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Palestine, la stratégie des petits pas

mardi 15 février 2005, par Hassiba

Un cessez-le-feu et des mesures de détente telles que la libération de 900 prisonniers palestiniens sur les 8 000 détenus actuellement, le transfert aux forces de police palestiniennes du contrôle de cinq villes de Cisjordanie constituent les principaux points officiels de l’accord survenu entre Ariel Sharon et Mahmoud Abbas le 8 février en Egypte.

Cet accord, certes hautement politique, ne constitue pas un engagement israélien à des négociations sur les questions de fond. Car Ariel Sharon a rappelé qu’il voulait mettre en œuvre son plan unilatéral de désengagement de la bande de Ghaza et de certains secteurs du nord de la Cisjordanie, avant de discuter d’un accord de paix sur le long terme. D’où la crainte palestinienne que ce retrait ne se substitue à un véritable plan aboutissant à la création d’un Etat palestinien.

Enfin, le retour des ambassadeurs d’Egypte et de Jordanie en Israël à l’issue de ce sommet confirme-t-il l’éloignement d’une perspective de solution globale dans un Proche-Orient fragmenté ou le signe d’évolutions liées à la question irakienne ?

Quatre ans après les accords de Taba, processus de négociation supposé finaliser les questions en litige entre Israéliens et Palestiniens -droit au retour des réfugiés palestiniens, statut d’El Qods notamment- l’accord de cessez-le-feu du 8 février 2005 à Charm El Cheikh en Egypte constitue-t-il une percée significative ? Les réponses divergent : événement politique pour les uns, première étape vers la relance du plan de paix pour d’autres et maigres résultats, selon certains analystes. Une chose est sûre. Le sommet israélo-palestinien, impliquant les Etats-Unis et l’Egypte, n’a pas réactivé précisément le processus de paix, c’est-à-dire les problèmes de fond du conflit, même si les aspects sécuritaires qui ont prévalu à Charm El Cheikh figurent dans la « feuille de route », dont la première phase n’a pas encore été appliquée.

La dominante sécuritaire

Les accords conclus en Egypte prévoient un cessez-le-feu. Primo, une fois la fin des opérations militaires israéliennes décrétée, les deux parties reprendront leur coopération. Ainsi, dans les zones sous contrôle palestinien, les Israéliens travailleraient en collaboration avec les forces de sécurité palestiniennes. Secundo, Israël libérera immédiatement 500 prisonniers palestiniens dans un premier temps et 400 autres ultérieurement sur les 7 600 officiellement recensés. Tertio, Israéliens et Palestiniens devraient ensuite superviser le retrait graduel des forces israéliennes déployées dans cinq villes de Cisjordanie et dans la bande de Ghaza. Selon les termes du sommet, Israël transférera aux forces palestiniennes le contrôle de cinq villes de Cisjordanie d’ici à trois semaines. Jéricho est la première ville concernée. Le transfert d’autorité signifie qu’« Israël autorise des policiers armés palestiniens à se déployer dans la zone sous leur contrôle ».

Mahmoud Abbas a été invité au ranch de Sharon qui, de son côté, souhaite que la prochaine réunion bilatérale se tienne à Ramallah. Autre conclusion de la rencontre de Charm El Cheikh, l’Egypte et la Jordanie ont annoncé le retour prochain de leurs ambassadeurs en Israël, qui avaient été rappelés après le début de la seconde Intifadha, en 2000. La libération d’un quota de prisonniers, décrétée le 12 février, et le transfert graduel entrent dans le cadre de ces engagements pris à Charm El Cheikh et de ce qu’Ariel Sharon nomme « les mesures de confiance ». Ces mesures sont jugées cependant insuffisantes par les Palestiniens qui réclamaient la libération totale de tous les prisonniers. De plus, si les Israéliens ont autorisé un contingent d’ouvriers palestiniens du bâtiment à travailler, les accords n’ont pas permis la levée des bouclages, autrement dit la circulation des Palestiniens, et par conséquent une amélioration substantielle de leurs conditions de vie particulièrement dénoncées par les organisations humanitaires internationales.

Le cessez-le-feu n’est pas nouveau côté palestinien. En 2003, le mouvement national palestinien avait décrété une trêve à la demande de Abbas dans le cadre du lancement de la « feuille de route » à Aqaba. Elle avait été rompue suite aux opérations israéliennes et à la radicalisation de sa politique d’assassinats ciblés. Le 21 janvier 2005, Abbas a obtenu du Hamas, pourtant en désaccord sur le renoncement à la résistance armée, une trêve en perspective des contacts israélo-palestiniens. A l’issue de sa rencontre avec Abbas le 12 février, Mahmoud Zahar, responsable du Hamas, a confirmé que son mouvement respectera le « calme le temps de voir si l’Etat hébreu cesse ses activités militaires et ses assassinats ciblés et s’il rend publics les critères de libération des prisonniers palestiniens. Jusqu’à ce moment, nous maintenons notre précédent engagement avec M. Abbas et nous allons voir comment les Israéliens réagissent ». Pour ce qui est des Israéliens, l’infléchissement, qui ne va pas cependant jusqu’à la levée totale des bouclages, la remise en cause de la construction du mur ou une promesse officielle d’application de la « feuille de route », faut-il l’imputer à des pressions américaines, liées essentiellement aux objectifs stratégiques de l’équipe Bush en Irak et au Moyen-Orient dans sa globalité ? Et notamment apaiser quelque peu le front palestinien quand le problème irakien est loin d’être résolu ? Outre le fait qu’une « accalmie » en Palestine et des promesses de relance du plan de paix, strictement bilatéral, exclut la Syrie, à terme, d’une paix.

La sécurité au profit d’Israël

L’annonce de la tournée prochaine du général William Ward, nommé coordinateur spécial pour « aider les Palestiniens dans le domaine sécuritaire » en Israël, en Jordanie et en Egypte, pourrait plaider dans ce sens alors que la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice a une nouvelle fois usé de menaces à l’égard de Damas. Le retour en force d’une diplomatie égyptienne à laquelle l’administration Bush, en 2000, semblait préférer les bons auspices jordaniens est l’autre fait marquant de cette évolution.A la question de savoir si le sommet de Charm El Cheikh avait abordé le volet israélo-syrien des négociations de paix, Nabil Chaath, le ministre palestinien des Affaires étrangères a répondu : « Bien sûr, nous avons réclamé que les efforts continuent sur les volets syrien et libanais et c’est ce qu’a aussi souligné le président Hosni Moubarak. »

Jugeant positif le sommet, la Syrie n’en a pas moins demandé quelques jours plus tard la relance de l’initiative arabe. Or, le sommet de la Ligue arabe à Beyrouth conditionnait une normalisation complète avec Israël à la proclamation d’un Etat palestinien sur la base des frontières de 1967. « Malgré la décision de l’Egypte et de la Jordanie de renvoyer leurs ambassadeurs en Israël, celui-ci n’a même pas, au moins, exprimé sa volonté de mettre un terme à l’occupation et arrêter le processus de construction du mur d’apartheid, qui s’accélère dans les régions de Salfit, Bethléem, Hébron [Al Khalil] et Jérusalem, ce mur qui va détruire le projet national d’établir l’Etat palestinien indépendant. En résumé, tout ce qui s’est passé à Charm El Cheikh a mis l’accent sur l’objectif israélien de déplacer le conflit israélo-palestinien en engagements sur la sécurité et d’éluder les droits nationaux du peuple palestinien », a déclaré, le 8 février, le collectif palestinien pour une « Initiative nationale palestinienne », en rappelant aussi que « l’accord de ‘‘cessez-le-feu’’ n’a pas conclu à l’enlèvement de 700 check-points et barrages qui étouffent la vie des Palestiniens. Il ne s’est pas engagé à libérer tous les prisonniers palestiniens, ce que revendique le peuple palestinien, et alors que la direction palestinienne s’est engagée pendant la campagne électorale à ne pas conclure un accord sans la libération de tous les prisonniers ».

Etape ou finalité ?

L’Initiative nationale palestinienne, qui dénonce les accords intérimaires, réclame en conséquence « une conférence internationale qui ramène le processus sur la base du droit international et les résolutions des Nations unies, en premier la résolution de CJI de La Haye ». De facto, la majorité des Palestiniens, les plus acquis sur le plan politique aux accords du 8 février, attendent une véritable relance du processus de paix, inquiets que le plan de retrait d’Ariel Sharon marque « la fin d’un processus ».

Autrement dit, le renoncement aux objectifs stratégiques qui sont l’indépendance de la Palestine. « Je suis tombé d’accord avec le Premier ministre israélien Ariel Sharon pour mettre fin à tous les actes de violence contre les Israéliens et les Palestiniens où qu’ils soient », a déclaré M. Abbas lors de son allocution prononcée devant Sharon, le président égyptien Hosni Moubarak et le roi Abdallah II de Jordanie. « Le calme que nos territoires connaîtront à partir de ce jour signale le début d’une nouvelle ère, un début pour la paix et l’espoir. Ce que nous avons annoncé aujourd’hui est l’application de la première clause de la feuille de route [...] et une étape essentielle nous offrant une occasion de remettre le processus de paix sur les rails, redonnant aux deux peuples espoir et confiance en la possibilité de parvenir à la paix. »

Mais Ariel Sharon exprimera, lui, sa « détermination à appliquer le plan de retrait de la bande de Ghaza ». Ce retrait « peut ouvrir la voie à l’application de la feuille de route ». La paix au Proche-Orient, selon le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, président en exercice de l’Union européenne, « passe par l’entente entre les parties directement intéressées et la bonne entente entre Américains et Européens ». Le rapprochement euro-américain suppose-t-il un retour au multilatéralisme et dans le cas du problème national palestinien, une plus grande implication internationale en faveur du droit et de la légalité ?

Par Chabha Bouslimani, latribune-online.com