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Assikel, avec ceux du Hoggar (2e partie)

mardi 7 septembre 2004, par Hassiba

Autour du plat, les voix tranquilles et uniformes de mes compagnons en discussion raisonnent comme une musique dans le néant. Et comme pour faire montre de ses autres éclats, le ciel s’anime soudainement d’une succession d’éclairs et d’orages qui marbrent, en tout sens, l’horizon : les lumières d’or et d’argent s’éclaboussent jusqu’à nous. Elles sont exceptionnelles ! Celles d’un tableau qui exalte au plus haut point. C’est la liesse. Les cris aigus de plaisir jaillissent. Tout le monde se réjouit de la pluie qui s’annonce et qui va reverdir le sol : « Elle arrive du nord de l’Atakor ! », jubile Mohamed. Jusqu’au milieu de la nuit (Ihadh disent les Touareg), la pluie tombera sur nous !

Fascinant Tanget !
3 août, neuvième jour de voyage : celui où nous entrons à Tanget, « comme on entre dans une mosquée » : un lieu qui inspire à la fois fascination et respect ! Son image me hantait depuis la veille, alors qu’il me projetait ses longues silhouettes dressées au ciel. Dans notre lente progression sur son large lit d’oued, je suis saisie : profusion de traces de guépard, de gazelle, de mouflon et de chacal sur le sable. De part et d’autre de ses rives, une infinie suite de jets de pics et de pitons volcaniques entrecoupée de falaises gréseuses. Des aigles percnoptères planent ; autres seigneurs étendant grand au ciel leur manteau noir et blanc dans ce domaine qui leur appartient. J’observe leurs nids creusés dans les parois des pics rocheux. Partout, mes yeux se promènent pour ne rien manquer de ce temple ! Un domaine des débuts du monde qui raconte l’histoire de ce gigantesque oued. Fossile où l’activité volcanique intense a craché, il y a 400 millions d’années, des laves, immobilisées et restées dressées pour séduire le regard des voyageurs. Même les jardins jouent leur beauté sur la rive droite de l’oued Tanget dont j’ai eu l’immense émotion, l’été dernier, de voir arriver sa crue alors que de très hautes vagues couraient à toute vitesse sur son lit. Il s’en fallut de peu pour qu’elles nous emportent ! Mais avec la prévenance due aux hommes du désert qui maîtrisent parfaitement leur milieu, la crue a été évitée lorsque nous l’avons entendu arriver. Tamaris, aliw et tehounek défilent sans cesse sous nos yeux et là, au loin, près d’un jardin des personnes que nous atteignons, petit à petit, voient notre caravane arriver.

C’est le vieux Bahi et ses enfants : des issalanes s’échangent longuement avec eux et nous continuons vers le lieu de notre campement qui nous accueille à l’heure du zénith. Toujours sous un acacia, mais cette fois, au pied d’un colosse : Tetaqawt, la montagne de la grotte. Cette halte est celle d’un repos luxueux, au bord d’un grand jardin avec ses fruits (raisins, pastèques, pêches...) et ses légumes, un puits où l’eau est pompée à l’aide d’un moteur, de la Luserne pour nos chameaux et toute la gentillesse d’Ahmed propriétaire de cet autre jardin qui constitue, avec les autres, de grandes taches vertes dans l’immensité de Tanget.

Imprévisible désert !...
A 16 h, levée de camp pour entamer une longue ascension sur la montagne Aharoui prélude aux altitudes encore plus grandes que nous atteignerons avant le village Tazrouk. Au détour de Tanget qui continue en amont vers le massif de l’Atakor, Aharoui, très long oued sinuant dans le cœur de la montagne, nous ouvre ses portes par un canyon que nous entamons très vite de l’aval à l’amont. Prenant sa source, comme les autres oueds, dans le massif de l’Atakor, l’oued Aharoui vient s’échouer dans l’oued Tanget, lequel continue sa direction sud vers le Niger en adoptant un autre nom, oued Ighergher, parmi les plus grands du Sahara central.
Malgré leur prise solide sur le roc, nos chameaux gravissent l’oued sans nous porter.

Allégés, ils sinuent avec sûreté à travers les ravins que nous passons. Mais la perspective ascensionnelle de notre oued débute par de très gros rochers de granite gris et bleu, parmi lesquels nous zigzaguons longtemps. L’eau est plus présente que jamais, au sol et sur d’incessants petits bassins que l’on verrait, depuis un avion, comme de multiples petits points bleus. La flore, elle, a trouvé dans ce microclimat humide de quoi s’épanouir : nombreux oliviers sauvages agrippés aux parois, acacias bien sûr, mais aussi du tahli (roseau, rappelez-vous !), du dis, de l’aubépine, de la mousse, du lichen, des tamadjhé (la fleur pourpre !) et j’en passe. Une heure de montée à pied sous un ciel bleu agrémenté d’un soleil éclatant qu’entrecoupent des stratus cendrés. Devant, loin devant sur notre file, j’entends appeler au secours ! Khayya accourt comme une flèche lancée. « Rien de grave, j’espère ! », pensai-je en essayant comme les autres de garder la tête froide... « Labesse ! », rassure Khayya le secoureur en revenant à son chameau : « Ammisse wan Hamayden yodha. Bêchine labesse ! » (le chameau de bât de Hamayden a glissé (en dégringolant), mais ça va !), explique-t-il avec l’attitude zen.

A mesure que nous nous sommes hissés haut, le paysage géologique est devenu de plus en plus ocre avec les grés qui le dominent. De très nombreux idébnane (rappelez-vous les tombes préhistoriques, en tamahaq, pour ne pas oublier notre apprentissage de la langue). Sur les flancs de la montagne, une multitude de traits blancs, tous parallèles : ce sont des pistes caravanières, voisines de la nôtre. Elles témoignent des temps immémoriaux des caravanes marchandes qui florissaient dans le Sahara. Mais, curieusement, nulle trace d’eau ici ou de la moindre humidité. Tout est sec alors que nous sommes à plus de 1900 m d’altitude ! L’adage targui dit : « Les pluies d’été sont imprévisibles. Elles passent entre les cornes d’une gazelle en en mouillant l’une et pas l’autre. » En répondant à mon étonnement, Mohamed m’explique, en fait, que l’oued Aharoui est entrecoupé d’un autre oued qui a drainé toute l’eau rencontrée en aval et que, si sur ces hauteurs, les lieux sont secs, cela signifie simplement que l’oued n’a pas coulé ici ! A toute chose son explication ! Voilà un autre secret révélé par mon désert ! C’est le coucher du soleil. Après deux heures et demie de progression, voilà notre campement haut perché sur un talus pierreux, à 2000 m d’altitude. Une grande plate-forme circulaire pour s’installer au milieu d’un foyer plusieurs fois millénaire, habité avant nous par des hommes préhistoriques. Sur le bas-côté, une lignée d’azawa (famille du tamaris) borde un petit oued sablonneux ponctué de blocs de granite. A l’extrémité de l’oued, une aguelmame asséchée : alors, les abéyoughs assureront notre eau... Les couleurs ambiantes sont celles d’un soleil déclinant qui nous projette ses derniers ocres. Et comme si mes sens n’étaient pas suffisamment comblés, voilà qu’un ouded vient jeter un œil sur nous : un mouflon à manchette, avec sa grande barbe et ses immenses cornes qui nous épie depuis son piédestal, là-haut sur la falaise, en face ! Nous sommes les intrus qui avons pénétré son espace. Se demande-t-il si nous allons rester longtemps. L’ouded s’en va pour qu’une autre méharée apparaisse ! « C’est Boubakeur avec d’autres amis ! », s’exclame Mohamed en poussant des cris de joie. Comme nous, ils vont à la ziara de Tazrouk. Ensemble, nous passons une partie de la nuit à palabrer autour du foyer de braises qui demeurent longtemps incandescentes pour assurer notre veillée.

Akal Djazzoulène ou le bas pays...
3 août, au matin. La caravane est longue, très longue, allongée par la méharée de Boubakeur qui entreprend ce départ avec nous. Une demi-heure encore d’ascension sur Aharoui et au sommet de laquelle certains des derniers pics de Tanget transparaissent une dernière fois dans leur silhouette sombre et envoûtante, mais dont le mystère percé laisse un souvenir à jamais gravé. De tous les oueds traversés, Tanget demeure pour moi le temple que je retrouverais toujours avec une certaine ferveur. C’est mon oued fétiche qui repose sur les piliers de la tente, habitat du nomade. Car Tanget, il faut le savoir, dérive du mot composé en tamahaq tan-égét, qui signifie celle du pilier. Les piliers sont, en effet, tous ces pics et pitons qui portent chacun son nom et dont j’ai dénombré, sur notre seul tronçon de chemin, pas moins d’une quarantaine ! Au bout de l’Aharoui, une immense étendue de reg noir s’ouvre à nous. C’est Akal Djazzoulène, le bas pays. Paysage à la fois doux et austère, c’est l’image du désert qui forge les hommes ! Alors que j’entreprends à pied cette étape matinale, la rêne de mon chameau à la main, je n’arrête pas de m’émerveiller, de me purifier dans ce grand livre de la nature que beaucoup devraient ouvrir pour le vivre ! Car le désert se vit ! Il ne se raconte pas : ni les mots ni les photos ne sont assez puissants pour le dire. Car aussi, le désert n’est pas un. Il est multiple, divers, contrasté d’un endroit à un autre : une juxtaposition de régions qui s’épousent dans une pleine harmonie. Les traces de nos chameaux, ces authentiques dromadaires, imprimées dans le sol, sont les jalons qui étirent le temps pour nous afin que nous découvrions, avec une émotion toujours renouvelée, le multiple désert !

Akal Djazzoulène est, lui, l’image d’un immense pays, le bas pays, spectaculaire, que l’on parcourra au pas lent de nos vaisseaux, jusqu’à Tilelline, notre berceau du soir. Nous l’abordons pour le longer droit devant, alors que le soleil nous fait front sur un cap Est qui se trace jusqu’à Tazrouk. Aussi élevé qu’il est, sur plus de 2000 m d’altitude, Akal Djazzoulène se distingue de l’Akal wan Afella, le haut pays : c’est le haut plateau qui nous surplombe à notre gauche et qui s’étend d’Est en Ouest, le long d’une interminable chaîne tabulaire, parallèle à la chaîne de l’Atakor ; un Tassili qui prend le nom de Tesselsselt, là où il nous domine dans notre évolution de ces premières heures matinales...Entre la méharée d’Ahmed Boubakeur et la nôtre, une osmose les lie sur une piste chamelière qui s’est étirée sur une quarantaine de chameaux, tous blancs, wamallen, couleur de choix des méharas chez les Ihaggaren. La quiétude qui règne alors que nous randonnons tranquillement me projette l’image de ces lointaines caravanes de sel qui partaient d’Agadez, de Zinder ou de Gao vers les fameuses salines de l’Amadghor, au nord-est du Hoggar, de Bilma au nord du Niger ou encore de Taoudeni au nord du Mali. Plus tard, lors d’une de nos haltes du soir, Moussa et Mohamed me conteront la formidable histoire de ces caravanes ! De l’amusement ! Mes compagnons et les autres plaisantent entre eux, sur leurs chameaux, comme seuls savent le faire les Touareg lorsqu’ils passent spontanément de la mesure qui les caractérise aux élans plaisantins, le temps de taquineries, pour revenir ensuite à leur mesure : de grands enfants que je regarde, amusée, se taquiner en riant aux éclats. « Ihenkadh ! des gazelles ! » sur le plateau d’Ilébéguène, un immense reg noir né des volcans, la rocaille et la cendre basaltique s’étendent à perte de vue sur notre ligne plane, où l’on croit que rien ne vit ; pourtant, à quelques mètres de nous bondit une gazelle, puis deux, puis trois et même quatre. Leur grâce nous a émerveillés le temps qu’elles disparaissent en quelques bonds prodigieux !

L’on poursuit notre piste sous une brise que notre navigation hauturière reçoit de notre cap. Nos voiles de chèche ondulent sur nous au rythme du vent, nous rafraîchissant comme une seconde peau prévue pour être notre « climatiseur » : quelle meilleure tenue peut mieux s’adapter à la vie dans le désert que le chèche ! Drapant amplement, sa légèreté est tout indiquée pour vous mettre à l’aise et permettre à l’air de ventiler la peau de votre corps. A ce propos, combien était anachronique cette image d’une méharée de touristes occidentaux, rencontrée l’année dernière sur l’oued Tanget, et dont les personnages brûlés par le soleil arboraient des shorts et des décolletés qui ne collaient point à l’aisance que l’on peut avoir, habillés comme les gens du pays !...Notre progression se poursuit sur le plateau Ilébéguene pendant que l’horizon sud, que l’on perçoit à droite sur notre piste, laisse défiler plusieurs montagnes distancées par des vallées, les unes des autres, et dont les formes sont toutes insolites les unes que les autres : pyramide, pain de sucre, dôme, table... des reliefs isolés, mais appartenant au domaine de l’Atakor dont nous parcourons les entrailles.

Comme les hommes de la préhistoire
Il est 9h30 et cela fait une heure et demie que nous traversons Ilébéguène qui commence à s’estomper pour nous confier à sa voisine Tilelline. Ilébéguène fait partie de ces aires que j’affectionne particulièrement, que le néophyte qualifie, injustement, de « lieux de désolation ». Car de désolation, il n’est point question. L’on pense que rien ne pousse sur un reg (désert de pierres) comme d’llébéguène que nous coupons, mais au détour d’un de ses petits oueds que nous avons passés, on découvre une floraison de plantes toutes chlorophylées que viennent brouter chèvres et chameaux d’un campement que l’on ne soupçonnait point. Ilébéguène appartient à ce domaine du monde noir, comme l’appellent les Touareg, par opposition au monde blanc. Tandis que le monde noir est celui de la montagne, du reg et du roc en général, soit un monde où règne le sombre ; le monde blanc englobe quant à lui sable (erg), ou sable mêlé au roc, c’est-à-dire les iglane (pluriel d’aglane en tamahaq) : ces collines de sable entachées de rocaille. C’est ainsi qu’au nord du Hoggar, la Téfédest, dominée par la tribu des Issaqamaren, est partagée entre la Téfédest settafét à l’Est, et la Téfédest mellét à l’Ouest. C’est-à-dire la Téfédest noire et la Téfédest blanche. La méharée de notre rencontre a continué sur sa piste, Atara en aval d’Ilébéguène, tandis que notre assikel a poursuivi droit vers Tilelline. Après le charme cru, rustique d’ilébéguène, la douce beauté de Tilelline, nom féminin coiffé de la lettre T : c’est le masculin et le féminin unis. Les noces du noir Ilébéguène et de la blanche Tilelline ! La dame se présente sous ses plus beaux atours : la lumière éclatante du soleil qui atteint presque le zénith ne choque guère ses couleurs en camaïeu. Sur le gros sable blanc qui tapisse son étendue, de magnifiques boules géantes et ocres de granite s’assemblent en crique ou se dispersent. Des habitats inouïs qu’ont bel et bien occupé les gens de la préhistoire dont les tombes érigées en pierre et immortalisées par le temps jalonnent en grand nombre les lieux qui étaient « aux temps jadis, comme aime à le rappeler Mohamed, de vastes prairies où l’homme de la préhistoire vivait au bord des lacs, entouré d’éléphants, de rhinocéros, de girafes et autres animaux sauvages qu’il chassait ».

Tilelline demeure le domaine habité par les nomades dont nous avons rencontré les troupeaux de chèvres conduits par de jeunes filles. Comme elle est le domaine très vaste des gazelles que nous avons plusieurs fois rencontrées là, mais aussi celui du guépard, l’amayas dont les traces nous ont souvent suivis. C’est, en effet, dans ce haut lieu que j’ai frôlé, rappelez-vous la rencontre du fabuleux canidé qui avait capturé une gazelle ! Tilelline qui appartient, elle aussi, à l’Akal Djazoulène, est une immense prairie où le guépard, comme la gazelle, trouve un habitat tout indiqué pour s’abriter dans le dédale des granites qui emplissent l’espace plat que nous longeons et pour chasser tranquillement dans ce domaine des seules pistes caravanières. Le silence règne sur notre file, comme il règne sur ces lieux ouverts où notre regard porte toujours vers les lointains reliefs montagneux, les oueds que nous chevauchons, les idébnis que nous rencontrons ou encore vers les aigles que nous regardons planer. Et tandis qu’à la vue de notre caravane des gazelles qui nous observent au loin s’esquivent, voici qu’un lièvre aux oreilles très longues, lui aussi surpris par notre passage inattendu, file à toute vitesse au travers des pas de nos méharas. Il est 11 h. A la tête de notre file, Mohamed et Moussa accélèrent un peu la cadence, signe que l’on est presque à notre lieu de halte. En effet, nous voilà soudainement dans l’oued Tilelline où la brise nous embaume d’un délicieux parfum sucré dégagé par la tataït (fenouil sauvage) qui jonche l’oued. Quelque évolution encore, puis baraquement au pied d’un talus de grès sous l’air des blatèrements de nos méharas contents de se voir accorder un repos ! Notre habitat se déroule presque dans un abri sous-roche, comme au temps de la préhistoire lorsque les hommes occupaient les cavités rocheuses dont ils décoraient les parois des plus belles expressions artistiques jamais aussi génialement exprimées par l’humanité : les peintures et les gravures rupestres racontent la vie quotidienne de la « civilisation tassilienne » qui nous a légué des pans essentiels de notre histoire.

La nuit pour palabrer
Installation, en toit, de notre bâche à l’aide de piliers d’acacias pour nous abriter du soleil, puis « bismillah » autour de notre dahoui (casse-croûte en arabe), qui est d’une autre nature cette fois. Au menu, tadebdéguet, délicieuse taguéla émiettée et arrosée de oudi (beurre de chèvre) mélangé à une plante aromatique, accompagnée également de « alékouh », sirop de dattes et de fromage de chèvre. Un régal inspiré de la cuisine traditionnelle ! Tilelline nous accueille jusqu’à demain matin et raccourcit notre destination, la ziara de Tazrouk. Le farniente pour tous s’y déroule à la convenance de chacun. Son aguelmane, une guelta pérenne, constitue notre abreuvoir et celui des chameaux aussi, notre occasion aussi pour s’accorder une toilette ou une lessive, sans la souiller bien sûr ! Entravées, nos dromadaires se réservent pour leur part de longs moments de frugalité autour des herbes très variées qui longent l’oued et qu’ils vont « cacher » dans leur panse, avant de les ruminer durant leur sieste, à l’heure de l’aziwel, lorsque le soleil toujours intense suspend tout mouvement.

L’oued Tilelline est pour moi le réservoir de plantes aromatiques et médicinales que je vais cueillir à la takest, lorsque le soleil commence à baisser, pour les emporter avec moi bien conservées dans mes petits sacs en toile prévus pour l’usage. Il est 16 h. Tout le monde se réveille petit à petit de sa sieste pendant que je me suis consacrée à rédiger mes note de l’Assikel. Le petit foyer de feu s’allume pour déguster le thé. Comme souvent, c’est Khoni qui le prépare, longuement, verre après verre, pendant que la discussion se déroule au rythme lent du temps : « Yekna ! » C’est Mohamed qui dit à Khoni que son thé est bon ! Ni trop amer ni trop sucré ! Jusqu’au troisième verre que l’on ingurgite d’un coup sec en remerciant « Allah yakhlef ! » Le soir venu, l’ihadh (la nuit en tamahaq), c’est l’instant où le grand feu s’allume pour nous inspirer de longs palabres alors que notre repas cuit sur la braise dont l’éclat est accentué par les étoiles qui scintillent sur nous. Les étoiles filantes sont innombrables et m’inspirent mille vœux ! Avec Entayent et Khanned, anciens guides meharistes qui ont surgi de nulle part à la tadéguet (l’après-midi) pour partager avec nous la halte, des évocations fusent autour de choses du désert. La maman guéparde qu’Entayent a trouvé avec ses petits. Les longues ... caravanes de sel que le vieux Moussa Agberguali pratiquait dès l’âge de 12 ans avec son père et son frère Aflane vers les salines de l’Amadghor, au nord du Hoggar, pour écouler le tissemt (le sel qu’ils ramassaient difficilement et qui leur brûlait les mains) vers le Niger, le long de caravanes qui duraient trois longs mois.

La nuit propice aux palabres évoque aussi à Mohamed l’histoire de son ancien ami, Moulay Abdallah, un sage de Tazrouk rappelé à Dieu il y a 22 ans et dont Mohamed a personnellement tenu à faire de sa ziara annuelle une grande fête qui rassemble les gens de toutes parts : « Moulay Abdallah, originaire de Reggane dans le Hoggar, célébrait lui-même, tous les premiers mai, son ancêtre Erréguani en réunissant des gens de tous les horizons du Sahara. C’est pour perpétuer cet esprit de rassembleur qu’il était, que j’accorde personnellement toute son importance à cette ziara où les gens se retrouvent durant trois jours pour s’échanger des nouvelles, régler leurs différends et commercer entre eux. Tout simplement pour s’aimer les uns les autres... » « Ar toufet ! » (à demain), c’est ainsi que l’on se dit bonne nuit en tamahaq... La pleine lune est toujours apparente en ce matin du 4 août, dernier jour avant d’atteindre Tazrouk, le plus haut village d’Algérie, juché sur 1940 mètres d’altitude : un important et vieux centre de culture où se sont développées, à la fin du XIXe siècle, l’agriculture et l’irrigation par le système de foggara, grâce à la perspicacité de l’aménokal (chef suprême des Touareg) L’khadj Akhmed qui a précédé l’aménokal Moussa Ag Amastane. Domaine des Kel-Ghella, des Issaqamaren et des Aït Loayen, le village de Tazrouk sera atteint au bout d’une demi-journée de méharée. Evolution au cours de laquelle la gamme du paysage change constamment, alors que nous gagnons de l’altitude : au détour de deux oueds qui se croisent, l’un au sable rouge, l’autre au sable blanc, notre méharée traverse la dernière montagne qui prélude Tazrouk. A midi, nous atteignons l’oued Améjou où nous attend Mélouy, qui a dressé pour nous accueillir une grande tente. Avec toute la famille de Mohamed, c’est ce matin tôt que Mélouy est arrivé à bord de plusieurs 4x4 à Tazrouk pour préparer le campement de la ziara. Autour du melfouf et de la riche macédoine qu’il nous offre pour ce repas citadin, nous nous échangeons des « issalame » qui abordent également notre périple. (A suivre)

Par Naïma Chekchak, El Watan