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Boeing-Airbus : des coups en rafale

jeudi 28 avril 2005, par nassim

« Ce sera la bataille du XXIe siècle », avait prédit Jean-Luc Lagardère en juin 2000. Il parlait de la compétition entre Boeing et Airbus pour le partage du ciel.

Non seulement commerciale, cette bataille est depuis plusieurs mois diplomatique, opposant les Etats-Unis à l’Europe. Le tout orchestré par des campagnes de communication de plus en plus puissantes.

La bataille commerciale
L’A380 contre le séduisant 787 Dreamliner

Depuis le début de cette

Airbus A380.

semaine et une double grosse commande de Boeing par Air Canada et Air India, la bataille commerciale a regagné en intérêt. Depuis trois ans, la bagarre entre les deux avionneurs, à force de donner la victoire à Airbus, commençait à lasser. L’européen a traversé la crise du transport aérien consécutive au 11 septembre avec une insolente facilité. Non seulement, Airbus engrangeait plus de commandes, livrait plus d’avions sans licencier, mais, en plus, il se permettait de lancer le plus gros et le plus risqué des programmes aéronautiques depuis le Concorde avec son A380. Mais cette suprématie est peut-être terminée. Comme le dit le patron de Boeing France, Yves Galland, ancien ministre de Jacques Chirac, il a fallu attendre le premier vol de l’A380 pour constater que l’américain « s’est réveillé ». Avec son futur 787 Dreamliner, avion d’environ 250 places, plus économe,

Boeing 787 Dreamliner.

Boeing a retrouvé un peu d’agressivité. La campagne commerciale de son avion (217 commandes à ce jour) est en train de déboucher sur un succès, ce qui redonne un peu de crédibilité à l’américain. Jusqu’à il y a peu, Boeing faisait sourire quand il expliquait que l’A380 n’était pas la réponse adéquate à l’évolution du trafic aérien mondial. L’américain avait beau expliquer que la croissance de demain sera surtout tirée par le développement des lignes directes entre aéroports de taille moyenne, reliés par des avions de moins de 300 places, il était inaudible. Le succès de la campagne commerciale de l’A380 (154 commandes à ce jour, dont 144 fermes) plaidait pour l’option de l’européen. Mais au moins deux éléments sont venus brouiller l’avenir d’Airbus.

Le surpoids de l’A380 et la dégringolade du dollar (avec la montée de l’euro en parallèle) ont à la fois renchéri le coût du programme et repoussé son seuil de rentabilité. Airbus avait toujours dit qu’il lui suffirait de 250 appareils pour commencer à gagner de l’argent. Depuis trois mois, il reconnaît qu’il lui faudra en vendre au moins 300. A priori rien de dramatique, car il prévoit d’en fabriquer au moins 750. Mais si Boeing dit vrai quant à l’évolution du trafic aérien, ce seuil sera peut-être difficile à atteindre. Pour contrer le 787, Airbus a décidé de lancer, à la fin de l’année dernière, son A350. Mais pour la première fois de son histoire, il est apparu sur la défensive, décidant de construire un avion dans la précipitation et une certaine confusion. « L’A350 cannibalise les autres appareils de la gamme d’Airbus », assurait à Libération Randy Baseler, le vice-président pour le marketing de Boeing. Après avoir snobé le 787, l’avionneur européen s’est rendu compte très tard que les compagnies aériennes trouvaient finalement beaucoup d’atouts à l’avion de Boeing. « On est dans un moment délicat », reconnaît un cadre d’EADS.

Le choc diplomatique
Subventions publiques sur la sellette

L’affrontement diplomatique entre Bruxelles et Washington sur la question des subventions publiques aux deux avionneurs met un peu plus de piment à la confrontation. Jusqu’à présent, Airbus pouvait compter sur un mécanisme d’aide remboursable de certains Etats européens pouvant aller jusqu’à hauteur de 30 % du total du programme. Si l’avion devenait un succès commercial, Airbus remboursait les Etats avec les intérêts. Mais si l’avion se vendait moins bien que prévu, l’avionneur pouvait ne pas rembourser la totalité de son emprunt. C’est l’américain qui le premier a décidé l’année dernière de remettre en question l’accord conclu en 1992 qui stipulait ces règles du jeu. Airbus a contre-attaqué, en affirmant que le développement du 787 avait bénéficié d’environ 6 milliards de dollars de subventions. Au début de l’année, Bruxelles et Washington étaient tombés d’accord sur une nouvelle règle du jeu qui supprimerait toute aide publique. Mais la Commission a fait marche arrière, sous la pression notamment de la France. Si les aides à l’A380 ne sont pas en cause, en revanche celles pour le futur A350 restent suspendues à un nouvel accord. Airbus a juré de lancer l’avion même sans aides. « Ce sera évidemment moins confortable », reconnaît un cadre.

La guerre de communication
Mises en scène et conférence téléphonique

Ce combat aérien ne serait rien sans la bataille de communication qui le met en scène. Chacun choisit le timing de ses victoires commerciales et de ses annonces en fonction de son adversaire. Jusqu’à récemment, Boeing avait été contraint d’adopter un profil modeste. « On sait qu’on aura du mal à exister jusqu’au Salon du Bourget et la présentation de l’A380 au public », reconnaissait un cadre de la filiale de Boeing en France. Après de multiples changements stratégiques, des scandales à répétition (qui ont causé la démission du directeur financier et du patron Phil Condit), des histoires de fesses (Harry Stonecipher, le remplaçant de Condit, avait une liaison avec une de ses employées et a dû démissionner), Boeing avait perdu beaucoup en crédibilité. Tandis qu’Airbus roulait sur du velours, mobilisant pour chacun de ses shows le ban et l’arrière-ban de la classe politique française et européenne.

Mais la pitoyable saga, fin 2004, de la nomination de Noël Forgeard, à la place de Philippe Camus à la tête d’EADS, a brouillé la belle image d’Airbus. Et Boeing a retrouvé ses réflexes. Mardi, à la veille du vol de l’A380, il organisait une conférence téléphonique mondiale pour confirmer ses contrats avec Air Canada et Air India. Juste pour faire la nique à Airbus.

Par Grégoire BISEAU, liberation.fr