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Bush et Blair sur les traces d’Aznar ?

mardi 16 mars 2004, par Hassiba

Ce qui vient de se produire en Espagne ces quatre derniers jours est sans précédent dans l’histoire des régimes démocratiques. Un fait de violence d’une sauvagerie inouïe, trois jours avant les élections, a décidé de la majorité de gouvernement. La faute au mensonge ou à l’entêtement guerrier d’Aznar ?

La victoire du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) sur le Parti populaire (PP, conservateur) du Premier ministre sortant José Maria Aznar - 164 sièges contre 148 - était totalement exclue des prévisions mercredi soir encore. Dix explosions sur le réseau ferré de la banlieue madrilène, 200 morts et plus de 1.500 blessés ont tout chamboulé. Partout dans le monde, une telle agression du sentiment national profite spontanément au pouvoir en place. Dans le cas de l’Espagne de ces dernières 72 heures c’est, de la manière la plus spectaculaire, le contraire qui s’est produit. Des titres de la presse mondiale ont déjà épilogué sur cette incroyable défaite du PP de dimanche. Ce serait le prix du mensonge. Le gouvernement Aznar a, en effet, tenté coûte que coûte de vendre à son opinion nationale l’idée d’une responsabilité de l’ETA - l’organisation séparatiste basque - dans les attentats de jeudi dernier. But de la manoeuvre, barrer la route au soupçon redoutable selon lequel le peuple espagnol venait d’être « terriblement puni », par des terroristes islamistes, à cause des errements de son gouvernement va-t-en-guerre en Irak dans le sillage de George W. Bush.

Le confinement médiatique de la piste islamiste aurait dû tenir bon trois jours durant. Le temps de passer l’épreuve des urnes. Il s’est effrité au bout de 24 heures. « Ce ne sont pas des Basques qui ont fait cela », le haut-le-coeur de la mouvance nationaliste basque a pesé autant que le démenti formel de l’ETA.

Dès samedi soir, des milliers de manifestants assiégeaient les locaux du PP dans les grandes villes d’Espagne pour exiger la vérité sur les attentats du 11 mars. Mais est-ce bien le mensonge du gouvernement qui a provoqué en trois jours cet invraisemblable retournement de situation dans la donne électorale espagnole ? Il a sans doute été un facteur aggravant de la débâcle des conservateurs. Il n’en reste pas moins vrai que le résultat aurait peut-être été équivalent si le gouvernement avait admis dès le premier jour la responsabilité du terrorisme islamiste comme une possibilité forte. En effet, cet aveu tellement redouté par José Maria Aznar et par son successeur annoncé Mariano Rajoy, aurait bel et bien consacré le naufrage sanglant de leur zèle atlantiste et militariste en Irak. Le PSOE, qui, comme 80% de l’opinion espagnole, était hostile au recours à la guerre contre l’Irak, n’aurait pas manqué d’enfoncer politiquement le gouvernement sortant. Aznar a bel et bien attiré, dans le déshonneur de l’alignement inconditionnel sur Washington, la folie meurtrière de l’islamisme extrémiste sur le sol espagnol. C’est là un thème émotif à la nuisance électorale considérable. Même et surtout à 48 heures du vote.

Finalement, la vraie défaite du couple Aznar-Rajoy n’est pas vraiment le fruit du mensonge mais celui de l’entêtement. L’Espagne de Aznar a tourné le dos à son enracinement politique naturel en Europe continentale pour s’embarquer dans une galère de croisade antiterroriste qui s’est déroutée vers l’Irak et une guerre aux buts si étrangers à ses intérêts historiques. Un viol au bon sens diplomatique que les Espagnols étaient prêts à ne pas sanctionner par le vote, compte tenu des bons résultats économiques du gouvernement Aznar. Mais qui est brutalement devenu imprescriptible après la boucherie du 11 mars.

Le choix des électeurs espagnols de ce dimanche 14 mars est un sommet himalayen d’exercice de la responsabilité citoyenne dans les Etats modernes. Il ne fallait pas que la main tremble devant l’urne. Le dilemme moral était considérable. Voter pour la coalition de droite au pouvoir signifiait fermer les yeux sur les conséquences effroyables de son engagement guerrier à rebrousse-poil du sentiment pacifiste des Espagnols. Voter pour l’opposition de gauche du PSOE pouvait être assimilé à donner une prime aux terroristes. Ceux-ci voulaient sanctionner José Maria Aznar par les bombes meurtrières, les électeurs prolongeraient la sanction par le bulletin de vote. Difficile à assumer dans un univers mental occidental qui ne laisse aucune « épaisseur politique » aux actes terroristes. Ce sont les 8% de votants supplémentaires qui auront fait la décision. Les sondages ne les prenaient pas en considération lorsqu’ils donnaient une victoire prévisionnelle au PP.

Le 11 mars les a poussés à agir. Pour renvoyer chez eux des gouvernants si peu attentifs à l’opinion de leur société.
José Maria Aznar devait en tout état de cause partir. Il quitte la scène en cadavre politique et entre dans l’histoire comme un grand faiseur de malheur pour son pays. D’autres mensonges et d’autres entêtements n’ont pas encore été expiés électoralement. Aznar était un des trois anges de la mort qui, aux Açores en mars 2003, annonçaient à la face d’un monde en colère, la guerre contre l’Irak. Cette invasion a décuplé les ressources du radicalisme islamiste le plus meurtrier. Bush et Blair courent toujours. Ils pourraient bien ne plus être là à la fin de l’année. Il n’y a surtout pas besoin de nouvelles boucheries des terroristes islamistes pour que les opinions pacifistes se débarrassent de leur fauteur de guerre.

El Kadi Ihsane, quotidien-oran.com