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L’Algérie à l’épreuve de son développement

dimanche 13 mars 2005, par Hassiba

Après plus de quarante ans d’indépendance, le constat semble amer aux yeux des Algériens : une politique de développement inefficace, résultant des méthodes d’action inappropriées, la prolifération de la violence comme moyen d’expression et comme facteur de régulation du pouvoir, un système politique en perte d’identité tenue plus par l’obligation de se perpétuer que par les difficultés de se réformer, et une fracture urbaine qui amplifie les risques d’une rupture lourde en conséquence.

Une évolution qui renforce la contestation urbaine dopée par la persistance des difficultés socioéconomiques, et qui consolide dans sa tendance lourde la culture paroissiale chez nos concitoyens. Mais au-delà de cette situation critique soit-elle, aucun ne semble pouvoir ignorer quelques réalisations qui demeurent importantes, si la communauté nationale saura les valoriser et leur accorder le crédit qu’elles méritent dans l’action de sa politique publique. De ces réalisations, nous relevons un accès démocratique à la connaissance et l’élargissement de sa production en faveur des acteurs extrabureaucratiques. Cela étant indépendamment de sa qualité qui demeure sujette à débat.

Cette conséquence est d’une importance capitale pour le devenir d’un Etat, particulièrement lorsqu’il se construit dans une phase de transition. La période de transition se veut par définition le temps des incertitudes où la société est appelée à revoir les grande trajectoires qui préfigurent la construction de l’Etat auquel elle aspire. Parmi ces tendances lourdes qui tendent à préfigurer la construction des Etats à l’ère de la mondialisation, nous relevons une tendance décentralisatrice fortement exprimée (1) portant sur l’architecture du pouvoir comme élément fondamental pour la réussite d’une transition. A cet effet, l’élaboration des politiques publiques et leur mise en œuvre doivent impérativement introduire dans la logique de sa construction sa nécessaire réappropriation par les acteurs décentralisés. Cette logique décentralisatrice ne peut être perçue comme un processus d’effritement des pouvoirs, beaucoup plus parce qu’elle est censée répondre à la nécessaire réorganisation de l’action publique de l’Etat.

Ses avantages sont nombreux. D’une part, elle délocalise la réflexion des espaces territorialisés monopolisés par le personnel politique, où la volonté de se perpétuer prime sur la qualité et où le nombre des participants tend à se réduire. Ce qui renforce le risque de compromettre sa réppropriation, et la repositionne sur des échelles plurielles où le débat contradictoire est valorisé. En cela, elle contribue à un renouvellement dans la production intellectuelle et à la mise en œuvre des politiques publiques. Ainsi, le resserrement de la tutelle étatique se voit limité dans une période où la production et la structuration des ressources intellectuelles concernant l’organisation de la cité ne relèvent plus des compétences exclusives des institutions bureaucratiques de l’Etat. La pluralisation des espaces de réflexion se transforme en un enjeu déterminant pour l’essor de l’organisation urbaine.

D’autre part, la multiplication des espaces de production intellectuelle se traduira à terme par la prolifération des canaux de transmission qui font défaut à l’Etat actuel. Pendant que nous assistons à la multiplication des ruptures dans la conception de notre organisation urbaine, rendant difficile voire impossible une lisibilité d’une évolution éclairée, c’est la question de la gouvernance qui se trouve incapable d’apporter une réponse, à défaut de pouvoir appréhender une évolution qui ne cesse de s’échapper à la maîtrise des spécialistes et par-delà compromettre la finalité de l’action publique. Et c’est justement dans la finalité de l’action publique que nous pourrons constater, il y a un champ d’application de ces politiques publiques où le besoin est fortement exprimé. Ce serait sans doute la politique urbaine. Son renouveau face aux défis auxquels elle doit faire face nécessite plus que jamais d’intégrer pleinement le rôle du commentaire expert censé peser sur les manières de penser.

Le recours aux experts
A la lumière des évolutions que semble refléter la gouvernance de nos territoires urbains, les responsables locaux font face à deux contraintes majeures qui relativisent la portée de leur action quant aux perspectives de l’inscrire dans la durée : la première est liée à la méconnaissance des modes de gouvernance d’une cité qui exige un savoir pluridisciplinaire. La deuxième porte sur la difficulté de mobiliser l’ensemble des catégories sociales sur des projets qui n’ont pas fait l’objet de consensus, voire de débat. Ce qui limite la crédibilité de leur action et renforce ainsi leur vulnérabilité. Par expert, nous désignons l’intervention des personnes en vertu de la compétence savante qu’elle leur aient reconnu, en diffusant des savoirs synthétiques, articulant des connaissances qu’elles n’élaborent pas nécessairement elles-mêmes. Les experts se caractérisent par leur faculté à évoluer dans des espaces sociaux différents, plutôt que par la seule maîtrise d’un domaine de compétence spécialisé. Parmi ces experts, nous retrouvons une catégorie à la fois plus proche du pôle académique tout en préservant une tendance à exercer un rapport pratique avec le champ urbain.

Comme nous retrouvons une autre catégorie, plus proche du pôle administratif mais qui se singularise par des itinéraires mixtes, mêlant aux activités administratives ou professionnelles un engagement pratique savant, entretenant une grande proximité avec l’univers des intellectuels avec lesquels ils partagent un souci de réflexion sur des politiques publiques. L’urgence aujourd’hui, pour les responsables locaux, est d’abord d’identifier ces acteurs qui relèvent de cette catégorie d’experts du développement urbain. La situation factuelle de nos territoires et la trajectoire de développement que les responsables locaux souhaiteraient leur donner, rendent le recours aux experts plus que vital. Cela, compte tenu de l’incertitude concernant les moyens appropriés pour agir et l’absence de normes de référence ou leur imprécision quand elles existent. Cette situation a généré un besoin croissant d’études requérant davantage de compétences d’experts que de recherches critiques, et un besoin considérable d’information et de connaissance. Travailler avec les experts, c’est d’abord faire le choix d’un travail réflexif préalable. Cela permet de scruter les méthodes d’action collectives et une unification des territoires par une forte mobilisation locale et consensuelle.

L’enjeu est de taille, pour les communes, puisqu’il s’agit d’acquérir une lisibilité et une mise en forme de l’action publique. Il contribue à la mise en récit intellectuel du projet urbain et à structurer les représentations. C’est aussi un processus d’apprentissage et un moyen de renouvellement des capacités d’expertise de ses services, en engageant des collaborateurs dotés de ressources intellectuelles aguerris aux débats savants. Enfin, il favorise les échanges entre savants et professionnels locaux et consolide leur intégration, cristallisant et stabilisant les croyances communes, en portant des discours cohérents et argumentés. Il donne ainsi une représentation à une politique urbaine qui sera en mesure d’infléchir les commentaires externes et de les contrôler en multipliant les réflexions et en apportant une lisibilité à la lecture de la situation. Ce travail, censé consolider l’administration urbaine dans l’élaboration et la mise en œuvre de l’action publique, ne saurait perdurer et produire les effets escomptés que si en parallèle se construisent des espaces de circulation des expériences locales, allant de la simple opération urbaine et architecturale à des modes de gestion des territoires qui sont comparés les uns aux autres avec pour effet l’émergence des modèles et références.

Ces espaces constituent une sorte de « lieu neutre », qui œuvrent à une objectivation d’un certain nombre de références notionnelles et surtout à l’harmonisation via des rencontres, séminaires et colloques - des clés de lecture qui permettent de s’approprier des schémas cognitifs. Ils remplissent une fonction discursive autonome consistant à discuter des normes et catégories d’action, à définir les problèmes que les communes doivent traiter et à médiatiser les projets locaux.

Le cas de la côte est de Béjaïa
Par conséquent, ces espaces jouent un rôle décisif dans la formalisation et la diffusion d’un sens commun à l’action publique, et affectent ainsi l’orientation générale vers l’étude des conditions de projet urbain. Mais, c’est surtout le fait d’analyser et de commenter les politiques menées, et de valoriser le recours au débat, qui se transformera à terme en un outil qui exerce, sur les acteurs locaux, une forme de surveillance, passant par le registre de la connaissance, au point de les inciter à s’investir dans un travail stratégique et politique d’énonciation de leur action territoriale. Enfin, ces espaces recensent les « meilleures pratiques » et tendent à façonner les nouveaux dispositifs et à définir de nouveaux documents de cadrage d’initiative locale ou de législation, visant à transformer les principes et instruments de l’aménagement. Ils finissent par produire des études et réflexions prospectives qui offrent un matériau directement utilisable pour les recherches et analyses.

En dépit de l’effort financier consenti et des programmes élaborés, l’administration semble incapable de concevoir, d’organiser et de mettre en œuvre son propre changement et sa propre modernisation. Dès lors, reconnaître l’existence d’une certaine aptitude à produire des anticorps contre les changements décrétés unilatéralement devrait susciter une réflexion sur les modes de réponse du pouvoir politique. A cette fin, l’introduction du New Public Management (NPM) comme nouvelle gestion publique est censée atténuer les carences observées au sein des unités administratives et mettra en avant une certaine vision d’ensemble qui serait portée par le pouvoir politique et mise en partage avec les autres acteurs. Cette nouvelle gestion consiste à introduire dans la conduite des organisations publiques de nombreuses techniques issues du mode des entreprises marchandes. Nous citerons entre autres instruments et techniques : la réflexion stratégique à l’aide d’outils comme le SWOT (identification des opportunités et menaces dans l’environnement ainsi que des forces et faiblesses internes), le Balanced Score Card (BSC), l’analyse des risques, la révision des processus par les Process Business Regeneering (BPR). Elle met aussi l’accent sur les types de contractualisation et les mécanismes de types de marchés (MTM) ainsi que sur le développement de la gestion des ressources humaines. L’introduction de ces méthodes doit conférer au processus de réformes une nouvelle impulsion. Et ce tout à la fois.

La mise en œuvre de cette nouvelle gestion exige de restreindre l’espace de son application, de réduire le nombre des acteurs prenant part à cette expérience, et enfin de concentrer un effort d’évaluation constant à travers les différentes étapes de sa réalisation. Quant au regard des caractéristiques d’une telle démarche et les enjeux susceptibles d’être soulevés, le choix d’un projet urbain prioritaire peut s’avérer un laboratoire d’expérimentation assez fertile avant d’œuvrer à son extension. A cet égard, les communes qui constituent la côte est de la ville de Béjaïa, en l’occurrence Tichy, Aokas et Souk El Tenine semblent présenter les caractéristiques plus ou moins adéquates pour un tel projet. Le regroupement de ces communes est dicté à la fois par les similarités des problématiques de développement qu’elles présentent liées à la politique d’aménagement du territoire côtier, ainsi que la réalisation d’infrastructures de transport public qui serait en mesure à la fois de préfigurer le schéma directeur du transport en garantissant une mobilité permanente et d’orienter l’organisation urbaine de ces communes.

L’idée de création d’une agence de développement, à l’instar de ce qui se fait en Europe de l’Est dans le cadre de la politique régionale européenne, pourrait contribuer à mettre à l’abri l’expertise du monopole bureaucratique de l’Etat, et d’élargir son élaboration aux différents acteurs susceptibles d’apporter une dynamique de mobilisation nécessaire à toute entreprise urbaine. La concrétisation de cette agence est d’une importance capitale pour le devenir de l’action publique dans cette région. Sa situation entre une bureaucratie étatique et les acteurs décentralisés des collectivités locales lui permet de jouer le rôle d’intermédiaire dans l’élaboration et la représentation des politiques locales. Sa position la projette à devenir un acteur privilégié pour donner un sens à des actions perçues comme autoritaires et pour réconcilier ainsi les citoyens avec leur administration en argumentant la pertinence des choix opérés.

En cela, elle consolide le pluralisme démocratique et se présente comme le garant d’une politique urbaine intégrée autour de laquelle elle tend à préserver l’adhésion des citoyens à l’action publique. De cette agence, c’est l’espoir de voir le capital humain de la région valorisé et rapproché de la réalité des enjeux de développement auxquels la région est mise en défi. C’est aussi l’essor des secteurs d’activités qui ne peuvent manifester une quelconque attractivité tant que la capacité prospective n’est pas explorée et portée à la connaissance des opérateurs économiques. Enfin, c’est la prédisposition à se porter comme laboratoire, voire à revendiquer le droit et à se conduire comme initiateur de nouvelles politiques et méthodes d’action qu’on pourra capitaliser la connaissance nécessaire qui est en mesure d’apporter une réponse aux attentes des citoyens.

C’est dans cette perspective que les unités politicoadministratives sauront asseoir les conditions adéquates et manifester une volonté à chaque fois qu’une consultation élargie aux différents acteurs (experts et citoyens), qu’ils relèvent du monde administratif ou académique, qu’on pourra améliorer la qualité de la réflexion. En cela, la conjonction d’une volonté politique qui agit comme une énergie sociale qui libère la créativité et encourage l’initiative permet aux acteurs de s’approprier le changement. Mais n’empêche qu’il demeure un changement qui implique un processus d’ajustement et d’accompagnement. La réforme de l’action publique ne peut se décréter uniquement d’en haut et s’imposer aux autres acteurs comme un objectif démiurge. C’est à la fois une volonté politique d’évoluer vers une organisation post-bureaucratique, mais qui se construit du plus bas de l’échelle avec la participation de tous les acteurs de la société. L’histoire nous a appris que la grandeur des projets urbains se mesure par la capacité supposée qu’ont les élites locales à construire des politiques urbaines et à transformer les territoires par le rassemblement de larges segments de la société et la mise en récit prospective de leurs actions.

 (1) Voir le rapport de la commission chargée de la réforme des missions de l’Etat présidée par le docteur Sbih.

Par Laïd Idir, elwatan.com