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Entretien avec Smaïl Mimoun, ministre de la pêche

lundi 28 mars 2005, par Stanislas

Une surface maritime de 9,5 millions d’hectares où regorge une faune marine très diversifiée et très appréciée sur le plan gustatif.

Sur les étals des poissonneries comme aux abords des pêcheries, les prix à la vente des produits de la mer dépassent tout entendement. Triste et amer constat. La cause ne saurait résider seulement dans la sacro-sainte loi de l’offre et de la demande. Bien au contraire. Dans l’interview qui suit, M. Smaïl Mimoun, ministre du secteur, apporte des explications et trace les objectifs nécessaires à la relance des métiers de la pêche.

LA TRIBUNE : Monsieur le ministre, il ne vous échappe pas que le poisson de consommation frais devient de plus en plus cher, excluant ainsi les petites et moyenne bourses de ce produit riche en calorie et tout au moins nécessaire à notre équilibre alimentaire. Comment pouvez-vous expliquer qu’avec des ressources halieutiques aussi importantes, nos étals affichent des prix inabordables ?

Smaïl Mimoun : Pour mieux me faire comprendre, il me semble utile de rappeler tout ce qu’a connu le secteur de la pêche notamment sur le plan administratif. Jusqu’à la fin de 1999, le secteur n’a en fait connu que l’instabilité tutélaire car dans l’esprit de certains, il était classé comme sous-secteur. C’est donc la raison pour laquelle on l’a rattaché à diverses institutions gouvernementales. Preuve en est, il a été mis sous la tutelle du ministère des Transports, de l’Hydraulique, inscrit comme agence nationale au développement de la pêche et, enfin, rattaché au ministère de l’Agriculture. Ce qui a donné lieu, en conséquence, à une complète désorganisation du secteur. En d’autres termes, la profession est très mal organisée, ne trouvant pas d’interlocuteur valable et encore moins un espace de concertation avec l’administration de tutelle. Les professionnels du secteur se sont retrouvés en quelque sorte livrés à eux-mêmes, travaillant toujours avec d’anciennes méthodes et préférant la pêche côtière faute de moyens et d’ambitions. Les quelques privés désirant passer à une pêche plus professionnelle n’ont pas trouvé le soutien financier nécessaire d’autant plus que les garanties exigées des banques en ont éloigné plus d’un. Ainsi, l’investissement dans ce secteur ne s’est pas manifesté. Conscients de son rôle économique, les pouvoirs publics décident, en décembre 1999, de hisser le secteur de la pêche au rang de département ministériel dans le but de le réhabiliter, de réorganiser la profession et de se rapprocher des gens du secteur dans tous ses segments d’activité. Premier effet de cette décision : 100 associations de pêcheurs ont été créées en 2000 et 2001 ; elles sont aujourd’hui au nombre de 130. Ces dernières ont permis l’émanation de la Chambre algérienne de la pêche et de l’aquaculture au même titre que la Chambre nationale de l’agriculture et de la Chambre de commerce et d’industrie. Regroupement qui a ouvert la voie à la mise en place d’un espace de concertation, ce qui est important dans la mesure où y sont discutés tous les problèmes que rencontrent les membres et d’y remédier avec le soutien de l’administration de tutelle.

Après cette refonte du cadre juridique, quelle a été la stratégie de relance adoptée ?

Comme je l’ai souligné auparavant, du point de vue encadrement juridique et réglementaire, le secteur était géré par un décret législatif datant de 1995, ce qui, au demeurant, ne suffisait plus si on voulait vraiment prendre en charge le secteur et lui donner tous les atouts nécessaires à sa relance. Dès lors, le secteur s’est vu doter de la loi 01-11 du 03 juillet 2001 qui encadre les activités de la pêche et de l’aquaculture. Cet instrument juridique, à travers ses textes réglementaires, constitue l’outil de référence et de renseignement pour quiconque veut se lancer dans l’activité de la pêche ou de l’aquaculture.Par ailleurs, et en ce qui concerne le ministère, l’article 05 de cette même loi stipule que le secteur doit élaborer un schéma national de développement des activités de la pêche et de l’aquaculture et énonce que le secteur est éligible au soutien.

De quelle manière cela s’est-il concrétisé ?

A la fin 2001, nous avons bénéficié d’une enveloppe financière de 9,5 milliards de dinars. Argent qui a été consacré, d’une part, au soutien des projets d’investissements privés dans le cadre de la relance économique et, d’autre part, à la mise en place d’un schéma directeur à suivre jusqu’à l’horizon 2010, notamment dans sa phase court et moyen terme (2003-2007).

Au chapitre des investissements, pouvez-vous nous parler du nombre de dossiers déposés auprès de votre ministère ?

Nous avons réceptionné plus de 6 000 dossiers. Un nombre qui prouve tout l’engouement à ce secteur. A remarquer aussi que dans ce chiffre, 3 190 dossiers s’inscrivent dans la stratégie de développement et que 1 400 ont été déclarés éligibles. Pour l’heure, 565 projets ont été subventionnés.

Le volet technique, par son importance, a-t-il connu lui aussi des apports dans le sens d’une relance effective du secteur ?

Effectivement. Car après avoir consulté des scientifiques, nous avons révisé le « zoning » maritime par la voie d’un décret exécutif. C’est ainsi que la pêche côtière, qui s’étalait sur une distance de zéro à trois miles nautiques, s’est étendue à six miles nautiques en faisant intervenir des embarcations plus puissantes. De même, la pêche hauturière, qui s’appliquait jusqu’à six miles nautiques, est passée à 20 miles nautiques. La réorganisation de la profession étant considérée comme un point crucial par lequel il fallait commencer, a été décidée la création d’un établissement aquacole pour permettre aux investisseurs intéressés de s’initier aux techniques d’élevage d’alevins et de gérer les populations marines dans leur plan d’eau, cédé par l’administration par octroi de concessions.

L’impact sur le terrain de la consommation n’a connu aucun changement sensible sinon que le poisson surgelé et congelé s’incruste de plus en plus dans le panier des ménages, faute de produits marins frais et à des prix abordables...

Je le reconnais mais il faut retenir que la marginalisation et la sous-estimation, pendant longtemps, de ce secteur au sein de l’environnement économique et de son rôle dans le régime alimentaire ne sont pas facilement remédiables dans une courte durée. Mais tout ce que je peux avancer pour l’instant, c’est que la relance du secteur sera palpable d’ici peu à partir du moment où nous avons pu réunir l’ensemble des facteurs qui puissent le permettre. Et comme le Plan national de développement de l’agriculture commence à porter ses fruits sur les étals des détaillants (qualitativement), il en sera de même pour le secteur de la pêche.

Pour en revenir aux techniques de pêche telles que préconisées par votre ministère, ne pensez-vous pas que là aussi, il faudra un peu d’ordre pour éviter la disparition d’espèces de poisson surtout ceux appelés espèces nobles comme le mérou, le rouget de roche, etc.?

Les études faites sur le relief sous-marin renseignent bien quel type de pêche est permis. Celles-ci révèlent que seulement le un tiers du plateau continental peut être chaluté, c’est pourquoi il est impératif de limiter à 56 le nombre de chalutiers qui pourraient servir à la pêche sur cette zone pour éviter le risque de surexploitation de la ressource halieutique sédentaire à cette zone. Les deux tiers restants sont au profit des petits métiers qui, en grosse partie, font dans la pêche artisanale.

Quelle est la raison qui peut expliquer la faiblesse de l’offre ?

La vétusté de la flottille, qui n’a pas connu de rénovation conséquente, ajoutons à cela les gens du métier qui se font de plus en plus rares. Deux facteurs négatifs qui font que la demande reste encore insuffisante, entraînant ainsi une faiblesse du ratio alimentaire qui n’arrive toujours pas à dépasser la barre des 5,5 kg par habitant et par an. Et quand bien même la flottille spécialisée augmenterait en nombre, il faudra aussi les pourvoir en équipage. Donc, nous nous efforçons de doubler nos capacités de formation dans les métiers de capitaine et lieutenant de pêche, mécanicien et autres qualifications qui assurent l’encadrement et la bonne utilisation de l’outil de pêche.

Par Ziad Abdelhadi, latribune-online.com