Boutros Ghali dira que la situation était différente. Les Arabes ont été vaincus en 1973 bien que leurs armées aient enregistré quelque succès au tout début du déclenchement de celle-ci, dont le franchissement du Canal de Suez. Les Israéliens ont encore une fois emporté la décision finale, ce qui n’était pas le cas des Vietnamiens... Comme la bêtise n’a pas de logique, elle ressurgit souvent là où l’on ne l’attend pas.

Voilà M. Mansour demandant à M. Boutros Ghali pourquoi les Arabes dans leur conflit avec les Etats-Unis en Irak et avec les Israéliens, ne feraient-ils pas comme les Somaliens qui auraient fait fuir les Américains de Somalie et le Hezbollah au Liban lequel aurait contraint, militairement s’entend, Israël à se retirer du Sud-Liban. M. Boutros aura encore une fois à rappeler à M. Mansour qu’il faudrait que le monde arabe cesse de vivre dans l’illusion et le rêve utopique et à apprendre à lire et à examiner les faits tels qu’ils sont. Le fait d’avancer de pareilles contrevérités ne sert pas les intérêts des Arabes dont les problèmes dont ils souffrent sont à rechercher dans leurs propres sociétés, plutôt que d’aller chercher des explications dans les pressions et agressions qu’ils subiraient de l’extérieur... Le choix de la Somalie, un pays totalement déchiré et ravagé, qui aurait remporté une victoire sur le Etats-Unis, est l’exemple même de cet état d’esprit majoritaire dans le monde arabe qui consiste à confondre le rêve et la réalité... A deux lieues de là, en Palestine, les milices armées ne cessent dans leurs déclarations de fêter la défaite militaire d’Israël à Gaza, tout en s’inquiétant de la lenteur avec laquelle ce dernier évacue cette région... Israël ne quitterait pas cette région en application d’un accord avec la communauté internationale, mais parce qu’il aurait été vaincu militairement par les milices armées palestiniennes... alors que l’on croyait en avoir fini avec ce genre d’affirmation que M. Boutros a patiemment rejeté par une explication beaucoup plus pédagogique que politique. Voilà qu’aux confins de la région arabe, une voix se disant sahraouie se faisait entendre au téléphone pour demander à M. Boutros Ghali combien d’argent il aurait reçu du roi Hassan II, lui et M. De Cuellar, son prédécesseur au poste de Secrétaire général de l’ONU, pour saboter le processus du référendum au Sahara-Occidental... Cette question, par sa bêtise, a eu l’heureuse fonction de réconcilier M. Boutros et M. Ghali qui se sont retrouvés pour en rire ensemble...

Par B. Hachemane, quotidien-oran.com