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Régularisation des clandestins d’Espagne

jeudi 14 avril 2005, par nassim

Plus de 300 000 clandestins ont déjà fait des demandes pour être régularisés en Espagne.

contre-courant du durcissement des politiques d’immigration dans le reste de

Régularisation des clandestins d’Espagne

l’Europe, l’Espagne s’est lancée dans un vaste processus visant à régulariser la moitié du million de sans-papiers vivant dans le pays. Depuis le 7 février, plus de 300 000 demandes ont déjà été déposées et le rythme s’accélère à l’approche de la date butoir fixée au 7 mai. Mais, sur le terrain, la réalité est plus complexe.

Appelons-le Mohamed. Il est entré dans la cafétéria comme une bête traquée. Il jette des regards furtifs, terrorisé à l’idée d’être pris par la police et expulsé vers son pays d’origine, le Maroc. Venu clandestinement en Espagne via les Canaries il y a trois ans, il a débarqué ici, à Torre Pacheco, un gros bourg de la province de Murcie (Sud-Est) comptant près de 20 % d’immigrés. Un afflux récent, facile à expliquer : cette région agricole, où s’étendent à perte de vue les cultures de primeurs, est très demandeuse de main-d’oeuvre étrangère, prête à travailler pour 5 euros de l’heure.

Justificatif de domicile. Dès son arrivée, sur le conseil d’un parent, Mohamed, 29 ans, demande à être recensé à la mairie. « On me l’a refusé cette fois-ci, et une dizaine de fois depuis. On me demandait un passeport, un visa ou autres documents que je ne pouvais avoir. » Au mieux, la mairie exige un justificatif de domicile. Il partage une masure défraîchie avec une quinzaine de compatriotes, au sortir du bourg, paie 90 euros « seulement pour la location du lit », mais sa propriétaire lui refuse le papier requis « car elle [les] loge au noir ». En octobre 2004, Mohamed apprend que le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero prépare le plus vaste plan de régularisation jamais orchestré en Espagne. Depuis 1991, 580 000 immigrants ont déjà été régularisés.

« On s’est tous dit : c’est l’occasion en or », raconte Mohamed. Mais il lui faut prouver sa domiciliation dans une commune avant août 2004. « J’étais fou de rage. Quand je retourne à la mairie pour me plaindre, un message était affiché à l’entrée : "Ici, on ne recense pas les immigrés". » Depuis, les plaintes devant les tribunaux ne cessent de pleuvoir contre le maire de Torre Pacheco, Daniel Garcia, du Parti populaire (droite). Un recours en pure perte : ici, comme dans d’autres localités de la province, des milliers d’immigrés, marocains et équatoriens pour l’immense majorité, restent sur le carreau, faute du précieux document municipal.

Economie souterraine. Plus qu’ailleurs, cette région illustre les limites de l’ambition gouvernementale : légaliser massivement les travailleurs clandestins pour « faire affleurer l’économie souterraine ». A Murcie, les syndicats estiment à près de 100 000 le nombre des sans-papiers, à comparer avec 93 000 immigrés en règle. « Avec au moins 30 % de travailleurs clandestins, cette région bat tous les records d’illégalité », s’irrite Antonio Ludeña, du syndicat UGT.

Depuis le début des années 90, l’économie régionale connaît un boom continu (+ 6 % de croissance annuelle), grâce à l’essor de l’agriculture, de la construction et du tourisme. Dans ces secteurs à l’emploi saisonnier ou temporaire, les entrepreneurs locaux ont vu arriver comme un don du ciel une main-d’oeuvre étrangère, abondante, flexible et... sans papiers. « Cela a créé une culture d’entreprise très cynique : on peut enrôler à la pelle, disposer de bras dociles et congédier à la moindre plainte », dit Antonio Ludeña. Et de dénoncer une inspection du travail « inefficace » et des agences de travail temporaire « qui laissentleurs clients ne pas déclarer leurs salariés, voire les y incitent ».

Fausse identité. Côté patronat, on reconnaît que les entrepreneurs locaux doivent « changer de mentalité », mais on incrimine aussi les clandestins : « comme beaucoup se présentent sous une fausse identité, cela n’incite pas les patrons agricoles à les déclarer », confie Clemente Garcia, de la confédération patronale de Murcie. Le gouvernement encourage les sans-papiers à dénoncer les patrons qui refuseraient de les légaliser. Mais, en Murcie comme ailleurs, personne ou presque ne s’y risque. « La plupart des Marocains viennent de la campagne et ont été élevés dans une culture de la peur, confie Abdelkader, ouvrier agricole. Ils préfèrent se taire et faire le dos rond. »

Par François MUSSEAU, liberation.fr