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Carlos Ghosn à la tête de Renault-Nissan

vendredi 29 avril 2005, par Stanislas

"Mon arrivée chez Renault ? Comparé au redressement de Nissan en 1999, ce sera le paradis." Carlos Ghosn ne perd jamais le moral.

Pourtant, la pression est forte.

Carlos Ghosn.

A 51 ans, le Franco-Libanais s’apprête à affronter l’un des défis les plus ambitieux qu’un PDG ait eu à relever dans l’automobile. A l’issue de l’assemblée générale des actionnaires de Renault, vendredi 29 avril, M. Ghosn deviendra le neuvième président du constructeur français. Tout en restant patron de Nissan. L’homme se retrouve à la tête d’un mastodonte produisant 5,8 millions de véhicules, employant plus de 270 000 personnes, sur 42 sites de production, avec deux sièges sociaux distants de plus de 10 000 kilomètres. Pour corser le tout, les deux entreprises devront garder leur identité et leur culture propres, secret de la réussite de l’alliance depuis 1999.

"Gérer son emploi du temps sera son principal défi" , dit de son successeur Louis Schweitzer, qui reste président du conseil d’administration de Renault. M. Ghosn affirme qu’il passera 40 % de son temps à Paris, autant à Tokyo, et le reste aux Etats-Unis. Voilà pour la communication. La réalité risque d’être différente. "La première nécessité pour moi est de redécouvrir l’entreprise. Renault n’est pas en crise, donc il n’y a pas d’urgence, explique M. Ghosn. Je prends mes fonctions lundi et on commence par une visite d’usine." Le manager le plus médiatique de la planète se donne six mois avant de dévoiler sa feuille de route. "Dès la fin 2005 les objectifs seront fixés, a-t-il affirmé jeudi 28 avril. Sur un plan stratégique, il n’y aura pas beaucoup de surprise, le changement se fera sur le rythme, la vigueur. Je ne pratiquerais pas de copier-coller." Cinq grands chantiers se dessinent.

Rassurer les troupes. Depuis quelques semaines, un vent de paranoïa s’est emparé de Billancourt. "L’ambiance est complètement surréaliste, avoue un cadre dirigeant. Je ne reconnais plus les gens. Carlos Ghosn est exigeant, c’est vrai, mais de là à mettre Renault à feu et à sang..." Les précédentes expériences du PDG montrent en effet que sa méthode consiste à mettre l’entreprise sous tension, mais en s’appuyant sur les équipes en place. Ce fut le cas chez Renault, lors de son premier passage en 1996, ou chez Nissan en 1999.

La génération des cinquantenaires pourrait faire les frais d’un rajeunissement de l’état-major. Mais, globalement, les changements devraient être limités, dans la mesure où M. Schweitzer a déjà profondément modifié le comité exécutif en décembre 2004. Le directeur de la communication, Patrick Bessy, a déjà démissionné. L’avenir du directeur du design, Patrick Le Quément, très lié à M. Schweitzer, reste en suspens. A terme, M. Ghosn devra choisir un numéro deux capable de le soulager d’une partie de ses responsabilités.

Restructurer l’international. Carlos Ghosn hérite d’une organisation géographique compliquée. Les chantiers lancés par M. Schweitzer, à commencer par l’objectif de vendre 4 millions de véhicules par an (contre 2,5 millions aujourd’hui), passent obligatoirement par un changement en profondeur de la structure. Les premières décisions seront prises après l’été, date du départ en retraite de Georges Douin, directeur général adjoint chargé de l’international.

En outre, M. Ghosn devra transformer l’essai de la Logan, la voiture à 5 000 euros, qui constituera le principal levier de l’internationalisation de Renault dans les prochaines années. Enfin, il pourrait être l’homme du retour de Renault aux Etats-Unis, dix-huit ans après la cession d’AMC par Raymond Lévy.

Repenser la gamme. La question la plus urgente porte sur le haut de gamme. Après les récents échecs de la Vel Satis et de l’Avantime, M. Ghosn devra trancher : comment Renault peut-il être présent sur ce segment dominé par les Allemands ? Une solution consisterait à s’appuyer sur Nissan et sa marque de luxe Infiniti. Une stratégie de mise en commun de la technologie pourrait permettre à Renault de développer un véhicule de loisir haut de gamme. Concernant les petits véhicules, le nouveau PDG pourrait être amené à faire des choix différents de son prédécesseur. Les six petits modèles que Renault a en portefeuille ne sont pas loin de se cannibaliser. Le dernier arrivé, la Modus, a du mal à décoller. Compte tenu des derniers choix arbitrés par M. Schweitzer, la première Renault de l’ère Ghosn ne devrait pas voir le jour avant 2008.

Améliorer la performance industrielle. Même si Renault a fortement augmenté sa productivité sous l’ère Schweitzer, Carlos Ghosn a encore du grain à moudre. Un employé de Renault fabrique, en moyenne, 19,5 véhicules par an, contre 24,3 pour PSA, selon une étude de Morgan Stanley publiée le 22 avril. Par ailleurs, Renault devra améliorer l’utilisation de ses capacités de production, qui s’élèvent aujourd’hui à 60 %, contre 75 % chez Nissan.

Consolider l’alliance. Le concept d’entreprise binationale imaginé par Louis Schweitzer reste, malgré son succès incontestable, d’une évidente fragilité. La prise de contrôle "en douceur" de Nissan, en respectant son identité, a fait la force de l’alliance. Mais cette approche peut à tout moment se transformer en handicap.

Nissan est plus fort que jamais. Premier constructeur mondial en termes de rentabilité, deuxième capitalisation boursière du secteur derrière Toyota, le constructeur japonais a-t-il encore vraiment besoin de Renault pour passer la décennie ? Son loyalisme à l’égard de l’alliance va être un défi de chaque jour et M. Ghosn devra user de tout son charisme pour persuader les Japonais que l’avenir de Nissan est indissociable de celui de Renault.

Inventer un avenir commun entre Français et Japonais n’est pas une mince affaire. Pour fédérer les deux entités, le nouveau patron peut jouer sur la peur de la concurrence, face à laquelle Nissan et Renault doivent se persuader que la seule façon de lutter est d’unir leurs forces. L’ennemi commun est à l’évidence Toyota.

M. Ghosn aura en tout cas les moyens financiers de ses ambitions, puisqu’il va disposer d’un trésor de guerre colossal : les deux entreprises sont désormais très rentables et le bénéfice cumulé de l’alliance a atteint 7,3 milliards d’euros en 2004. Que pense M. Schweitzer des défis à relever par son successeur ? "J’ai eu des opportunités, Carlos Ghosn aura les siennes, dit le PDG sortant. Il faudra qu’il les saisisse, mais je ne me fais pas beaucoup de souci. Sa mentalité, c’est plutôt de battre les records que de les admirer."

Par Stéphane Lauer, lemonde.fr