Accueil > INTERNATIONAL > Vatican : Trois clés pour une succession annoncée

Vatican : Trois clés pour une succession annoncée

samedi 2 avril 2005, par Hassiba

Le pape est, d’abord, l’évêque de Rome. Comment ne pas rappeler cette évidence de la théologie catholique ? "Le pape n’est pas le président des évêques catholiques du monde, ni d’une sorte d’ONU catholique", martèle un théologien de bon sens.

Si le pape est "pasteur universel de l’Eglise", il est d’abord le successeur de Pierre, premier évêque de Rome.

Etre "évêque de Rome" n’implique pas que le titulaire du poste soit un Romain, ni un Italien. Toutes les origines nationales peuvent être envisagées, depuis que le verrou italien, en 1978, a sauté. Mais, dit Orazio Petrosillo, du Messagero "de même qu’on ne nommera jamais un évêque italien à Paris, il est exclu que le conclave choisisse demain un évêque de Rome qui ne connaisse pas parfaitement Rome et la langue italienne".

Les Italiens, qui ont fourni 203 papes (sur 263), sont-ils en mesure de retrouver leur suprématie dans un conclave qui fut toujours leur chasse gardée ? Avec vingt cardinaux en âge de voter, l’Italie sera encore le pays le mieux représenté, loin devant les Etats-Unis (11), le Brésil (4) ou la France (5), etc.

Mais elle ne pèse plus qu’un sixième du collège électoral, ce qui ne constitue même pas une minorité de blocage dans le cas d’une élection qui se joue à la majorité des deux-tiers. Rien n’est en outre plus hasardeux que de croire à des réflexes de solidarité nationale et même continentale. Il n’existe aucune discipline de vote au conclave. Les votes sont secrets et les électeurs du pape n’ont de comptes à rendre qu’à Dieu !

Il se trouve que l’Italie possède deux bons "candidats", théologiens classiques et "pasteurs" expérimentés, qui ont l’avantage de se trouver sur les deux sièges épiscopaux de la péninsule, traditionnels pourvoyeurs de papes. Dionigi Tettamanzi, 71 ans, archevêque de Milan, et Angelo Scola, 63 ans, patriarche de Venise.

Un pontificat court après un pontificat long. Après le pontificat flamboyant de Jean Paul II, les électeurs vont s’interroger sur l’option d’une "pause" à la tête de l’Eglise, sur l’opportunité de revenir à une papauté plus "romaine", de respecter une sorte de "transition", confiée à un administrateur plutôt qu’à un grand voyageur. Dans ce scénario, le paramètre de l’âge serait moins déterminant qu’en 1978. Pour succéder à Jean Paul Ier, élu à 66 ans mais en mauvaise santé, décédé trente-trois jours après, le conclave d’octobre 1978 avait eu la sagesse de désigner un homme jeune, Karol Wojtyla, 58 ans, personnalité énergique, vite choyée par les médias.

A un pontificat long, succède un pontificat court : la règle s’est souvent vérifiée. Elle risque de s’appliquer, de nouveau, après Jean Paul II qui a fait grimper la moyenne d’âge des cardinaux et restreint d’autant le vivier des papabili jeunes. Les électeurs de moins de 60 ans ne sont aujourd’hui que... cinq (sur 117).

Si on croise ces paramètres de l’âge et des qualités de gestion pour une Eglise en crise, on retrouve encore les deux noms, déjà cités, de papabili italiens, garanties d’expérience et de continuité, capables de quelques audaces réformistes (surtout chez Tettamanzi). Mais on ne peut exclure les chances d’un autre Italien, Giovanni-Battista Ré, 71 ans, qui connaît sur le bout des ongles les mécanismes de l’Eglise puisqu’il a fait toute sa carrière à la Curie, comme substitut (ministre de l’intérieur, soit le numéro trois), puis préfet de la congrégation des évêques.

Dans ce contexte d’une papauté de transition, les rumeurs portent aussi en avant un homme archi-connu à Rome : l’Allemand Josef Ratzinger, 77 ans, inamovible gardien de la doctrine depuis 1981, dont tout le monde convient à la Curie qu’il est " intellectuellement et spirituellement supérieur à tous les autres". Le cardinal Ratzinger a été élu en 2002 doyen du collège des cardinaux, ce qui fera de lui le "grand électeur" du prochain conclave, le "faiseur de roi", s’il ne devient pas roi lui-même !.

Le "parti internationaliste" contre le "parti italien". Si un historien catholique aussi réputé que Vittorio Messori voit l’élection d’un " pape italien un peu gris", honnête gestionnaire de l’héritage wojtylien, d’autres observateurs et électeurs ne font pas du tout ce calcul-là. A la secrétairerie d’Etat comme dans les milieux diplomatiques, on entend dire que les cardinaux seraient bien stupides d’élire comme pape un petit gestionnaire, à l’heure d’une "mondialisation" accrue et alors que l’Eglise, grâce à Jean Paul II, a atteint un niveau inégalé de puissance morale universelle. "Le pape n’est tout de même pas un simple PDG d’une entreprise appelée Eglise", s’exclame un ambassadeur.

Dans cette perspective "internationaliste", le conclave aura l’embarras du choix. "Si on ne revient pas à un pape italien, alors tout est possible !", s’exclame Giancarlo Zizola, l’un des vaticanistes les plus expérimentés. Tout est possible : sortir de l’Italie comme on l’avait fait pour Wojtyla en 1978, mais aussi sortir de l’Europe, c’est-à-dire rompre avec l’"européo-centrisme" millénaire de l’Eglise, admettre que l’Europe n’a pas le monopole éternel du gouvernement de l’Eglise. Ce sera recruter un pape dans l’un de ces continents du Sud où vit la majorité du milliard de catholiques.

Quelle révolution ce serait ! Et pourtant elle est à portée de main. A l’ouverture du conclave, 54 pays seront représentés. Ils n’étaient que 23 pour l’élection, en 1958, d’Angelo Roncalli, devenu Jean XXIII. Pour la première fois, l’Europe n’aura plus la majorité absolue. Avec 58 électeurs (sur 117), elle représente moins de la moitié des votants, alors qu’elle dépassait la barre des 50 % lors des deux conclaves de 1978. L’Amérique latine compte un solide bataillon de 21 cardinaux électeurs ­ plus que l’Italie ­ et l’Amérique du Nord quatorze.

Avec onze électeurs, l’Afrique aussi a progressé et avec onze aussi, l’Asie compte une proportion de cardinaux supérieure à l’importance réelle du christianisme dans ce continent des multitudes. Lorsque les électeurs s’enfermeront dans le secret de la Sixtine, jamais le collège n’aura paru aussi éclaté, pour des raisons géopolitiques, linguistiques et culturelles, et l’éventail du choix aussi ouvert.

La personnalité et le charisme de l’homme joueront un rôle plus décisif que son origine nationale. Or l’Amérique latine compte de belles pointures de cardinaux, capables de concilier un fort attachement à la tradition, une distance critique par rapport aux théologiens de la libération, mais une fidélité à ce que les évêques latino-américains ont longtemps défini comme une "option préférentielle pour les pauvres". A cet égard, Jose-Maria Bergoglio, 68 ans, archevêque de Buenos Aires, est souvent cité comme l’un des outsiders.

Mais le "parti internationaliste" a d’autres cartes en main. Jean Paul II a si souvent répété que l’Asie était le continent d’avenir de l’Eglise qu’on ne peut exclure le choix d’une personnalité asiatique. Le papabile en flèche est Ivan Dias, 68 ans, archevêque de Bombay (Inde), qui aurait le mérite de venir d’un de ces grands pays pauvres et d’y joindre une expérience déjà longue de la diplomatie de l’Eglise.

Bref, les clivages des anciens conclaves ­ choix d’un Italien ou d’un étranger, d’un "pasteur" ou d’un fonctionnaire de Curie, d’un conservateur ou d’un progressiste ­ sont brouillés dans l’Eglise de Jean Paul II. Et si la tentation est grande de parier sur la continuité (114 cardinaux électeurs sur 119 ont été nommés par Jean Paul II), on serait coupable d’oublier la liberté totale dont disposent ces hommes dans ce scrutin unique au monde.

Par Henri Tincq, lemonde.fr


Cinq autres successeurs possibles
Giovanni-Battista Ré, 71 ans,né le 30 janvier 1934, près de Brescia en Lombardie. Préfet de la congrégation des évêques. L’homme qui, à la Curie romaine, a la plus grande confiance de Jean Paul II. Il connaît tous les évêques, mais n’a pas d’expérience directe de "pasteur" de terrain.

Christoph Schönborn, 60 ans, archevêque de Vienne (Autriche), proche du cardinal Ratzinger et ouvert au dialogue avec l’orthodoxie orientale. Mais (indirectement) atteint par les scandales de moeurs qui ont secoué l’Eglise autrichienne, on le dépeint comme dépressif.

Oscar Andres Rodriguez Maradiaga, 62 ans, archevêque de Tegucigalpa (Honduras), né le 29 décembre 1942 à Tegucigalpa. Ancien secrétaire général du Conseil épiscopal latino-américain (Celam), il maîtrise une dizaine de langues, enseigne les maths et la psycho, est pianiste et saxophoniste à ses heures perdues ! Très médiatique, on lui reproche de ne pas avoir la carrure pour un tel poste.

Claudio Hummes, 70 ans, archevêque de Sao Paulo, né le 8 août 1934 à Montenegro, dans le Rio Grande do Sul. Il vient d’un grand pays catholique, le Brésil, était proche du syndicaliste Lula, mais a pris ses distances avec les courants progressistes de l’Eglise populaire du Brésil.

Francis Arinze, 72 ans, préfet de Curie, né le 1er novembre 1932 près d’Onitsha (Nigeria). La seule vraie chance d’un pape noir. A été archevêque d’Onitsha avant d’être appelé en 1984 à la Curie romaine. Longtemps président du conseil pontifical pour les affaires interreligieuses, il passe pour un champion du dialogue avec l’islam modéré. Une carte intéressante dans le contexte actuel.