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Yennayer dans les villages kabyles

lundi 10 janvier 2005, par Hassiba

Les familles de Kabylie s’apprêtent à fêter le nouvel an berbère. Loin de tout tapage officiel. Au menu, un bon couscous à déguster près de l’âtre et... quelques légendes.

Le ou les coqs choisis ou sur lesquels était toujours jeté le dévolu, c’étaient ces “abousliman” ou “ayazid unciw u negred”, ce type de coq bien en chair bariolé de couleurs, tout noir ou encore tout à fait blanc, doté d’un cou déplumé naturellement à l’éclosion.

Aujourd’hui, ce type de gallinacés bien trapus ont tous pratiquement disparu. Élevés au grain dans les basses-cours de la ménagère, ces coqs sont réputés pour leur violence dans les combats qui aboutissent fréquemment à la mort. Généralement, le coq perdant, tout ensanglanté à la fin du combat, fini par mourir. Même le coq vainqueur n’y échappe que rarement. Ceux qui survivent meurent au bout de quelques jours après leurs adversaires, succombant donc à leurs multiples blessures. Mais les éleveurs les abattaient eux-mêmes, généralement, pour les consommer avant qu’ils ne succombent car le volatile est reconnaissable à son état s’il survit ou pas au bout de un ou deux jours du combat. Par ailleurs, les préparatifs et les denrées nécessaires sont essentiels pour réussir une parfaite saveur au repas de Yennayer. Les ingrédients que demande la sauce au poulet de Yennayer nécessite principalement des pois chiches trempés la veille, des haricots à l’œil noir, appelés communément “haricots kabyles”, ainsi que des lentilles. Ceci pour les céréales ; certaines femmes spécialistes du plat ajoutaient de légères poignées de grains de blé. Pour les légumes, il est souvent recommandé des courgettes, des navets, des carottes et des pommes de terre. Ainsi, ces ingrédients donnent un goût incomparable à la sauce avec laquelle le couscous est arrosé. Celui-ci est généralement roulé dans la journée à base d’un mélange de semoule, la supérieure et celle de blé, auxquelles il est souvent ajouté un soupçon de semoule d’orge, ce qui aromatise et “enjolive” avec une couleur brunâtre l’appétissant couscous.

Jadis, des ménagères évitaient de réaliser des régals trop délicieux, sinon il ne restera rien à réchauffer le lendemain, car un couscous qui survit au lendemain pour être réchauffé dans un récipient de terre cuite offre un goût divin.

Au village ou dans le quartier, le couscous est choisi le même jour pour célébrer cette fête du Yennayer (imensi u seggas), autrement dit le dîner du nouvel an. Dans la région, il existe un calendrier que véhiculent des personnes âgées, généralement ayant dans la mémoire les dates précises pour, notamment, l’utilité agricole, dont les paysans et les laboureurs avec des araires en bois et des bœufs, ne pouvaient se passer.

Lors de ce dîner, la mère de famille qui s’occupe de la répartition du poulet en parts plus ou moins équitables à tous les membres du foyer, regroupant très souvent le père, la mère, le fils, la fille, la “vieille”, la/ou les brus, les petits-fils parfois, se charge de cette “besogne” difficile en remettant les cuisses aux fils, les ailes aux filles, la tête revient, en plus de sa part, au vieux (tête pensante) ou à la vieille, la distributrice, etc. Cette méthode de répartition des parties du/ou des poulets - quand la famille est nombreuses, il est sacrifié jusqu’à trois ou quatre poulets - paraît d’elle-même “inique”, puisque les filles n’aient de pilon que si le frère veut faire l’échange de sa part, ou partie d’une part, avec la sœur. La raison invoquée est que “la fille est appelée à partir un jour ou l’autre pour bâtir un foyer, alors que le garçon restera toujours auprès de sa mère ; donc, il symbolise les jambes portant la mère, quel que soit ce que réserve l’avenir”.

Le repas de Yennayer a la particularité de rassembler le soir la famille dans toute sa grandeur, souvent autour du kanoun (âtre) - aujourd’hui autour du poêle de chauffage - notamment les filles mariées et leurs enfants, chez les parents.

Cette occasion est offerte par la soirée du Yennayer qui réunit les convives autour d’un thé, tandis que le matin, c’est le régal pour tous avec du café au lait et du thé accompagnés de savoureux beignets (sfanj). Le choix de la journée de ce sacrifice intervient en commun accord généralement avec tout le village, sinon le quartier, au matin du 11 ou 12 janvier pour que le repas soit prêt pour tous, le soir. Jadis, le sacrifice s’opérait souvent sur des dizaines de centimètres de neige.

Le coq “abousliman” vient d’une légende se rapportant à sidna Slimane. Celui-ci, dit-on, aurait fait une ruse à un serpent gigantesque qui, à partir de son antre dans la région de Cherchell, aspirait de loin, en sortant sa tête, toute personne s’aventurant vers lui, et qu’il avalait d’une traite.

Pour le tuer, Sidna Slimane l’aurait “invité” un jour à sortir et faire un bout de chemin ensemble. L’ophidien mythique, sentant la ruse, lui aurait dit qu’il ne sortirait pas sans promesse d’être épargné. Sidna Slimane lui aurait alors promis qu’il ne subirait que ce que “cette tête à subi”. Cette “promesse" était accompagnée du geste de la main montrant sa propre tête et touchant son turban dans le pli duquel était dissimulée la tête du coq au cou dénudé qu’il avait égorgé le matin même.

On dit que le serpent n’a terminé de sortir de son gouffre qu’après avoir atteint les plaines actuelles de Reghaïa. Ce serait le serpent tué par sidna Slimane qui aurait rasé et rendu plate toute cette région avec ses tortillons de plusieurs jours d’agonie avant de mourir définitivement. Le serpent aurait même dit à Sidna Slimane que pour savoir s’il a terminé de sortir de son antre, il verrait une lumière comme celle de l’aube du côté du gouffre, effet des reflets de la queue de ce mythologique serpent toute dorée et lumineuse. Ce serait à la vue de cette lumière que sidna Slimane aurait tranché la tête du légendaire python dévastateur. C’est ce que nous racontaient du moins nos grands parents.

Yennayer ameggaz...

Par SALAH YERMÈCHE, Liberté