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Entretien avec Abdelmalek SELLAL

dimanche 8 mai 2005, par Stanislas

Pour Abdelmalek SELLAL, ministre des Ressources en eau, le problème n°1 du secteur dont il a la charge en Algérie est essentiellement lié à sa gestion chaotique.

Abdelmalek SELLAL

Fort de la nouvelle loi sur l’eau, Abdelmalek Sellal entend donner un coup de pied dans la fourmilière. « Ce n’est pas normal qu’avec 650.000 m3 par jour, Alger ne soit pas alimentée 24H », insiste-t-il. Dans cet entretien, le ministre met le doigt sur la plaie, mais évoque aussi l’ambitieux Plan national de l’eau qui prévoit la production de plus d’un million de m3 par jour d’eau dessalée et l’épuration de 750.000 m3 d’eaux usées.

La nouvelle loi sur l’eau, bien que votée par l’APN, a été décriée par les partis de l’opposition. On avance la tarification proposée par votre département comme étant une porte ouverte aux augmentations des prix de l’eau. Qu’en dites-vous ?

Abdelmalek Sellal : Il faut remettre les choses à leur place. Lorsque le projet de loi a été présenté en commission, il n’y a pas eu beaucoup d’objections. En tout cas, il y a eu des remarques de forme, mais pas de fond. Mais en plénière, il y a tout de même eu quelque 33 amendements, concernant particulièrement les questions relatives à la concession de la délégation de service. Les députés qui ont soulevé cet aspect de la loi pensaient que cela allait entraîner une révision totale des prix vers la hausse. En fait, le principe de la concession existait déjà dans l’ancienne loi tant en direction du privé que du public. Dans la mouture que nous avons présentée devant l’APN, nous n’avons retenu que l’ouverture en direction du secteur public seulement.
Pour ce qui concerne la délégation de service, cela n’a rien à voir avec une quelconque forme de privatisation. Les ressources hydriques et les installations demeurent la propriété exclusive de l’Etat.

L’intervention de l’entreprise étrangère, disposant déjà d’un savoir-faire en la matière, se situe autour de la gestion seulement. L’Etat paye cette entreprise sur la base d’objectifs précisés dans un cahier des charges. Lequel objectif, fondamental, pour les quatre grandes villes du pays, est de faire appel à une gestion déléguée des ressources en eau à travers l’intervention de grandes entreprises internationales détenant un savoir-faire certain dans le domaine. Il est question d’améliorer le management, de régler le problème des déperditions qui sont de l’ordre de 20 à 40 %. A terme, nous ambitionnons de donner de l’eau aux Algériens H24 jusqu’au 26e étage, notamment pour la capitale, comme première étape.

Donc contrairement à ce que pensent certains, notre objectif, à travers la nouvelle loi, n’est pas d’aller dans le sens d’une libéralisation totale du prix de l’eau. On n’est pas du tout là. Il s’agit en fait d’une simple délégation de gestion, dans le but de ramener à niveau notre réseau d’AEP et atteindre nos objectifs de service public, tel que fixé par l’Etat.
Maintenant, pour ce qui concerne la tarification à proprement parler, la loi évoque le principe de l’indexation. Il n’est pas question d’augmentation à tort et à travers du prix de l’eau, bien que nous soyons largement en deçà du prix de revient à la production, sans parler de celle qui nous parvient des barrages qui, elle, est gratuite. Nous sommes, avec la dernière augmentation, inférieure de 40% du coût réel. En réalité, le dernier ajustement a été réalisé sur le principe de l’indexation, puisque les coûts des intrants à la production, comme l’énergie, ont, eux aussi, augmenté. De plus, il y a lieu de relever que, dans la récente augmentation, les ménages sont pénalisés le moins possible. Ce sont les gros consommateurs qui sont touchés par les nouveaux tarifs.

Vous proposez dans la nouvelle réglementation une batterie de mesures tendant à une meilleure gestion du précieux liquide. Quelles en sont les principales innovations ?

C’est d’abord une loi qui a l’avantage d’être extrêmement claire et qui permet de faire évoluer la gestion, le management, la mobilisation et la protection de l’eau. Ce sont d’ailleurs les trois axes principaux de cette loi qui s’inscrit dans le cadre du Plan national de l’eau qui vise l’objectif 2025.

En termes de mobilisation de l’eau, nous avons rendu obligatoire la mobilisation de l’eau dite non conventionnelle. C’est le dessalement et la réutilisation des eaux usées après épuration, chose qui n’existait dans aucune autre loi précédente. Le liquide épuré servira à l’irrigation, à la recharge des nappes et éventuellement à la consommation humaine à travers sa réinjection dans le réseau d’AEP. Je tiens à signaler que c’est là une pratique courante à l’étranger où l’on n’a pas le droit de rejeter les eaux usées qui sont systématiquement réutilisées. Au plan scientifique, l’opération de purification ne pose aucun problème, c’est un processus biologique assez simple. Jusqu’à maintenant, on ne s’en est pas occupé. Nous enregistrons la perte de quelque 750 millions de m3 d’eau usée. Notre objectif, à l’horizon 2010 est de réduire ce chiffre de 50%. Nous avons pour l’heure 18 stations d’épuration en cours de réhabilitation. Dans les cinq ans à venir, nous prévoyons la réalisation de 28 stations nouvelles.

Cinq grandes stations sont prévues pour la seule année 2005. Il existe, cependant un problème de gestion et d’entretien. Nous réfléchissons à une forme de gestion plus efficace que celle des communes qui n’ont pas les capacités matérielles et managériales à même de les faire fonctionner. A ce propos, nous sommes en train de voir la possibilité de donner en concession à des microentreprises ces stations, dans le cadre de l’emploi des jeunes.
L’autre grand axe de cette loi consiste en la dotation de la police de l’eau de pouvoirs judiciaires. Grâce à la nouvelle réglementation, cette police disposera des moyens nécessaires pour agir contre les contrevenants qui risquent désormais des sanctions pénales. L’objectif est de lutter contre les atteintes répétées et incontrôlées au domaine public hydraulique à travers, notamment, les branchements illicites, responsables des déperditions et de la propagation des maladies à transmission hydrique. Il est aussi question de combattre les utilisations d’eaux usées non épurées.

Votre département a fait appel à des entreprises spécialisées dans le domaine de l’eau. Peut-on connaître les premiers résultats de leurs interventions, d’autant que nombre de ces interventions visent à réhabiliter les réseaux d’AEP, dont la vétusté est responsable de très nombreux cas de maladies à transmission hydrique.

Pour ce qui concerne les travaux de rénovation et de réhabilitation des réseaux, notamment pour les villes d’Oran et d’Alger, les chantiers touchent à leur fin, pour Constantine, les travaux vont démarrer dans le courant de ce mois. Nous avons également au programme la rénovation des réseaux d’une douzaine de villes. Pour l’heure, on peut déjà affirmer que les réseaux d’AEP d’Alger et d’Oran sont, en grande partie, rénovés.

Maintenant, concernant les fuites, il faut savoir que, dans tous les réseaux du monde, il y a des fuites. Pour Alger par exemple, sur les 650.000 m3 par jour libérés, nous constatons entre 20 et 40% de pertes du fait des fuites et des piquages illicites. Cela dit, il y a réel problème de gestion des réseaux. Dans les pays modernes on n’intervient plus d’une manière « artisanale » comme on le fait chez nous. Il arrive qu’on ferme une conduite et qu’on pénalise tout un quartier pour une petite intervention. C’est pour cette raison qu’il est indispensable de bien manager les réseaux par l’utilisation de techniques modernes, à travers des logiciels et des automatismes à distance. D’où l’importance du partenariat.

Cela dit, nous sommes en discussion avec l’entreprise Suez sur un projet de partenariat avec l’Algérienne des eaux. Mais l’accord final n’est pas encore conclu. Cela dit, le principe du partenariat étant retenu, nous lancerons des consultations pour ce qui concerne Oran, Constantine et Annaba dans les mois qui viennent.

Le secteur des ressources en eau prend une part importante du budget consacré au programme de soutien à la relance économique. A ce propos, vous avez affirmé récemment que la pénurie d’eau sera réglée à moyen terme. Peut-on connaître, à ce propos, la position de l’Algérie en termes de disponibilité de la ressource hydrique, par rapport à nos voisins immédiats et dans le monde ?

En termes de prévision, on se donne les moyens et les infrastructures qui nous permettront d’améliorer la situation et surtout de sécuriser la population, notamment à travers le programme de dessalement. Maintenant, si l’on se compare à nos voisins, il faut savoir que nous sommes à peu près dans la même situation en termes de disponibilité de l’eau. L’Algérie a atteint un taux de raccordement aux réseaux d’AEP de l’ordre de 80%. Quant à l’assainissement, nous sommes à 87% de raccordement. Par rapport donc aux normes internationales, nous ne sommes pas loin des pays développés. Le problème qui se pose à l’Algérie a trait au service public que nous n’arrivons pas à assurer correctement. Le cas d’Alger est édifiant. En principe avec 650.000 m3 par jour, la logique voudrait que l’alimentation soit H24 pour toute la population de la ville, à raison de 130 litres par habitant et par jour. Or, les chiffres ne reflètent pas cela. 11% de la population algérienne est alimentée en permanence, 40% est desservie sur des plages horaires allant de une à six heures par jour, ils sont 25% à être alimentés en eau un jour sur deux, alors que 18% de la population ne sont alimentés qu’à raison d’un jour sur trois et plus. C’est pourquoi j’insiste sur le recours à des compétences étrangères pour améliorer la gestion.

Avec une population égale, beaucoup disent que les Marocains sont beaucoup mieux lotis.

Pas du tout, les Marocains ont un service meilleur au niveau des grands centres. Mais contrairement à ce qui se raconte, en milieu rural, c’est encore la fontaine du village qui fait office d’alimentation en eau potable. Chez nous, la plupart des communes rurales possèdent leur réseau de distribution. Dans certaines régions, il y a effectivement une insuffisance de mobilisation, mais également un problème de distribution qui est mal faite. Ma vision des choses est justement de m’appesantir sur le management de la distribution de l’eau.

Le dessalement d’eau de mer est une option stratégique de l’Etat. Le président de la République l’a d’ailleurs à maintes reprises, affirmé. Trois grands projets ont été lancés dans ce cadre à Alger, Oran et Skikda, où en sont ces chantiers ?

En 2001, un programme d’urgence de réalisation de 16 petites unités monoblocs, d’une capacité moyenne de 3 000 m3 par jour chacune, a été lancé. Certaines installations fonctionnent. D’autres, qui ont été confiées à l’Entreprise algérienne Hydro-traitement, connaissent des problèmes.
Quant au programme auquel vous faites référence, il concerne les grandes usines qui ont commencé à être lancées l’année dernière. La première unité d’une capacité de 90.000 m3 par jour a été initiée à Arzew par l’entreprise Kahrama. Elle sera réceptionnée en août prochain.
La deuxième est celle d’El-Hamma, à Alger, qui produira 200.000 m3 par jour. Une autre grosse usine sera construite à Béni-Saf. Cela en plus d’autres unités qui seront établies à Sidna Ouicheh et Hounaîen à Tlemcen, Tafoust, Zéralda, Cap-Djenet, Annaba, Jijel et Skikda.
Comme le dessalement répond à une technicité spéciale, une entreprise a été créée par le secteur de l’énergie et des mines. Il s’agit de l’Algerian energy compagnie (AEC). Cette entreprise est chargée de réaliser le programme du gouvernement. Dans les cinq années à venir, on prévoit la réalisation de 11 grosses unités de dessalement.
Toutes ces réalisations sécuriseront l’alimentation en eau potable des grandes villes.

Ce programme qui stipule que ce sont les partenaires qui financeront eux-mêmes les usines, à charge pour l’Etat de leur acheter toute la production, intéressent-ils les professionnels étrangers ?

Jusqu’à maintenant, les appels d’offres qui ont été lancés par l’AEC, ont connu une forte participation d’entreprises spécialisées dans le domaine du dessalement. La plupart des offres ont abouti et certains sont en phase d’étude pour leur réalisation.

L’eau dessalée coûte 58 DA le m3, ne pensez-vous pas que le poids financier soit trop lourd à porter en cas de chute du prix du pétrole ?

Le consommateur ne payera jamais l’eau à ce prix-là. L’Etat prendra en charge le différentiel dans le cadre de la solidarité nationale. Maintenant, il est évident que l’Etat ne pourra pas toujours faire face à des dépenses qui, fatalement, se répercuteront sur d’autres secteurs, comme l’éducation et la santé. Choisir pour choisir, on ne peut pas échapper à l’eau, c’est la source de vie. Elle aura de toute façon la priorité. Cela n’empêche pas d’adopter une vision objective et rationnelle et faire en sorte que les surcoûts ne soient pas très importants, pour permettre à l’Etat de supporter le différentiel. A long terme, il faut que tout un chacun participe au coût de l’eau, même si le prix de vente n’est jamais celui de sa production. C’est un bien social, public. Il ne sera jamais un produit marchand. Cela dit, l’amélioration de la gestion peut également être un facteur de réduction de ce différentiel, les déperditions, c’est de l’argent que la collectivité perd.

Par Saïd BOUCETTA, lexpressiondz.com