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Entretien avec M. Mammar Boumedienne, DG de l’Algérienne des eaux

lundi 28 mars 2005, par Stanislas

Au regard de l’état des lieux du secteur de l’eau dans notre pays, que tout un chacun connaît, il est indéniable que les défis que doit relever l’Algérienne des eaux, créée en 2001, sont pour le moins énormes.

L’établissement d’un fichier national des abonnés, déjà lancé, pour identifier les nombreux consommateurs ne disposant pas de compteurs faibles, se présente comme l’une des priorités pour recouvrer des créances estimées à 10 milliards de dinars, appelés à être reversés au service public.

La tribune : Voulez-vous nous présenter l’organisme que vous dirigez ?

Mammar Boumedienne : L’Algérienne des eaux est un établissement public à caractère industriel et commercial sous tutelle du ministère des Ressources en eau. Elle est chargée de la mise en œuvre de la politique nationale de l’eau potable et a jusque-là, début 2003, absorbé neuf entreprises publiques existantes, alors que 26 EPDEMIA doivent suivre, ainsi que le grand nombre de régies communales existant à travers le territoire national. Sa mission est l’approvisionnement en eau potable et industrielle ainsi que sa facturation en passant par la production, le transfert, le traitement, le stockage et l’adduction, et ce, soit à partir des barrages, soit à travers les 1 935 forages que nous gérons. L’ADE, c’est 43 stations de traitement, 822 stations de pompage, 1 937 forages, 60 000 kilomètres linéaires de conduites, des réservoirs et des châteaux d’eau. L’ADE, c’est également 12 000 travailleurs. Si nous y ajoutons ceux des EPDEMIA, ça nous fera 21 008 personnes qui se chargent de procurer l’eau potable à une population de quelque 19 millions d’habitants. Sept millions d’habitants sont desservis par les régies communales. Les 6 millions restants sur 32 millions sont les habitants des zones rurales qui n’ont pas de réseaux. C’est vous dire qu’en Algérie le taux de raccordement est de 90% en milieu urbain, et aux environs de 87% en milieu rural et semi-rural.

Quel est le coût réel du mètre cube d’eau potable qui arrive dans nos robinets ?

Vous savez, il y a différentes manières de calculer le prix de revient. Il y a le prix qui comprend, en plus du produit lui-même, celui des infrastructures. C’est ce qui s’applique dans le cas de la concession. Lorsque le prix comprend en plus les coûts liés à la maintenance, alors que la propriété reste celle de l’Etat, il s’agit de l’affermage. Le troisième cas concerne la délégation, de la gestion de l’eau, c’est ce dont est chargée l’ADE. Dans ce cas, l’Etat est en charge de la réalisation des investissements, de la maintenance et des infrastructures. Vous comprenez que l’eau coûte plus cher à mesure que l’on passe de la délégation de gestion, à l’affermage et à la concession. Donc, nous sommes en train d’appliquer la formule qui donne les prix les plus bas. Le prix réel du mètre cube d’eau avoisine les 25 dinars lorsqu’il ne comprend que le coût d’exploitation. Si nous devons ajouter celui lié à la maintenance et à la réparation, le coût sera de 40 à 50 dinars. Si nous devons en plus inclure les investissements, mon Dieu, je ne saurai, vous le dire tant le chiffre est effarant. Or, les tarifs appliqués actuellement tournent autour d’une moyenne de 10 dinars. Ceci sans comprendre la dernière augmentation de janvier. En fait, les tarifs de l’eau sont progressifs. C’est-à-dire que le prix du mètre cube change en fonction du volume consommé selon des plages bien déterminées. Je dois en outre vous préciser que nous produisons de l’eau pour trois catégories distinctes pour lesquelles on applique bien entendu des prix différents, toujours en fonction des volumes consommés. Il s’agit d’abord des ménages, de l’administration et services ensuite, et de l’industrie et grands commerçants enfin. Sachez également que 95% de l’eau produite va vers la consommation domestique. Si, cependant, le ménage est situé dans une zone de grande activité commerciale, la péréquation va évidemment en faveur d’une augmentation et l’inverse est vrai. Quand on parle de 10 dinars, c’est en vérité le fait d’une péréquation à l’échelle nationale, toutes catégories confondues indépendamment des zones et des statuts.

Quelle est la problématique du service public ?

Ceci est très important parce que pour faire du service public comme il se doit, vous avez, d’un côté, les infrastructures à gérer, les investissements l’Etat à rentabiliser et optimiser leur utilisation, et de l’autre, la clientèle à satisfaire. Or, la grosse problématique pour n’importe quel gestionnaire de l’eau, c’est d’assurer le service sans faire de bénéfice. Vous devez être, seconde par seconde, à l’écoute des deux côtés pour tenter de réaliser un équilibre et continuer à assurer l’accès des citoyens à la ressource. La gestion actuelle des infrastructures est dépassée. Aujourd’hui, c’est l’ère de la télégestion. C’est-à-dire qu’à l’instant T, je dois connaître à partir de mon bureau combien de mètres cubes d’eau j’ai dans les réservoirs, où se situe telle fuite, quel est le taux de chlore à tel endroit, etc. Ceci n’est pas encore le cas, mais fait partie du schéma directeur que nous préconisons. L’idée est bien mûre depuis deux années déjà et on a commencé à agir dans ce sens. Alger pourra avoir son premier système de télégestion d’ici une année.

Quels sont les défis que doit relever l’ADE ?

La grande contrainte est celle de la disponibilité de l’eau parce qu’il va sans dire que 65% de l’eau est produite au niveau des forages, alors que 35 à 40% l’est à partir des barrages. C’est une situation totalement inversée pour ce qui est de l’ouest du pays où 70% de l’eau provient des barrages. Cela suppose bien entendu une main-d’œuvre assez importante, de gros frais d’électricité, de produits chimiques et des frais de maintenance. L’autre grand problème que tout le monde connaît est celui de la vétusté du réseau qui a besoin d’être repris. Aussi, il est connu que faire circuler l’eau par intermittence dans le réseau, c’est-à-dire un jour sur deux et plus, provoque son usure prématurée. Troisièmement, le développement anarchique des villes à l’origine de raccordements en dehors des schémas directeurs. Cela m’emmène à évoquer ces innombrables réseaux réalisés durant les quinze dernières années par des auto-constructeurs privés et publics sans aucun respect des normes. Face à tout cela, nous nous organisons pour lutter d’abord contre les fuites puisque les pertes sont estimées à 48%, 30% physiques et 18% d’ordre commercial (non payées par les consommateurs). Nous opérons quelque 160 000 réparations par an.

L’Etat s’est résigné à réhabiliter le réseau dont il est propriétaire. Le programme porte sur sept villes. Nous luttons aussi contre les piquages illicites et nous sommes en train de doter l’ensemble de nos abonnés de compteurs plus fiables lorsqu’ils sont connus et identifiés parce que vous n’êtes pas sans savoir que nombreux sont les consommateurs qui ne disposent pas de compteurs et qu’on ne peut identifier. On ne peut de ce fait même pas connaître les quantités consommées. Pour cela, nous avons mis sur le terrain des brigades pour identifier ces consommateurs. Nous en sommes à 200 000, devenus désormais nos abonnés. Cela nous permettra ensuite de mettre à jour notre fichier. Pour l’heure, nous sommes arrivés à avoir un abonné (c’est-à-dire un compteur) pour douze habitants, alors que la Sonelgaz en est à un compteur pour 5,6 habitants. Autant d’actions qui nécessitent des moyens financiers conséquents, alors que nous avons des créances de l’ordre de 10 milliards de dinars. Ce n’est qu’en récupérant cet argent qu’on pourra relancer la machine. On s’est organisés d’abord au niveau de l’accueil de la clientèle pour faciliter le payement des factures en aménageant des agences commerciales. Nous venons de signer une convention avec Algérie Poste, qui prendra effet dès ce 1er avril, pour faciliter le recouvrement de nos créances à travers un réseau déjà existant. Une autre convention a été signée avec l’ADS (Agence du développement social) pour le recrutement de 4 800 jeunes pour des contrats de pré-emploi. 642 d’entre eux, tous des universitaires, nous ont déjà aidés depuis une année à faire un bon travail.

Où en êtes-vous dans le contrat avec la Suez ?

Nous sommes toujours en négociations, mais le dernier mot revient aux instances gouvernementales, notamment pour ce qui est du coût.

Le Centre d’accueil téléphonique opérationnel, le CATO, vient d’être inauguré. Voulez-vous nous en dire plus ?

Pour rentabiliser nos infrastructures, il faut rester à l’écoute des doléances des citoyens, notamment pour déclarer une fuite, poser un problème de facture ou lorsqu’on a un doute sur la qualité de l’eau. Comme son nom l’indique, le CATO est un centre téléphonique ouvert de 8 heures à 19 heures et, si vous permettez, j’ajouterai que les citoyens peuvent le joindre en appelant à l’un des quatre numéros (021) 56 19 61/64 ou bien le (021) 56 23 26/27.

Y a-t-il d’autres augmentations en vue après celles de janvier dernier ?

Non.

Par Yasmine Ferroukhi, latribune-online.com