Accueil > ECONOMIE > ALLÔ 080... : Un marché prometteur ou une belle arnaque ?

ALLÔ 080... : Un marché prometteur ou une belle arnaque ?

mercredi 16 mars 2005, par Stanislas

Avec l’apparition de la téléphonie mobile, l’Algérie ne pouvait échapper à l’émergence de l’audiotel. Ces numéros surtaxés commençant par 080... envahissent de plus en plus les pages des journaux et les écrans de télévision.

Depuis deux ans, les sociétés d’audiotel deviennent des véritables usines à rêves. Des jeunes, parfois crédules, se prennent à rêver de gagner la dernière Laguna ou la plus somptueuse des parures en or. Les adolescents sont plutôt attirés par les sonneries à la mode et les logos amusants.

Derrière ce marché florissant, se cachent des petites entreprises chapeautées par l’Association Audiotel Algérie. Selon l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT), 46 entreprises d’audiotel ont obtenu un agrément. Parmi elles, seulement 13 sociétés sont opérationnelles. « Tout le monde croit que l’audiotel est facile surtout en Algérie, un pays où tout est piratable, mais ils se trompent », rectifie le vice-président de l’Association Audiotel Algérie. Le coup de massue aux sociétés d’audiotel a été donné en décembre 2003 lorsque le Pari sportif algérien (PSA) a déposé plainte et que l’ARPT a « conseillé » aux audiotels de suspendre toutes leurs activités. Les jeux de hasard ayant toujours été du seul ressort de l’Etat, le PSA voyait d’un mauvais oeil ces sociétés qui venaient bousculer l’ordre établi.

L’Association Audiotel Algérie est alors intervenue pour trouver un terrain d’entente avec les pouvoirs publics. A cette époque, seule Algérie Télécom, qui attribuait les numéros de téléphone (080) et qui fournissait le réseau téléphonique, touchait une partie des recettes des sociétés d’audiotel. Le compromis arrêté par les sociétés et les pouvoirs publics était d’associer tous les partenaires éventuels et les entreprises qui avaient une mainmise sur ce créneau. Tout le monde devait bénéficier d’une part du gâteau. Algérie Télécom touche désormais plus de la moitié des recettes des audiotels (67%). Les sociétés partagent le reste avec le PSA pour les jeux (10%), l’Office national des droits d’auteur (ONDA) pour les sonneries de portables (il touche 10% ainsi que des forfaits sur des fonds sonores calculés par jour) ainsi que les partenaires ponctuels comme la radio et la télévision.

Les opérateurs téléphoniques (Djezzy, Nedjma, Mobilis) devraient prochainement toucher une quote-part des recettes des sociétés d’audiotel. Les négociations, indique-t-on, sont actuellement en cours pour définir les pourcentages dont doivent bénéficier les opérateurs téléphoniques.

Par ailleurs, les audiotels ont également été sommés de préciser dans leurs publicités le prix réel (toutes taxes comprises TTC) que doit payer le client ainsi que le nom de la société qui propose ses services. Pourtant, il suffit de bien regarder les publicités dans les médias pour s’apercevoir que cette consigne n’est pas respectée par toutes les sociétés. Toutes nos tentatives pour avoir plus de précisions sur ce sujet de la part de l’ARPT sont restées vaines.

De son côté, le directeur de l’une des sociétés d’audiotel, Kenza Télécom, M. Karim Haouch, exhibe jalousement les conventions - renouvelables tous les ans - signées avec les différents partenaires. « Dès qu’il s’agit d’être en règle, nous signons tout ce qu’on nous demande », soutient M. Haouch dans un grand sourire. Les responsables d’audiotels n’ont pas droit à l’erreur, l’ARPT garde un oeil sur tous leurs faits et gestes. Aussi, les sociétés d’audiotel tiennent à souligner qu’elles sont « saines ». Les mots qui reviennent fréquemment dans les entretiens avec les directeurs des audiotels sont toujours « transparence », « professionnalisme » et « sincérité ». Dans un créneau où les clients sentent parfois l’arnaque à plein nez, il est nécessaire pour les responsables d’audiotels de montrer que l’image qu’on leur donne est fausse. « Nous ne forçons pas les gens à appeler, ils le font de leur plein gré. En plus, c’est l’Etat qui prend la plus grande partie des bénéfices. Nous générons ainsi beaucoup d’argent pour notre pays », affirme l’un des directeurs de société dans un sursaut patriotique. Le responsable de Kenza Télécom abonde dans le même sens. « Nous sommes là pour rester et pour prospérer, il n’est pas de notre intérêt de magouiller, ce n’est pas notre politique », soutient-il, sûr de lui.

Néanmoins, il arrive que les clients des logos et sonneries soient grugés par les audiotels. Sur certains numéros, des opératrices expliquent longuement les démarches à suivre pour acquérir une sonnerie ou un logo. Pour mieux faire passer le message, elles emploient les trois langues : français, arabe et même amazigh. Seulement, au bout de cinq minutes de durée d’appels (chaque minute coûte 68 DA), la ligne s’interrompt brutalement et le client ne réceptionne ni sonnerie ni logo. Une belle arnaque, diraient certains. Les responsables des audiotels mettent cela sur le compte des « erreurs techniques ». En tout cas, le patron de Kenza Télécom se veut rassurant. Sa société vient d’acquérir un nouveau logiciel pour combler les lacunes des émetteurs des opérateurs téléphoniques.

Ce logiciel permettra également d’adapter les sonneries et logos à tous les types d’appareils. Kenza Télécom prévoit d’ouvrir prochainement un site internet dans lequel les clients trouveront toutes les informations nécessaires, souligne-t-il.

Les sociétés d’audiotel se livrent une guerre sans merci. La rivalité est d’ailleurs palpable dans les pages de publicité des journaux. Elles mettent ainsi de gros moyens dans les publicités aguichantes dont le budget peut parfois dépasser les 22% des recettes.

Les opérations de marketing sont d’autant plus importantes que les services et les jeux que proposent les audiotels ne peuvent être connus du grand public que par voie de presse ou de télévision. « Si nous insérons une publicité dans un journal, par exemple, le produit marche selon le nombre d’exemplaires vendus », explique le directeur de Kenza Télécom. « Quand il y a beaucoup de sociétés d’audiotel, la part de marché est réduite, il faudra se battre pour se frayer une place », renchérit le vice-président de l’Association Audiotel Algérie.

Dans cette guerre des audiotels, les sociétés ne lésinent pas sur les moyens. Chez Kenza Télécom, il y a même un bureau spécial pour étudier les derniers services proposés par les concurrents et les budgets qui leur sont alloués. Par ailleurs, il est très difficile de savoir comment se fabriquent les sonneries de téléphone que proposent les sociétés dans leurs publicités. Le motif invoqué par les audiotels est la crainte de « voir les concurrents copier leur méthode ». « Un bel acteur ne révèle jamais le secret de son charme », affirme le vice-président de l’association audiotel.

Après beaucoup d’insistance, le patron de Kenza Télécom révèle enfin qu’il y a un musicien au sein de sa société qui compose les derniers titres à la mode à l’aide d’un synthétiseur et d’un ordinateur. Cependant, affirme une source proche des audiotels, les méthodes différent d’une société à une autre. Certaines n’hésitent pas, en effet, à télécharger les sonneries d’internet. Néanmoins, précise-t-on, du moment où les sociétés payent les droits d’auteur, ce fait n’est nullement répréhensible.

Les patrons des sociétés d’audiotel refusent d’employer le terme « jeux » dans leurs discours. Pour eux, les audiotels ne proposent nullement des jeux de hasard à leurs clients mais des « concours » leur permettant de gagner de l’argent, des voitures et même des appartements. Le fait est, cependant, que le gagnant est désigné par tirage au sort en présence d’un huissier de justice. Les chances de repartir avec les clés d’une voiture semblent parfois bien minces.

Les services d’audiotel passent parfois par les concepts les plus farfelus (ces heureux couples se sont formés grâce à nous, soyez les prochains !) aux conseils religieux, durant le mois de Ramadhan notamment, sur les comportements que doit adopter le jeûneur ainsi que la voyance pour connaître ce que nous réserve l’avenir.

Au bout du fil, les opératrices proposent même de « conseiller ce concours à des amis » ou « d’envoyer davantage de sonneries aux proches pour leur faire plaisir ». Même la télévision et la radio se mettent de la partie.

Pour Kenza Télécom, l’audiotel permet aux radios de jauger leur cote de popularité. « Elles peuvent, grâce à nos services, connaître le nombre d’appels par wilaya.

Elles sauront ainsi si elles ont fait une bonne émission », estime le DG de Kenza Télécom. Pour les patrons qui exploitent ce créneau, cela ne fait aucun doute : la déferlante des audiotels en Algérie ne fait que commencer.

Amel Blidi, wwww.quotidien-oran.com