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Comment Tony Blair a vaincu le chômage

samedi 23 avril 2005, par Stanislas

Si Tony Blair, le Premier ministre britannique, perdait, scénario peu probable, les élections du 5 mai, ça ne serait pas à cause du chômage. Au pays du business roi, trouver un emploi ne pose plus de problème. Mais c’est du brutal.

Marcus, 17 ans, a les yeux dans le potage de l’ado peu habitué à se lever de bonne heure. Il pleut, il fait froid et il doit pointer à 9 h, dès l’ouverture de son Job Centre Plus (ANPE), dans le centre de Manchester. « J’ai quitté l’école y’a six mois.

Tony Blair.

Alors, je cherche, ch’sais pas, un poste dans une usine, un entrepôt, n’importe quoi », marmonne-t-il dans un argot local. Marcus s’est inscrit au Job Centre voilà trois semaines et sa recherche a pris un coup d’accélérateur. « Ils me donnent 40 £ par semaine (60 €), mais si je ne viens pas ici tous les 15 jours, avec des preuves de mes recherches, ils coupent tout. » Les salariés de l’agence appellent eux-mêmes les entreprises pour monter les rendez-vous de l’ado. Les chômeurs diplômés, eux, pilotent seuls leurs recherches. Mais la sanction est la même. Un informaticien tardait à décrocher un travail bien payé dans sa branche. Le Job Centre l’a sommé de répondre à l’offre d’un fast-food. Refus. Robinet coupé. Heureusement, l’informaticien a vite rebondi. Pas difficile, quand le quotidien local affiche chaque jour onze pages d’offres d’emploi.

L’immigration explose

« Ici, beaucoup d’enfants de la crise n’ont jamais vu leurs parents se lever tôt, annonce un porte-parole du patronat. Le new deal de Tony Blair a changé l’attitude des jeunes vis-à-vis du travail. » Cette nouvelle donne garantit, main gauche, une allocation-chômage illimitée. Et rassure, main droite, ceux qui craignaient un « encouragement à la paresse ». À 80 € par semaine maximum pour un adulte, il n’y a pourtant pas de quoi hurler au laxisme, mais on est en Angleterre, au pays de la compétition et, désormais, du plein emploi. Tony Blair, qui se représente devant les électeurs le 5 mai, s’enorgueillit d’avoir ramené le taux de chômage à 4,8 % (norme internationale). Du jamais vu depuis trente ans.

Pourtant, l’industrie continue de s’écrouler, comme en témoigne la faillite de Rover, le constructeur auto de Birmingham. À Manchester, coeur du Nord manufacturier, le textile est en lambeaux. « Ici, on avait l’habitude de perdre 10 000 emplois industriels par an », raconte John Risk, l’économiste de la Chambre de commerce du « Grand Manchester », une interminable banlieue de maisonnettes rouges de 2,5 millions d’habitants. Qui recrute, alors ? La pharmacie high-tech, les banques, le commerce, les services... « Les Anglais sont pragmatiques et ils ont le sens de la valeur ajoutée. Un pneu crevé ? Vous trouvez une boîte pour vous le remplacer sur le parking de votre entreprise, et c’est comme ça pour tout », raconte le Français Gil Steyaert, le directeur d’Adidas Royaume-Uni, qui recrute lui-même à tour de bras. Pas pour produire , les vêtements viennent d’Asie. Mais pour vendre. À Manchester, des centres commerciaux ultramodernes poussent sur les ruines des usines. La consommation chauffe. L’immobilier surchauffe. Les capitaux pleuvent, alimentés par la City de Londres, première place financière mondiale.

Les travailleurs anglais s’adaptent. Ou quittent le circuit. C’est la face cachée du new deal. Outre-Manche, 2,5 millions d’adultes sont inscrits comme « inaptes au travail » : ouvriers licenciés dans les années 80, mères célibataires ou vrais handicapés, ils reçoivent une « allocation d’incapacité » de 111 € par semaine. Tony Blair promet de ramener une partie des « inaptes » vers les Job Centres, s’il est réélu. En attendant, son adversaire conservateur, Michael Howard, lui reproche de laisser les immigrés affluer en masse pour compenser la pénurie de bras : dentistes allemands, ouvriers agricoles polonais, chauffeurs indiens... « Ce n’est pas être raciste que de vouloir limiter l’immigration », clament les affiches des Tories, à deux pas du Curry Mail ou de Chinatown, les quartiers colorés de Manchester.

Devant le Job Centre du centre-ville, Milan, 31 ans, scrute les offres d’emploi. Lui, arrive de Slovaquie, attiré par un poste de nettoyeur de train à 700 € par mois. « Mais l’embauche est tombée à l’eau. » Et Milan a déjà claqué ses réserves en nourriture et logement. « Tout coûte une fortune ! Dire que je pensais pouvoir économiser 400 € par mois en travaillant ici. Je me rends compte que c’est impossible. Je trouve un contrat pour me renflouer et je rentre. En Slovaquie, on vit très bien avec une paie de 300 €. »

Source : Ouest-france.fr