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Ouzbékistan : quelle sortie de crise après Andijan ?

vendredi 20 mai 2005, par nassim

Il est toujours difficile d’analyser à chaud des événements tels que ceux qui se sont déroulés récemment dans la ville d’Andijan, dans l’est de l’Ouzbékistan, d’autant que les détails précis de cette tragédie ne sont pas encore complètement éclaircis.

Le gouvernement ouzbek accuse les islamistes d’être derrière l’insurrection avec pour objectif l’instauration d’un état islamique en Asie centrale. Si cet objectif apparaît comme irréalisable, une opération des islamistes aurait pu avoir pour but de pousser le régime ouzbek, connu pour ses méthodes expéditives, à une répression brutale afin de creuser encore plus le fossé entre la population et le gouvernement et de provoquer une réaction de la communauté internationale et plus spécifiquement des Etats-Unis. En effet, en dépit de violations régulières et avérées des droits de l’homme en Ouzbékistan, l’administration américaine s’est retenue de trop condamner le régime ouzbek qui est son partenaire stratégique en Asie centrale et qui lui a permis d’installer une base militaire proche de la frontière afghane après le 11 septembre 2001.

D’autres sources font état d’une insurrection spontanée dont l’origine profonde serait une situation économique et sociale catastrophique et dont le phénomène déclencheur serait le procès injuste de 23 hommes d’affaires, certes musulmans croyants, mais accusés à tort d’appartenir à la mouvance islamiste.

Il se pourrait que les deux versions soient vraies. Il est encore trop tôt pour juger. Néanmoins, force est de constater que l’Ouzbékistan a été, depuis 1991, en proie à l’islamisme et que la politique de répression tous azimuts du gouvernement et l’absence de réformes économiques ont radicalisé une population sujette depuis la fin de l’URSS à des conditions de vie des plus mauvaises.

En tout état de cause, les conséquences potentielles des événements d’Andijan sont préoccupantes. En effet, ils se sont produits dans la zone la plus instable de l’Asie centrale, la vallée du Ferghana. Partagée entre trois pays, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan, la vallée est l’objet de litiges frontaliers entre ces trois pays et a déjà été le lieu non seulement d’actions armées de la part des islamistes mais aussi de tensions et d’affrontements interethniques entre Kirghizes, Tadjiks et Ouzbeks. D’autres villes ouzbekes de la vallée pourraient être touchées par la vague d’agitation, comme cela a déjà été le cas pour Pakhtaabad et Karasu. L’instabilité pourrait aussi se répandre aux parties kirghize, osh, tadjike de la vallée, à Khodjent, où des conditions similaires prévalent, notamment en termes socio-économiques. Il est important de rappeler que la « révolution des tulipes » au Kirghizstan est partie de la ville de Osh (majoritairement peuplée d’Ouzbeks), en grande partie du fait de l’extrême pauvreté qui y règne.

Nous pourrions assister a une flambée de violence politique et sociale, manipulée ou non par des mouvements islamistes, d’autant que la vague démocratique qui agite en ce moment les ex-républiques soviétiques a généré des attentes au sein de populations qui, depuis la fin de l’URSS, ont vu leurs conditions de vie se détériorer.

Si une libéralisation du régime ouzbek apparaît difficile, quoique faisable, celle-ci ne réglerait pas les problèmes socio-économiques. En l’absence d’une résolution de ceux-ci, il y a fort a croire que les tensions persisteront en Ouzbékistan et dans les pays voisins. Après les événements de la place Tiananmen de 1989, le gouvernement chinois a réussi à mettre en place des réformes économiques dont les résultats relativement rapides ont permis d’absorber le mécontentement populaire et de résorber partiellement la pauvreté. Le gouvernement ouzbek a, jusqu’à présent, adopté une approche graduelle qui n’a pas permis de sortir le pays de la crise. Le maintien du contrôle étatique sur l’activité économique a empêché le développement du pays qui pourtant est riche en matières premières. Plus spécifiquement, la perpétuation d’une agriculture étatisée dominée par la culture du coton, une des principales ressources en devises, notamment dans la vallée du Ferghana, est à l’origine des blocages actuels de la réforme agraire et de la refonte du système d’irrigation qui nécessitent des investissements très importants. Le système semble donc bloqué sans stratégie de sortie de crise quand bien même le président Karimov quitterait le pouvoir.

Sans une aide internationale conséquente, il est illusoire de croire qu’une démocratisation du régime permettra de faire évoluer la situation. Depuis les années 90, profitant d’un retrait partiel de la Russie de son ancien empire, les Etats-Unis n’ont cessé d’accroître leur présence en Asie centrale tant en raison des ressources pétrolières de la région que de son positionnement stratégique après le 11 septembre 2001. Pour autant, l’aide au développement est restée modeste comparativement à d’autres régions du monde. Les seuls réels investissements étrangers ont été dans le domaine pétrolier. L’agriculture et les infrastructures publiques n’ont pas reçu l’attention qui aurait dû leur être accordée.

Les événements d’Andijan ne sont pas sans effet sur la lutte d’influence à laquelle se livrent les Etats-Unis et la Russie en Asie centrale et dans le Caucase. La vague de révolutions démocratiques dans les ex-républiques soviétiques, soutenues et financées par des fondations américaines, est perçue par Moscou comme un moyen supplémentaire d’y réduire l’influence russe. Pour autant, la déstabilisation actuelle de l’Ouzbékistan ne sert pas les intérêts des Etats-Unis qui, jusqu’à présent, ont soutenu le président Karimov. En ce sens, les événements d’Andijan constituent un problème épineux pour l’administration américaine et soulignent les limites de sa politique de promotion de la démocratie dans cette partie du monde.

Par BORIS EISENBAUM (Spécialiste du monde post-soviétique, consultant auprès d’organisations internationales, et auteur d’un livre publié en mars 2005 aux éditions Grasset : « Guerres en Asie centrale, luttes d’influence, pétrole, islamisme et mafias 1850-2004. »), lefigaro.fr