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Budget et politique économique en Algérie

mardi 29 juin 2004, par Hassiba

« Et ne souffrez point que ceux qui ont les mains stériles prennent part à vos transactions, eux qui vendent leurs paroles en échange de votre travail. » Khalil Gibran, Le Prophète

Par la loi de finances, les choix de l’Etat, en matière de dépenses et de recettes, expliquent l’orientation budgétaire à la base de la politique économique en général et l’économie publique en particulier. Une fois adoptée par les deux chambres de la représentation nationale, elle donne à l’Etat un éventail de moyens d’action :
1- Prélèvement d’impôts directs et indirects dont l’impact sur l’activité économique reste discutable.
2- Affectation de ces ressources à des dépenses devant répondre à des objectifs économiques et sociaux qui devraient être contractualisés à l’avenir pour une meilleure responsabilisation.

Pourquoi I’impact sur l’activité économique reste discutable ?
Le cas de la TVA est édifiant à ce sujet. Elle est collectée par les entreprises mais payée par les consommateurs. C’est donc à travers son taux, à la baisse ou à la hausse, que l’on devinera les influences sur l’activité économique parce qu’elle agit sur l’offre et la demande et a des incidences sur les revenus et les profits. L’Etat, étant le premier consommateur national de biens et services (consommation égale aux budgets de fonctionnement et d’équipement-investissement), doit veiller à ramener le taux de la TVA à sa juste propension. En ce sens, il encourage la consommation, récupère des sommes importantes en termes de volume d’affaires (toutes autres taxes égales par ailleurs) et décharge son budget de la pression dépensière (tendance inflationniste). En recevant moins, il dépense moins (la moins-value de ressources générées par la baisse de la TVA est compensée par une dépense publique toutes taxes comprises proportionnellement basse). Ce sont les consommateurs (personnes physiques et morales) qui, en payant moins de TVA, consommeront plus et donc élargissent l’assiette en termes de collecte. Plus le volume de consommation augmente, plus l’Etat récupère la TVA. Et si la consommation augmente (demande) incidemment la production augmente (offre) grâce à deux facteurs : le capital et la main-d’œuvre. Si la production augmente, il est évident que le chômage baisse (les choix technologiques de production peuvent contrarier cet objectif en faisant augmenter les prix plutôt que la production et l’emploi. C’est pourquoi les encouragements sont à consacrer au made in bladi). En Algérie, deux écoles s’affrontent autour de l’affectation des ressources aux dépenses avec le poids des anciens schémas de l’économie administrée (planifiée serait trop dire et pourtant combien la planification stratégique et financière est vitale en économie de marché) : celle qui se soucie de la réduction des dépenses publiques, et celle préoccupée par l’équilibre budgétaire (signalons que l’un peut et doit aller avec l’autre). Et c’est l’Etat qui se trouve piégé pour financer ses politiques de gestion de la dette, la lutte contre le chômage(1), l’impulsion à bonne distance de la croissance et la compétitivité internationale (balbutiante).
Il s’ensuit trois situations au niveau du solde budgétaire qui ne renseignent pas sur l’orientation de la politique budgétaire de l’Etat :
 1- Solde en équilibre (rarement atteint).
 2- Solde excédentaire (ces dernières années sans impact quantifiable en termes de bien-être social).
 3- Solde déficitaire (situation normale si le déficit n’est pas important +/- 3% par référence au modèle européen et au modèle Keynésien 2 à 3 %).
L’orientation de la politique budgétaire(2) nous intéresse parce qu’elle détermine nos comportements sociaux, financiers, les attitudes des ménages, des entrepreneurs et nos relations bilatérales et multilatérales avec le reste du monde. Le problème en Algérie, c’est que les options continuent de découler d’a priori idéologique (du socialisme spécifique au capitalisme spécifique) ou être imposées par les circonstances (les mauvaises comme les émeutes et pas celles de la conjoncture économique). La question est alors de savoir si la loi de finances est compatible avec les potentialités réelles du pays, de son économie et répond-elle au moins aux préférences établies de politique économique et sociale ? N’est-ce pas le ministre des Finances qui se désole sur les capacités nationales d’absorption insuffisantes ? Mais que fait l’Etat pour les développer (financement public des investissements privés, de création d’entreprises par le privé ?). Et il s’inquiète des sommes affectées aux transferts sociaux arrêtées à 10 % du PIB de 2002 parce que l’Etat n’est pas sûr que ces sommes arrivent aux ayants droit effectifs. Dans ces conditions, notre gouvernement se doit de se rendre compte tout de suite que l’économie des finances publiques va au-delà de la loi de finances et des modalités de financement de l’économie(3) : l’économie des finances publiques est au cœur de l’économie publique dont on souhaite qu’elle devienne positive et normalisée en Algérie.

La perception du rôle de l’État
Il semble de plus en plus certain qu’on perd de vue le rôle de l’Etat en économie de marché depuis la transition de 1989 et la nouvelle organisation politique du pays :
 1- La Constitution en vigueur permet à l’Etat de mobiliser des recettes et d’effectuer des dépenses. Elle porte à sa charge le financement de ses fonctions régaliennes et du domaine patrimonial public.
 2- Les flux financiers découlant de cette activité devraient permettre la gestion de la dette publique (nous ne sommes pas encore parvenus à la gestion active de la dette(4)).
 3- La théorie économique justifie amplement l’interventionnisme étatique pour corriger les défaillances du marché : croissance endogène, policy-mix, enjeux de la protection sociale, traitement de la pollution et développement durable, gestion efficiente des services publics, modernisation de l’Etat.
 4- La politique budgétaire cristallise les choix de politique économique et sociale. L’objectif depuis 1989 était de passer d’une économie administrée à une économie de marché dont la dimension sociale n’est plus contestée par personne (la Banque mondiale et le FMI reviennent à de meilleurs sentiments, ce dernier s’inquiète même du retard en Algérie).
L’ouverture à l’extérieur et l’implication du pays dans deux actes majeurs qu’est l’adhésion à l’OMC et l’accord d’association avec l’Union européenne devaient faciliter la mise à niveau du tissu économique algérien. Mais tout compte fait, c’est du rôle de l’Etat dont souffre l’économie nationale. Le professeur Abdelmadjid Bouzidi, dans un article publié récemment par le Quotidien d’Oran appelait « l’Etat à ne pas se substituer aux entreprises ». Il voit juste et nous conforte dans notre propre vision. La vraie question est de savoir pourquoi l’Etat continue justement à se substituer aux entreprises et pourquoi la privatisation ne peut réussir au stade actuel de la chose économique en Algérie.
De deux choses l’une :
 Ou nos managers manquent de formation en économie politique alors qu’il faut avouer que l’école qui nous a formés nous a appris aussi bien les modèles de développement capitaliste que socialiste (génération 40 - 55 ans aux affaires aujourd’hui).
 Ou ils ne sont pas prêts à laisser filer entre leurs doigts le formidable pouvoir dont ils disposent sur les entreprises au nom de la tutelle sectorielle (conflit d’intérêts, absence de neutralité dans la gestion des biens marchands de l’Etat, économie de rente, enjeux politiques électoraux). Il va sans dire que notre conviction est portée par la deuxième hypothèse qui seule justifie l’immobilisme et le sentiment que rien n’a changé. Pourtant, même en économie de marché, les fonctions d’allocation optimale des ressources, la redistribution des revenus, la stabilisation macro-économique, l’information des marchés et la garantie de protection des investissements peuvent concilier des objectifs de croissance de l’économie publique avec des intérêts de capitaines d’industrie liés politiquement à des franges du pouvoir occulte. Ne sait-on travailler dans ce pays qu’aux dépens de l’Etat, et comble de l’ironie, avec ses moyens ? (A suivre)

Par Benahmed Sadek Berkane
Consultant en administration et finances publiques, El Watan

Notes :
 1- Finance-t-on le chômage ou l’emploi ? Tel est notre dilemme.
 2- Pour les initiés, seuls le budget et la loi de finances renseignent sur l’activité réelle de l’Etat. Le reste est promesses et programme de promesses.
 3- Economie des finances publiques Gervasio SEMEDO Ellipses Collection Université Economie juin 2001.
 4- Si l’Etat algérien fonctionnait normalement personne n’aurait eu l’idée de demander le remboursement anticipé de la dette externe publique. C’est antiéconomique quand son ratio a été ramené à - 20% du PIB. C’est parce que nous ne savons pas faire dans la gestion active de la dette que nous avions conseillé de rembourser, à défaut de fructifier pour économiser au moins le service de la dette. Plus grave, nous payons un loyer de l’argent emprunté que nous n’utilisons même pas.