Accueil > ECONOMIE > Approvisionnement des marchés informels en Algérie

Approvisionnement des marchés informels en Algérie

mercredi 22 septembre 2004, par Hassiba

D’où proviennent toutes ces marchandises ? Qui est derrière la survie des marchés illicites ? Comment atterrissent des produits d’importation sur les trottoirs d’Alger ?

Autant de questions que d’aucuns se posent à chaque virée à travers ces commerces qui s’imposent de plus en plus. Plus grave encore, qui concurrencent et provoquent la faillite de commerçants légaux qui se voient contraints de re-verser leur mince recette aux impôts. Pour répondre à toutes ces questions et tenter de comprendre ce nouveau phénomène, nous nous sommes rapprochés de ces vendeurs. Pas facile de leur soutirer la moindre information, “vous jouerez de son gagne-pain”. Et il n’en est pas prêt.

Il s’avère, cependant, que les marchés illicites ne sont plus squattés par de jeunes trabendistes qui investissent leur propre argent en s’approvisionnant des marchés de Turquie ou de Syrie. Cette catégorie de commerçants existe, mais n’active plus dans la clandestinité. Ce sont tous des commerces ouverts au sein de marchés publics. Ils ont commencé par la voie publique et la vente à la sauvette. Les nombreux tracas auxquels ils faisaient face les ont contraints à la légalité. Leurs places ont été vite occupées par d’autres.

En fait, plusieurs catégories de vendeurs partagent les trottoirs. Il y a ces jeunes chômeurs qui s’approvisionnent chez des grossistes et revendent toutes sortes de marchandises avec une majoration de quelques dinars, il y a ceux qui font dans l’importation par “cabas” et ceux qui proposent des articles faits maison. Il y a aussi les gros bonnets qui font la pluie et le beau temps des marchés informels. Ceux-là, ils ont la chance d’être approvisionnés par des fournisseurs de rangs supérieurs. Les marchandises que ces jeunes vous proposent sur la voie publique sont acheminées dans des conteneurs par des importateurs. La cherté de la vie ayant poussé les familles à se rabattre sur les vendeurs à la sauvette, qui, en vue d’attirer la clientèle, faisaient carrément dans le bradage. Certains importateurs ont compris qu’il serait plus aisé d’investir dans les marchés parallèles. “Je ne travaille pas avec les trabendistes des cabas. J’ai passé un contrat tacite avec un parent en relation avec des gens qui font dans l’importation en bonne et due forme. Il me fournit la marchandise que je paye avec l’aide de mon père et je la revends à ma guise”, s’enorgueillit Mourad au marché de Bachdjarah. Son copain, de la même catégorie que lui, ajoute qu’il leur arrive de pratiquer un prix pendant des jours et quand une nouvelle marchandise arrive et qu’ils jugent qu’elle rapporterait plus, ils baissent les prix quitte à perdre un peu.

“Il y a deux semaines par exemple, je vendais des vêtements pour enfants. J’ai préféré les brader pour pouvoir m’approvisionner en fournitures scolaires. Cela rapporte mieux en cette période”, dit-il. “C’est la période idéale pour faire des bénéfices. Si on rate cette occasion, on est foutu. Car les parents achètent pour plus de deux enfants et préfèrent tout acheter chez le même vendeur pour avoir droit à une réduction”, soutient un autre vendeur. C’est justement cette fameuse réduction et les prix pratiqués par ces vendeurs qui attirent les familles. “Les dépenses sont telles que si les parents de classe moyenne ne recourent pas à des artifices, ils s’endetteront jusqu’au cou”, nous dit un père de famille avant d’avouer qu’il a interdit à sa femme et ses enfants de faire leurs achats dans des magasins. Ces derniers sont souvent vides et ont du mal à écouler leurs marchandises.

Seuls les privilégiés
Du marché illicite de la place des Martyrs en passant par celui de la place du 1er-Mai jusqu’à Bachdjarah et Sorécal, le même décor et les mêmes propos reviennent. À en croire ces dires, on pourrait soutenir que c’est cette catégorie d’importateurs qui a opté pour ce nouveau créneau qui squatte les trottoirs. Les jeunes vendeurs ne sont que des vitrines. En fait, un moyen dont dispose certains importateurs pour vider leurs conteneurs. De ces gens, les vendeurs ne connaissent rien. Ils ne cherchent même pas à comprendre qu’ils sont l’essentiel pour eux et que grâce à eux, ils occupent leur temps. “Ce qui m’importe, c’est d’avoir une marchandise entre les mains”, avouent-ils. Le reste même s’ils le devinent leur importe peu, car il ne faut pas croire qu’il suffit de vouloir s’approvisionner de ces fameux conteneurs pour y parvenir. Cette transaction n’est pas une mince affaire. “Ce n’est pas donné”, nous ont expliqué quelques vendeurs. Seuls les privilégiés peuvent accéder au rang de “clients d’importants importateurs”. Il faut avoir des tuyaux et connaître des gens qui vous recommandent et vous introduisent dans ce créneau qui semble être bien organisé.

Les vendeurs “accrédités” sont contactés par une tierce personne qui soutient mordicus qu’elle ne connaît pas son véritable “employeur”. C’est en fait une main invisible qui partage les tâches et fait acheminer la marchandise jusqu’aux lieux de rencontres. Il faut savoir à ce propos, que les vendeurs les mieux nantis paient rubis sur l’ongle leur marchandise et d’autres le font après écoulement de tout le produit. Mais les intermédiaires préfèrent la première catégorie. “Il a fallu que je fasse mes preuves pendant des mois avant d’être accepté dans ce créneau”, raconte Mourad. Et d’ajouter : “Il faut que je prouve que je suis digne de confiance et capable de faire face à la concurrence des vendeurs qui ne sont pas approvisionnés par le même fournisseur.” Et quand il s’agit d’un même fournisseur, les vendeurs n’hésitent pas à aller à l’autre bout du marché pour vous procurer l’article manquant. Il semblerait, toutefois, que les marchés de la place des Martyrs et Bachdjarah sont les plus organisés dans ce cadre, car la clientèle vient de partout.

Sous haute sécurité
Les jeunes activent désormais sous l’œil vigilant des forces de l’ordre. Ces dernières ne les pourchassent plus et ne leur saisissent guère leurs articles. Au marché informel de Bachdjarah, les policiers font les cent pas et parfois n’arrivent même pas à se frayer un chemin entre les clients et les vendeurs. Ces derniers ne s’en inquiètent pas outre mesure. Il y a un peu plus de deux mois, que les forces de l’ordre ne les traquent plus. Avant, les deux parties jouaient au chat et à la souris. Les jeunes se tenaient prêts à toute éventualité et se contentaient d’ouvrir les sacs pour exhiber quelques articles sans tout étaler. C’est plus facile pour eux de prendre la poudre d’escampette à l’arrivée des agents de l’ordre. Pourquoi ce changement d’attitude ? La protection des policiers met de l’eau au moulin de ceux qui soutiennent que les marchés informels sont utilisés par une catégorie d’importateurs pour écouler leurs produits. “Avant, ils nous traquaient comme de vilains voyous, mais maintenant, nous sommes protégés, ils ne peuvent rien contre nous, car d’autres intérêts sont en jeu”, lance Mourad tout sourire en fixant les policiers qui surveillaient de loin. Comme pour les narguer et venger les traques dont ils ont souvent fait l’objet, les jeunes toisent les policiers et exhibent fièrement leurs produits. “Eux-mêmes nous achètent des trucs et font des affaires avec nous”, avoue l’un des vendeurs. Une tout autre version est avancée par les agents de l’ordre.

“Nous n’avons pas cessé de les traquer, mais ils n’ont peur de rien. Ils reviennent toujours à la charge, ce qui nous pousse à fermer les yeux pendant un certain temps”, soutiennent-ils. Et d’ajouter : “Ces jeunes font dans le chantage : “Vous voulez nous pousser au vol en nous interdisant de gagner fi elhalal”, est leur éternelle réplique. Même les riverains et les passants lancent cette réplique et nous dévisagent.” Pour les agents de l’ordre, ce problème les dépasse. “Il faut des décisions fermes et des mesures draconiennes pour lutter et éradiquer ce phénomène. Et pour cela, il faut qu’il y ait une réelle volonté d’en finir avec ce problème”, pensent-ils. Toutefois, rappelle l’un des policiers, “I’interdiction des marchés informels risque de soulever le courroux des riverains. Les familles n’entrent plus dans les magasins. Elles font tous leurs achats sur les trottoirs, car c’est moins coûteux”.

Des articles variés
Nous avons remarqué qu’au niveau des quartiers “équipés” de ce genre de commerces, les articles sont beaucoup plus variés que dans les magasins. C’est le cas notamment pour les fournitures scolaires. Certains produits proposés par les vendeurs à la sauvette sont introuvables chez les libraires. “Nous ne sommes pas approvisionnés par les mêmes fournisseurs” ; “Ils ont les bras plus longs que nous” ; “posez-leur la question”... sont les différentes répliques des libraires qui ne savent plus à quel saint se vouer pour faire face à une concurrence déloyale. De vendeurs à la sauvette, ces jeunes commerçants ont fini par imposer leur diktat et tenir tête aux autorités grâce à ses innombrables mains invisibles qui les régissent en appliquant leurs propres lois.

Par Malika Ben, Liberté