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L’Algérie n’est pas riche et sa population n’est pas pauvre

jeudi 26 août 2004, par Hassiba

Les Algériens sont de plus en plus nombreux à consommer des produits et des services divers et variés. Les vacances se prennent de plus en plus au bord de mer dans le cadre de locations de bungalows, étages de villas, etc.

Ils sont aussi nombreux à acheter de nouveaux véhicules, beaucoup le font par le biais de crédits bancaires, d’autres sur une épargne qui n’a pas trouvé d’autres débouchés. Sur tous les chapitres des dépenses des ménages, en attendant les chiffres de l’ONS, il semble que la progression de la consommation, du moins en volume, est en nette progression comparativement à la fin de la décennie précédente. Les chiffres des différentes entreprises de distribution ou de production de produits agroalimentaires démontrent que la consommation a aussi progressé sur des chapitres tels que les produits lactés, les fruits et légumes, la téléphonie, particulièrement mobile, et le logement.

Tout cela survient dans un contexte où les plus sceptiques affirment que l’Algérie est un pays riche avec un peuple pauvre. Une affirmation politique qui ne semble pas tenir compte des évolutions politico-économiques que connaît le pays depuis maintenant une dizaine d’années.Parmi les facteurs qui permettent d’esquisser un début de réponse, la forte tendance à épargner suite aux différentes dévaluations du dinar à la fin des années 1980 et au début des années 1990. La forte inflation qui a duré plus de dix années a induit en compensation une forte épargne de la part des ménages qui ne savaient plus quelle évolution connaîtront les prix en l’espace d’une semaine sur l’autre. L’inflation à deux chiffres qui a caractérisé cette période agit comme un facteur fort d’épargne, notamment en devises étrangères moins soumises que le dinar à une perte de pouvoir d’achat.Ainsi, le citoyen lambda a su, dans une large mesure, amoindrir le coût de la crise économique sur ses finances mais pas tous les citoyens. En effet, un grand nombre de salariés, représentant des dizaines de milliers de familles, se sont retrouvés dans un état de précarité et de paupérisation accrus. A ces derniers, il convient d’ajouter des centaines de milliers de familles de fellahs obligées du fait de la situation sécuritaire et de la sécheresse à quitter leurs terres pour rejoindre la ville.

Question de solidarité
Cet exode a eu pour effet, d’une part, d’augmenter la prospérité des fellahs qui se trouvaient dans des zones où la pluviométrie était satisfaisante et où le risque terroriste était moindre et, d’autre part, le recours à la solidarité familiale et à celle de l’Etat pour ceux qui s’étaient retrouvés sans domicile.Mais depuis plusieurs années et avec l’amélioration de la situation sécuritaire, c’est un inversement de tendance qui est constaté.Un fort appétit de vivre et de consommer anime de nombreuses catégories de citoyens y compris celle que les observateurs avaient déclaré disparue : la classe moyenne. Cette dernière, avec la mise en place du programme location-vente de logements, est celle dont « la fringale » est la plus apparente. Un engouement que peu d’observateurs et d’analystes avaient prévu. Un rush sans précédent sur les agences en charge de mettre en œuvre la vente de cette catégorie de logements a permis de réorienter les analyses. Au-delà du fait que comme tout être humain l’accès à la propriété est considéré comme important, c’est le pouvoir d’achat qui a été mis en avant quand l’offre existe. Une analyse qu’il faut cependant tempérer par le fait qu’il s’agisse de pouvoir d’achat « futur » dans le cas du crédit.

Mais la tendance est là. Même comportement en raison du nombre de véhicules particuliers importés en Algérie. Plus de 150 000 véhicules par an ne peuvent que faire le bonheur des concessionnaires mais aussi celui des acquéreurs.Plus de deux millions d’Algériens ont acquis un téléphone portable et même s’il s’agit de la formule prépayée, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une dépense mensuelle qui avoisine les mille dinars.Cette nouvelle tendance s’accompagne de différents « marchés » qui portent le nom du pays d’importation des marchandises d’origine. Dubaï, Souk Sourya, Souk Libya ... pullulent çà et là dans les banlieues des grandes villes. Les marchandises qu’on y vend à moindre prix, sans factures et à l’abri du fisc, relèvent de l’électroménager et des habits pour les « trousseaux » de la nouvelle mariée. Des destinations qui font le plein de consommateurs particulièrement le week-end.L’Algérien redécouvre ainsi le plaisir de la consommation sans avoir l’impression que son pouvoir d’achat a augmenté. Les salariés continuent à se plaindre de faibles salaires, ce qui est en soi une réalité, mais n’assimilent pas ces changements d’habitude de consommation à une progression du pouvoir d’achat du dinar.

Progression de la consommation
Que les agences de voyages soit surbookés sur des destinations comme la Tunisie peut paraître normal, mais même les professionnels du secteur s’étonnent que la destination Chine fasse le plein.A cela, il convient de noter que cette progression de la consommation ne se fait pas au détriment ni de l’épargne ni de l’investissement. Pour l’épargne, le ministre des Finances affirmait que le montant des fonds « prétables » était évalué à la contre-valeur de 8 milliards de dollars et que l’investissement était en nette progression. Les chiffres des services des douanes démontrent la progression constante de l’importation des biens d’équipement.

Depuis des dizaines de mois, l’Algérie et les Algériens sont en train de changer. Des changements lents mais dont les effets commencent à être visibles. L’Algérie n’est pas un pays riche et sa population n’est pas aussi pauvre que ce qui se dit. C’est une prospérité des deux qu’il convient de construire. La seule question qui se pose est : comment ?

Des angelots sacrifient leur enfance pour vendre du pain
A force de les voir, on n’y fait plus attention. Nos regards ne s’y arrêtent pas, ou occasionnellement. Elles font corps avec le paysage et se fondent dans le décor dont pourtant elles essayent de se détacher. Au risque de se faire renverser -ce qui est déjà arrivé-, elles agitent leurs menottes, brandissent les galettes de pain et s’avancent jusqu’à ce que leurs petits pieds mordent l’asphalte surchauffé pour attirer le regard de l’automobiliste filant à vive allure.

Debout au bord des voies rapides et des routes à grande circulation, ces petits bouts de filles essayent de vendre ces galettes de pain préparées à la maison. Chaque galette vendue est un peu d’argent à mettre dans l’escarcelle familiale. Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il fasse soleil, elles seront toujours là, au bord de la route, aux côtés de garçons de leur âge ou, parfois, de vieux. Et quand une voiture s’arrête, tout le monde accourt. C’est à qui remportera « le marché » et réussira à vendre sa galette. Chaque vendeuse, chaque vendeur y va de son petit laïus pour convaincre l’automobiliste d’acheter son pain. Entourant l’hypothétique client, ils déploient tous leurs arguments commerciaux en mettant sous son nez leurs couffins. « Il est chaud. Combien vous en voulez ? » ,vous diront-ils. Le choix fait, tout le monde s’en retourne à sa place, sans rancune pour celui ou celle qui a réussi à vendre. Stoïques, déjà, ils attendront la prochaine voiture, la prochaine occasion.

Pour tromper l’attente, ils s’inventent des jeux qui les occuperont sans pour autant trop les éloigner de leurs couffins, de leur mission. L’enfance, l’innocence, les jeux, l’insouciance ? Il y a belle lurette qu’ils les ont sacrifiés. La vie austère et les conditions sociales qui se dégradent de plus en plus ont vite fait d’endurcir l’âge tendre pour un passage à l’âge adulte sans escale. « Mon père est retraité et j’ai sept frères et sœurs. L’argent de la retraite ne suffit pas. Il nous faut donc moi et mes deux frères cadets [6 et 7 ans] travailler », nous dira une petite fille d’à peine neuf ans. Ayant réussi à nous vendre quelques galettes, elle a accepté de discuter et de répondre à nos questions, sous la garde de ses deux jeunes frères qui s’étaient mis dans la peau de l’adulte protecteur. « Jouer ? On n’a pas le temps ! » répondra simplement la fillette. Dès le retour de l’école, pour ceux et celles qui y vont, on prend le couffin chargé et on va se poster aux bords de la route pour vendre le pain essentiellement.

Car, pour mieux vendre, certaines familles évitent le créneau saturé du pain et optent pour les ustensiles en terre cuite que les femmes confectionnent, les produits du jardin ou les poulets de chair et les œufs.Mais il y a aussi les produits saisonniers qu’on peut préparer et vendre. Tous les usagers de la route connaissent ces braseros de fortune dont les enfants se servent pour griller des épis de maïs récoltés dans les champs avoisinants. Quant à ceux qui habitent à proximité des plages, l’été est pour eux une saison bénie. Les routes sont encombrées et les plages débordent de monde. Une aubaine pour les petits vendeurs qui sillonnent les plages et slaloment entre parasols et baigneurs pour vendre pain, glaces, cigarettes, beignets ou thé.

Ils tournent le dos à la mer comme ils ont tourné le dos à l’enfance et n’ont d’yeux que pour cet étalage de monde d’où pourrait s’élever la main d’un estivant qu’on s’empressera de servir, avec le sourire d’un ange, s’il vous plaît... Car, il suffira d’une parole gentille, d’un geste humain pour que le vendeur redevienne cet enfant qu’il aurait dû être, cet enfant pour lequel nous aurions dû tout faire pour qu’il vive pleinement son enfance. Et quand le soleil a chauffé la petite tête d’ange et que la chaleur a desséché le gosier trop sollicité, les mains osent se tendre pour demander timidement, craintivement, un gobelet d’eau à un estivant avant de repartir pour un énième tour sur la plage.

Par A. Echikr ; H.Gherab, La Tribune