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Rabat : de l’alliance avec Washington aux ambitions régionales

mardi 14 décembre 2004, par Hassiba

Evitant les sujets qui « fâchent », le Forum de l’avenir a permis aux Etats-Unis de rassembler le maximum de soutiens politiques, tant à l’égard du GMO que de leur politique actuelle.

En abritant le Forum et en récoltant les déclarations flatteuses de la part des initiateurs du projet, le royaume chérifien attend des dividendes. Les obtiendra-t-il ?

Les responsables du G8 et de 23 pays arabes et musulmans se sont réunis les 10 et 11 décembre derniers à Rabat pour débattre du calendrier et de la nature des réformes à engager dans les pays musulmans dans le cadre du « Forum pour l’avenir ». Initié, défendu et promu par la diplomatie américaine, le Forum est présenté comme le prolongement du sommet arabe de Tunis en mai 2004 et du sommet du G8 à Sea Island (Etats-Unis) en juin de la même année. Mais il est surtout la seconde manifestation de l’initiative du Grand Moyen-Orient, supposée propulser et accélérer les réformes politiques et économiques de la Mauritanie au Pakistan à travers la lutte contre l’analphabétisme et la discrimination ainsi que l’assainissement de l’environnement économique. Le forum s’est achevé sur un engagement collectif à entreprendre davantage de réformes économiques. L’OMC, le G8, les institutions financières internationales et la Déclaration d’Agadir y sont désignés comme des références.

Plus concrètement, un fonds d’aide de 100 millions de dollars a été installé pour mettre en place une assistance technique destinée à promouvoir les activités des petites et moyennes entreprises pendant 3 ans. A propos du dossier du conflit Israël-Palestine, les positions ont divergé, entre l’urgence de lancer les réformes immédiatement et la nécessité de résoudre d’abord ce conflit qui pèse sur le bon déroulement des réformes. Pour les Etats-Unis, rien ne doit arrêter les réformes. En termes de réformes exemplaires, deux Etats sont cités en exemple, Bahreïn, celui qui abritera le second Forum de l’avenir, et le Maroc, l’Etat précurseur.

Pourquoi le Maroc ?

Le royaume chérifien a, dit-on, été choisi parmi une demi-douzaine d’autres candidats pour accueillir et organiser le « Forum pour l’avenir ». Ce choix traduit une réalité tendancielle relative à la nature des relations maroco-américaines. A titre d’illustration, le Maroc vient de conclure un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, le premier du genre conclu avec un pays africain et le second avec un pays arabo-musulman. Il est aussi désigné comme un modèle à suivre en termes de « politique de réformes courageuses ». Parmi celles-ci, les défenseurs du modèle marocain citent la création de l’« Instance équité et réconciliation », le 7 janvier 2004 (officialisée le 12 avril 2004). D’une durée d’un an, le mandat de cette instance porte sur l’investigation et l’analyse des événements survenus entre 1956 et 1999. Période durant laquelle des violations graves des droits de l’Homme auraient revêtu un « caractère systématique ou massif ». Parmi celles-ci sont citées les disparitions forcées et les détentions politiques. Cette instance n’est pas une institution judiciaire, mais doit permettre aux victimes de porter plainte et de demander réparation individuellement. Vingt mille dossiers sont parvenus aux 17 commissaires de l’IER. Un rapport sera remis en mars 2005. La question est : des recommandations dénuées de toutes sanctions suffiront-elles à empêcher que de graves violations des droits de l’Homme ne se reproduisent ? L’Union européenne semble emboîter le pas aux Etats-Unis. A titre d’illustration, le Maroc a obtenu 160 millions d’euros dans le cadre du programme MEDA, contre 115 millions en 2003. Cette somme fait que ce pays « est de loin en avance sur tous les pays de la région comme consommateur des subventions allouées dans le cadre du programme MEDA ». Le royaume bénéficiera également d’un total de 275 millions d’euros au titre du Programme indicatif national (PIN) 2005-2006, prévu dans le cadre du programme MEDA. Officiellement, le PIN vise à « soutenir les réformes entreprises par le Maroc dans les domaines économiques et de la mise à niveau de l’économie, de lutte contre la pauvreté et de consolidation de l’Etat de droit et à accompagner le processus de modernisation de l’administration publique ». Dans le cadre du budget de la Commission européenne qui sera voté en 2007, Rabat table sur une augmentation de 40% des subventions qui lui sont accordées au titre du programme MEDA.

Les opposants se font entendre

Cela dit, les arguments critiques vis-à-vis de la position marocaine ne manquent pas. Au niveau interne, plusieurs partis et associations marocaines laïques (Association marocaine des droits de l’Homme, AMDH) ou islamistes (Parti de la justice et du développement, PJD, troisième force parlementaire du royaume) et l’association islamiste Al Adl Wal Ihsane (justice et spiritualité) ont condamné ce forum. Concrètement, près de 40 000 Marocains, essentiellement des islamistes, ont manifesté le 28 novembre à Rabat pour exprimer leur refus et leur solidarité avec « les peuples frères d’Irak et de Palestine ». Ces prises de position ont été relayées par la presse marocaine islamiste et autres. Ainsi l’hebdomadaire francophone Tel Quel, proche des milieux financiers, a-t-il qualifié d’« indignité » et d’« humiliation du peuple marocain » l’organisation à Rabat de cette conférence.D’autres organisations mettent en avant les insuffisances du Maroc en matière de bonne gouvernance. Aussi l’association Transparency Maroc a-t-elle exhorté les pouvoirs publics à ratifier la Convention internationale pour la lutte contre la corruption. Convention signée en décembre 2003 sur la base des résultats de l’indice de la perception de la corruption (IPC). Rappelons qu’avec 3,2 comme indice, le Maroc est classé au rang 77 en 2004 au lieu de 70 en 2003. Cette régression est encore plus nette durant les cinq dernières années puisque le Maroc est passé du rang 45 avec un indice de 4,1 au rang 77 en 2004. « Il y va de la crédibilité de la signature de l’Etat, du respect de ses engagements et de l’image de marque que le Maroc voudrait donner de lui et de ses institutions. » Si la convention ne constitue pas une garantie en soi, elle peut amener le pays à renforcer ses lois contre la corruption, à créer des institutions de répression efficaces de ce phénomène et à prendre des mesures concrètes pour réduire l’abus de la fonction publique à des fins lucratives privées.

Au niveau international, l’unanimité n’est pas plus au rendez-vous. La France estime que les outils de concertation, de coopération et de développement avec les pays arabo-musulmans « existent déjà à l’instar du processus euro-méditerranéen décidé en 1995 à Barcelone ». Refusant la politique de la chaise vide, la France, représentée à Rabat par son ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a insisté pour que le « règlement des conflits » (Irak, Palestine) figure au centre de la déclaration finale. Dès l’annonce du projet, le président français avait déclaré : « Je suis favorable à une modernisation au Moyen-Orient mais pas à une ingérence. Nous devons insister sur la nécessité de prendre en compte une solution politique au conflit israélo-palestinien et à la guerre en Irak, conditions indispensables à toute initiative dans la région. »

Par Louisa Aït Hamadouche, La Tribune