Accueil > PORTRAITS > Maria Nowak la banquière des exclus

Maria Nowak la banquière des exclus

lundi 4 avril 2005, par Hassiba

La voix est douce, le regard bienveillant : "Le jour où j’ai compris que l’on pouvait agir pour permettre aux gens de changer leur vie, alors je me suis engagée." Maria Nowak, présidente de l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE), a le triomphe modeste.

La semaine du microcrédit, qui se tient depuis le 31 mars et jusqu’au 7 avril dans le cadre de l’année lancée par les Nations unies, est pourtant un peu sa consécration.

Seize ans après avoir importé en France ce concept de "prêts solidaires" destinés aux chômeurs ou aux RMistes qui n’ont pas accès au crédit bancaire, l’ADIE peut se targuer d’avoir contribué, via les 29 000 prêts de 5 000 euros maximum accordés, au développement de quelque 25 000 entreprises et à la création de 30 000 emplois.

A 70 ans, cette femme d’origine polonaise n’entend pourtant pas se reposer sur ses lauriers. A un âge où beaucoup aspirent à une retraite bien méritée, elle continue à parcourir le monde pour porter la bonne parole du crédit solidaire, la mission de sa vie. "Elle vit à 100 % pour sa cause. C’est quelqu’un d’extrêmement engagé, qui a une force de conviction inégalée au sein de l’ADIE", dit d’elle un permanencier de l’association.

"C’est une femme de courage, qui mérite d’être soutenue", ajoute Laurent Fabius, qui l’avait appelée en 2000 au ministère de l’économie et des finances comme conseillère spéciale, chargée de réfléchir aux moyens de simplifier les processus de création d’entreprises. "Naïvement, je pensais que je pourrais faire bouger les choses rapidement. En fait, je me suis aperçue qu’il faut des années pour y arriver", se désole encore Maria Nowak.

Diplômée de Sciences-Po et de la London School of Economics, elle aurait pu faire carrière dans l’administration ou dans la politique. Elle a préféré s’intéresser au développement économique des pays pauvres. Un choix fait après un voyage en Guinée, à tout juste 20 ans. Titulaire d’une thèse sur l’économie rurale, elle entre à la Caisse centrale de coopération économique, qui deviendra l’Agence française de développement, où elle se spécialise sur l’Afrique. En 1990, elle sera détachée à la Banque mondiale.

Son engagement dans la coopération lui a laissé "pas mal de déceptions", dit-elle. Mais il lui a permis, en allant sur le terrain, de prendre conscience de certaines réalités. Elle évoque avec émotion sa rencontre avec le petit Moussa à Bobo Dioulasso, au Burkina. "J’étais là en mission pour l’Agence française de développement, il s’approcha de moi pour cirer mes chaussures. Elles étaient en toile (...), mais cela ne nous a pas empêchés de discuter." Elle se rend compte que la moitié de l’argent gagné par le gamin allait au propriétaire de la brosse et du cirage. "Ce fut un vrai choc. Le patron confisquait toute la plus-value du travail de Moussa !", s’indigne-t-elle encore.

Une autre rencontre, en 1985, va changer le cours de sa vie, celle de l’économiste bangladeshi Mohammed Yunus, le pape du microcrédit avec sa Grameen Bank. Elle persuade l’AFD puis des banquiers de développer le concept en Afrique. Le succès est immédiat. "Pourquoi ne pas transposer ce modèle en France et donner une chance aux exclus ?", se demande-t-elle alors. Mais, à l’époque, les banques prêtent l’argent et les associations apportent l’aide sociale. Après avoir essuyé plusieurs réponses négatives, Maria Nowak commence à désespérer.

Au début de 1988, Jean-Baptiste de Foucauld, futur commissaire au plan et président de l’association Solidarités nouvelles face au chômage, la reçoit. "Connaîtriez-vous quelqu’un qui pourrait mettre en oeuvre ce projet en France ?", lui demande-t-elle. "Il n’y a que vous qui le ferez", lui répond-il. C’est le déclic. Maria Nowak décide de sauter le pas en créant sa propre association. "Elle est un exemple de courage et d’énergie, commente aujourd’hui M. de Foucauld, admiratif. Bien sûr, l’ADIE ne règle pas les problèmes de ceux qui n’ont pas de projet et qui veulent être salariés, mais son combat contribue à lutter contre l’exclusion, c’est ça qui est positif."

Qu’on ne s’y trompe pas : Maria Nowak ne fait pas dans la charité. "Il faut arrêter de penser les problèmes de pauvreté en terme de dons, de charité et d’opérations ponctuelles." Elle n’hésite pas à dénoncer la tendance à l’assistanat de la politique sociale française et le manque de soutien pour ceux qui veulent entreprendre. "Même s’il vit misérablement, un RMiste a une forme de sécurité. Il a la protection sociale. S’il devient entrepreneur, il la perdra rapidement. En France, l’esprit d’entreprise ne manque pas, mais il est cassé par un environnement peu favorable", regrette-t-elle. Elle attend impatiemment l’exonération des charges sociales pendant trois ans pour les entreprises placées sous le régime du microcrédit.

Elle concède néanmoins que, lentement mais sûrement, les mentalités évoluent. "On arrive à un moment où on sent une sorte de cristallisation autour de l’idée qu’un chômeur ou un RMiste, ça peut être un entrepreneur, déclare-t-elle. Il y a dix ans, l’ANPE ne voulait pas discuter avec nous ; aujourd’hui, elle nous envoie du monde."

Le ressort secret de Maria Nowak est peut-être à chercher dans son enfance polonaise. Sa maison incendiée, sa mère et l’un de ses frères roués de coups par les soldats nazis, son père résistant qui avait quitté le foyer dès le début de la guerre, sa culpabilité d’être restée en vie quand beaucoup ont été tués... De famille d’accueil en hospice, elle arrive à Paris, en 1946, où elle retrouve sa famille. Elle tente de raconter, mais les mots ne viennent pas. Pendant très longtemps, elle n’a pas été capable de relater ces souvenirs. "Quand on survit à des circonstances un peu tragiques, on se dit "pour quoi faire ? J’aurais pu oublier mon enfance et assurer ma carrière professionnelle. J’ai préféré donner un sens de solidarité à ma vie."

Par Nathalie Brafman, lemonde.fr