Ait Menguellet Assefru
Le poème : subversion et rédemption
Il serait peut-être incompréhensible qu’un poète qui produit des merveilles, qui a révolutionné complètement le texte et la thématique de la poésie kabyle, ne nous éclaire pas sur le rôle de la poésie dans la société et sur la fonction des poètes. Aït Menguellet l’a fait à plusieurs reprises en nous apprenant la place du verbe et de la parole dans l’ordre social.
Il a aussi traité des difficultés et épreuves qui se dressent sur le chemin des aèdes modernes lorsqu’ils veulent faire parvenir le message de vérité à leurs concitoyens pour les sensibiliser sur des problèmes liés à la gestion politique et économique du pays. Dans toutes les contrées où sévissent le despotisme, la régression sociale, l’injustice et la discrimination, la société a produit ses propres défenseurs, ses agents de la culture, qui interpellent, mettent en garde, avertissent, à travers des strophes parfois clairement exprimées et d’autres fois soutenues par une rhétorique exigée par la situation de non-droit et d’arbitraire.
Mais, dans tous les cas de figure, de Pablo Neruda à Nazim Hikmet en passant par Eluard et Aragon, le ‘’discours’’ du poète ne peut se départir de cette esthétique fondamentale, de ces émotions, qui font qu’un poème n’est jamais un discours politique raide, sec ou désincarné. Cette jonction entre l’esthétique de la poésie et l’éthique de l’engagement social et politique est clairement visible et pleinement ressentie dans l’œuvre d’Aït Menguellet.
Dans la chanson éponyme de l’album Asefru, notre poète s’adresse aux siens qu’il invite à s’armer de poésie pour affronter la vie et aller de l’avant, comme il s’adresse aussi au prince qui veut réprimer les poètes sans rien comprendre à leur message.
"Ô toi rongé par la grandiloquence,
qu’a-t-elle épargné en toi ?
Tu crois avoir compris la vie
Et découvert sa faille.
Maintenant que tu comprends, sache-le :
Tu es cette faille-même !
Ce qu’il subit n’est jamais assez ;
Quiconque le contente par le verbiage.
Les futés lui prodiguent moult vivats
Et le ramènent sur la piste de danse.
Lassés, ils dépoussièrent la tunique
Et le laissent honteusement dévêtu dans l’arène".
Lounis présente le poème comme un viatique dont doivent se doter ses compatriotes pour faire face aux épreuves.
"Allons, commençons la marche.
Ami, déclame le poème.
Hier comme aujourd’hui,
C’est une halte pour notre fatigue.
Le fardeau qui pèse sur nos épaules
Se fera léger lorsqu’on se mettra à chanter.
Si nous cédons à l’injustice,
Le poème nous rendra sur le droit chemin.
Notre droit est-il à jamais perdu
Ou est-ce son tour qui tarde à venir ?
S’il vient après nous, nous l’attendrons ;
S’il nous devance, nous le rattraperons".
La situation du poète n’est jamais confortable. Il incarne, presque par définition, la subversion. De fait, la poésie panégyrique ou laudatrice se trouve exclue de ce champ de définition. Elle peut signifier tout sauf la sensibilité, l’émotion et la capacité d’indignation. Cette dernière, par son effet de contagion, ne peut plaire aux princes.
"Je trouve le barde en pleurs,
Il m’en expliqua la raison.
Son poème est pris par les autans.
Il ne sait où il a atterri.
Il craint qu’il tombe entre les mains du tyran
Qui comprendrait tout autre chose.
Le barde voudrait savoir
Si vous l’accompagnerez
Le jour où il sera interpellé".
Le barde interpellé, c’est toute la société qui, logiquement, est défiée. Mais, ni le poète ni le poème ne peuvent être effacés par la simple volonté d’un souverain. "Le poème gémira et courra ; il gagnera toutes les contrées. Quel que soit le nouvel ordre des choses, même si des gens meurent et d’autres naissent, il survivra à tous les temps".
S’adressant au prince du moment, le poète l’interroge :
"Que redoutes-tu que le poème te dise,
poème à qui tu as tracé des limites.
Tu l’as dissimulé, personne ne l’a entendu ;
Tu l’a enseveli sous terre.
Mais, comme un grain de blé, il a germé
Et poussé dans tous les coins ;
Il s’est multiplié en une profusion d’épis.
Qui a faim s’en alimente.
Il lui ouvre les yeux ;
Et s’il s’égare, il lui montre le chemin"
Le prince méprise le poème, mais ce dernier ‘’passe au-dessus de sa tête’’ ; il dépasse son entendement. Lounis ajoute à l’adresse du souverain despote et béotien :
"Tu es aussi nain que le poème est géant ;
Et aussi terne que lui est illuminé.
Il fait briller le soleil sur toutes les contrées.
Il enseignera les sages,
Leur rappellera ceux qu’ils ont oublié ;
Et toi tu n’y comprendras rien".
Amar Naït Messaoud
Le poème : subversion et rédemption
Il serait peut-être incompréhensible qu’un poète qui produit des merveilles, qui a révolutionné complètement le texte et la thématique de la poésie kabyle, ne nous éclaire pas sur le rôle de la poésie dans la société et sur la fonction des poètes. Aït Menguellet l’a fait à plusieurs reprises en nous apprenant la place du verbe et de la parole dans l’ordre social.
Il a aussi traité des difficultés et épreuves qui se dressent sur le chemin des aèdes modernes lorsqu’ils veulent faire parvenir le message de vérité à leurs concitoyens pour les sensibiliser sur des problèmes liés à la gestion politique et économique du pays. Dans toutes les contrées où sévissent le despotisme, la régression sociale, l’injustice et la discrimination, la société a produit ses propres défenseurs, ses agents de la culture, qui interpellent, mettent en garde, avertissent, à travers des strophes parfois clairement exprimées et d’autres fois soutenues par une rhétorique exigée par la situation de non-droit et d’arbitraire.
Mais, dans tous les cas de figure, de Pablo Neruda à Nazim Hikmet en passant par Eluard et Aragon, le ‘’discours’’ du poète ne peut se départir de cette esthétique fondamentale, de ces émotions, qui font qu’un poème n’est jamais un discours politique raide, sec ou désincarné. Cette jonction entre l’esthétique de la poésie et l’éthique de l’engagement social et politique est clairement visible et pleinement ressentie dans l’œuvre d’Aït Menguellet.
Dans la chanson éponyme de l’album Asefru, notre poète s’adresse aux siens qu’il invite à s’armer de poésie pour affronter la vie et aller de l’avant, comme il s’adresse aussi au prince qui veut réprimer les poètes sans rien comprendre à leur message.
"Ô toi rongé par la grandiloquence,
qu’a-t-elle épargné en toi ?
Tu crois avoir compris la vie
Et découvert sa faille.
Maintenant que tu comprends, sache-le :
Tu es cette faille-même !
Ce qu’il subit n’est jamais assez ;
Quiconque le contente par le verbiage.
Les futés lui prodiguent moult vivats
Et le ramènent sur la piste de danse.
Lassés, ils dépoussièrent la tunique
Et le laissent honteusement dévêtu dans l’arène".
Lounis présente le poème comme un viatique dont doivent se doter ses compatriotes pour faire face aux épreuves.
"Allons, commençons la marche.
Ami, déclame le poème.
Hier comme aujourd’hui,
C’est une halte pour notre fatigue.
Le fardeau qui pèse sur nos épaules
Se fera léger lorsqu’on se mettra à chanter.
Si nous cédons à l’injustice,
Le poème nous rendra sur le droit chemin.
Notre droit est-il à jamais perdu
Ou est-ce son tour qui tarde à venir ?
S’il vient après nous, nous l’attendrons ;
S’il nous devance, nous le rattraperons".
La situation du poète n’est jamais confortable. Il incarne, presque par définition, la subversion. De fait, la poésie panégyrique ou laudatrice se trouve exclue de ce champ de définition. Elle peut signifier tout sauf la sensibilité, l’émotion et la capacité d’indignation. Cette dernière, par son effet de contagion, ne peut plaire aux princes.
"Je trouve le barde en pleurs,
Il m’en expliqua la raison.
Son poème est pris par les autans.
Il ne sait où il a atterri.
Il craint qu’il tombe entre les mains du tyran
Qui comprendrait tout autre chose.
Le barde voudrait savoir
Si vous l’accompagnerez
Le jour où il sera interpellé".
Le barde interpellé, c’est toute la société qui, logiquement, est défiée. Mais, ni le poète ni le poème ne peuvent être effacés par la simple volonté d’un souverain. "Le poème gémira et courra ; il gagnera toutes les contrées. Quel que soit le nouvel ordre des choses, même si des gens meurent et d’autres naissent, il survivra à tous les temps".
S’adressant au prince du moment, le poète l’interroge :
"Que redoutes-tu que le poème te dise,
poème à qui tu as tracé des limites.
Tu l’as dissimulé, personne ne l’a entendu ;
Tu l’a enseveli sous terre.
Mais, comme un grain de blé, il a germé
Et poussé dans tous les coins ;
Il s’est multiplié en une profusion d’épis.
Qui a faim s’en alimente.
Il lui ouvre les yeux ;
Et s’il s’égare, il lui montre le chemin"
Le prince méprise le poème, mais ce dernier ‘’passe au-dessus de sa tête’’ ; il dépasse son entendement. Lounis ajoute à l’adresse du souverain despote et béotien :
"Tu es aussi nain que le poème est géant ;
Et aussi terne que lui est illuminé.
Il fait briller le soleil sur toutes les contrées.
Il enseignera les sages,
Leur rappellera ceux qu’ils ont oublié ;
Et toi tu n’y comprendras rien".
Amar Naït Messaoud
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