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Au-delà du capitalisme

mercredi 25 août 2004, par Hassiba

La nouvelle société post-capitaliste est désormais assez avancée. Une critique globale de l’ère du capitalisme de l’Etat-Nation n’est aujourd’hui plus nécessaire.

Il se pourrait que l’homme échappe à toute rédemption. Peut-être que le poète latin avait-il raison : « La nature humaine revient par la porte de derrière chaque fois qu’on la chasse à coups de fourche par la porte de devant. »
Il est plus vraisemblablement que la rédemption, la spiritualité, la bonté et la vertu de l’homme nouveau, selon le terme traditionnel, reprendront leur signification existentielle et cesseront d’être un objectif social et un remède politique.

Les pays développés ont aussi tout intérêt au développement politique et économique que le tiers monde. A défaut, ils seront submergés par un flot humain d’immigrants dépassant toutes leurs capacités d’absorption, que ce soit au plan économique, social ou culturel.
Les forces qui sont en train de donner naissance à la société et au régime politique post-capitaliste ont leur origine dans le monde développé. Elles sont le produit même, la résultante de son développement. Les défis lancés par cette société et ce régime ne trouveront pas leur solution dans le tiers monde. Pour le régime politique post-capitaliste, nous ne disposons pour l’instant que de projets. Comment les changements nécessaires vont se produire, relève encore de l’hypothèse. Mais nous savons ce qui est devenu, et pourquoi, nous pouvons décrire ce qui devrait arriver, et pourquoi. Quant au défi que soulève le savoir, on ne peut que poser des questions. Souhaitons qu’elles soient les bonnes.

La société
Auparavant, le capitalisme ne concernait que des petits groupes dans la société. Les nobles, les propriétaires terriens, les militaires, les paysans, les professions libérales, les artisans, le capitalisme se répandit bientôt partout transformant tous les groupes de la société. L’application du savoir au travail a provoqué une croissance explosive de la productivité. Pendant des centaines d’années, la capacité des ouvriers à produire et à transporter les marchandises n’avait pas augmenté. Ce qui rend la société post-capitaliste, c’est-à-dire que le savoir est devenu la ressource et non une ressource parmi d’autres. Cela change fondamentalement la structure de la société. Cela crée une nouvelle dynamique économique. Cela crée une nouvelle façon de faire face à la politique. Pour obtenir des résultats, le savoir doit être hautement spécialisé.

Le glissement du savoir aux savoirs donne le pouvoir de créer une société nouvelle. Mais cette société devra se structurer sur la base de savoirs spécialisés par nature, et d’hommes de savoir également spécialisés.
La société des organisations

Une organisation, c’est un groupe d’hommes composé de spécialistes travaillant ensemble à une tâche commune, une organisation est toujours spécialisée, elle se définit par la tâche quelle se donne. La communauté et la société, par opposition, se définissent par les liens qui rassemblent les êtres humains, une organisation n’est efficace que si elle se consacre à une seule tâche.

La notion d’organisation n’a pas encore trouvé sa place dans le vocabulaire de la politique, de 1’économie et de la sociologie :
 Quelles fonctions les organisations remplissent-elles ? Pourquoi a-t-on besoin d’elles ?
 Qu’est ce qui explique qu’elles soient encore ignorées, par les sciences sociales et la théorie économique.
 Qu’est ce qu’une organisation, précisément ? Comment fonctionne t-elle ?

La fonction de l’organisation, c’est de rendre le savoir productif. Les organisations ont pris une place essentielle dans la société de tous les pays développés parce que l’on est passé du savoir aux savoirs.

L’organisation est une institution avec un objectif spécial. Elle est efficace parce qu’elle concentre son action sur une tâche unique. La mission de l’organisation doit être définie avec la plus grande clarté. Son objectif doit être immuable.

Les résultats qu’obtient une organisation lui sont toujours extérieurs. La société, la communauté, la famille sont fermées sur elles-mêmes et se suffisent à elles-mêmes. Elles n’existent que dans leur propre intérêt. Mais les organisations existent toutes pour produire des résultats à l’extérieur.

La société, la communauté, la famille sont des institutions conservatrices. Elles s’efforcent de maintenir la stabilité et d’empêcher, ou au moins de freiner, le changement. Mais l’organisation, dans une société post-capitaliste des organisations est un facteur de déstabilisation. Parce que sa fonction est de mettre le savoir à l’œuvre.

Le savoir ne connaît pas de frontières. Pourtant, il existe encore très peu d’organisations transnationales et pas beaucoup plus de grandes « multinationales ». Or une organisation fondée sur le savoir est nécessairement nationale, communautaire. Même si elle est profondément ancrée dans une communauté locale, elle relève du « cosmopolitique sans racines ».

Le travail,
le capital et leur avenir

Si le savoir est devenu la véritable ressource dans la société post-capitaliste, alors quels seront à l’avenir le rôle et la fonction des deux ressources clés de la société post-capitaliste ?

Faire participer les véritables propriétaires, à savoir les employés d’aujourd’hui qui seront les retraités de demain, à la gestion de leurs fonds de retraite, voilà une gageure qui n’a jusqu’à présent été résolu dans aucun pays. Pour l’instant, le seul lien des propriétaires avec leur caisse, c’est l’espérance des chèques à venir. Pourtant, pour la majorité des gens de plus de quarante-cinq ans vivant dans les pays développés, le patrimoine le plus important est constitué par les droits qu’ils ont acquis dans leur caisse de retraite.

La réglementation des caisses de retraite et leur protection contre les détournements poseront encore longtemps des problèmes aux hommes politiques et aux juristes. Selon toute vraisemblance, ils ne seront pas résolus sans scandales. De même l’intégration des propriétaires à la structure des caisses ne sera assurée qu’après beaucoup de débats, d’expériences et de scandales.
La question la plus importante soulevée par les caisses de retraite et les autres investisseurs institutionnels du fait qu’ils sont devenus les principaux pourvoyeurs de capitaux et les actionnaires majoritaires des grandes entreprises, c’est de savoir quel rôle et quelle fonction ils vont tenir dans 1’économie.

Cette évolution, en effet, a périmé les méthodes traditionnelles de gestion des grandes entreprises. Et cela oblige à repenser et à redéfinir le pouvoir dans l’entreprise. Tout organe dirigeant qu’il s’agisse d’un Etat ou d’une entreprise verse dans la médiocrité et l’inefficacité s’il n’est pas clairement responsable de ses résultats, et ce devant quelqu’un de clairement désigné.

La productivité
des forces nouvelles

Le défi nouveau qui est lancé à la société post-capitaliste, c’est celui de la productivité des travailleurs du savoir et des services. Celle-ci ne s’améliorera pas sans des changements dans la structure des organisations et dans la société elle-même.
Dans la recherche de la productivité concernant la fabrication et le transport des objets, tout est donné et décidé d’avance. Entre la productivité de ceux qui produisent et transportent des objets des travailleurs du savoir et des services, il y a une autre différence important. Pour les seconds, doit être décidé comment organiser le travail. Quel genre d’équipe est le mieux approprié ?

La productivité dans les secteurs du savoir et des services exige un effort permanent de perfectionnement au niveau individuel et au niveau de l’organisation.
Le savoir exige la formation continue, parce que son contenu évolue constamment. Les travailleurs du savoir et les travailleurs des services ne constituent pas des classes au sens traditionnel. Entre elles, la frontière est poreuse. On rencontre souvent au sein d’une même famille des travailleurs des services et des travailleurs du savoir ayant bénéficié de l’enseignement supérieur. Mais il y a un risque que la société post-capitaliste ne devienne une société de classes, si les travailleurs des services n’accèdent pas à la fois à un revenu convenable et à la dignité. Pour cela, il faut de la productivité. Mais aussi des possibilités d’avancement et l’estime des employeurs.

L’organisation fondée
sur la responsabilité

Les organisations doivent prendre de l’initiative pour fixer une limite à leur pouvoir, autrement dit savoir à partir de quand leur fonction cesse d’être légitime. Les organisations doivent assumer une responsabilité sociale. Personne d’autre dans la société des organisations ne peut prendre en charge la société elle-même. Mais elles doivent assumer cette fonction d’une manière responsable, c’est-à-dire dans les limites de leurs compétences et sans porter atteinte à leur performance propre.

Pour remplir leur fonction, les organisations doivent disposer d’un pouvoir considérable. Qu’est-ce un pouvoir légitime ? Quelles sont ses limites ? Les organisations, en leur sein même, doivent être bâties sur le principe de la responsabilité plutôt que celui de pouvoir, de commandement et de contrôle. Demander aux organisations d’assumer leurs responsabilités sociales, voilà une exigence qui n’est pas près de disparaître.

Une organisation est pleinement responsable des conséquences de son activité sur la communauté et sur la société. Mais se serait irresponsable de sa part que d’accepter ou d’assumer des responsabilités qui perturberaient sensiblement sa capacité à remplir sa mission centrale. Là où il n’y a pas de compétences, il n’y a plus de responsabilité.

Transnationalisme,
régionalisme, tribalisme

Il y a la menace impérieuse d’organiser des institutions réellement transnationales, c’est-à-dire des institutions qui, dans leur domaine propre, transcendent les Etats-Nation. De telles institutions pourront prendre des décisions et passer à faction pour toute une série de problèmes qui recoupent les frontières de la souveraineté et contrôler directement les citoyens et les organisations à l’intérieur des Etats-Nation. Leurs décisions passeront au-dessus de l’Etat-Nation, elles réduiront son rôle à celui d’exécutant.

L’internationalisme n’est plus une utopie, il apparaît à l’horizon, mais encore timidement. La réalité, c’est le régionalisme. Le régionalisme ne crée pas un super-Etat dont le gouvernement remplace les gouvernements nationaux. Il crée des institutions régionales qui tiennent à l’écart les gouvernements nationaux et les vident peu à peu de leurs attributions.

L’internationalisme et le régionalisme attaquent l’Etat-Nation souverain de l’extérieur. Il sape son pouvoir d’intégration.
Il menace de remplacer la nation par la tribu.(A suivre)

Source : La Nouvelle République