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La gestion de l’eau, entre bien public et intérêts privés (fin)

jeudi 24 mars 2005, par Stanislas

La gestion de l’eau devra être systémiquement intégrée dans la gestion urbaine et dans une politique d’aménagement du territoire que tous ceux qui ont réfléchi à la question appellent de leurs vœux(1).

La proposition de la création d’un organe consultatif des ressources en eau qui prendrait en charge l’examen et la définition des « options stratégiques et les instruments de mise en œuvre du plan national de l’eau ainsi que sur les questions relatives à l’eau » est contradictoire en ce qu’il n’est pas cohérent qu’un organe destiné à ces fonctions essentielles soit seulement consultatif. Il conviendrait de le doter d’avis péremptoires exerçant un véritable contrôle opposable en droit. Ce sont les moyens, les compétences et les prérogatives des collectivités locales, et notamment des municipalités, qu’il faudrait élargir et développer. Il y va de la démocratie et de la prospérité à une échelle où les populations pourraient manifester une authentique participation aux affaires qui les concernent au premier chef.

Dans cette optique, il ne serait pas davantage question de laisser à la collectivité les investissements les plus lourds et céder aux opérateurs privés l’exploitation lucrative du bas de la filière. Cela reviendrait à abandonner un bien commun à la spéculation préoccupée par ses profits et peu par l’équitable répartition de l’eau et sa durabilité.

Il est indispensable d’autre part d’initier une éducation citoyenne autour de la consommation de l’eau dans le cadre général de la protection de l’environnement et en fait renouer avec des traditions séculaires en matière de préservation d’une ressource essentielle à la vie. L’eau n’est pas seulement la question d’aujourd’hui. Elle est, répétons-le, la première question de Demain !

Résumons-nous.

Peu importe au fond les décisions qui seront prises, sous réserve qu’elles satisfassent à des conditions simples :

1.- L’affectation équitable des ressources hydriques dans l’espace n’a de sens que si elle l’est au bénéfice du plus grand nombre. Il faudrait donc éviter que la distribution ne soit exclusivement indexée sur les moyens de chacun et non sur les besoins de tous. Car administrer une denrée rare par le marché, c’est à coup sûr le faire au détriment des moins fortunés. Les prix, dans ce cas, ne reflèteront pas une performance économique, mais un paysage social différencié par d’autres facteurs.

2.- L’affectation de l’eau dans le temps ne devrait l’être que dans le souci de sa préservation, pour les besoins des générations futures, dans le cadre d’un développement durable et global qui épargne les conditions naturelles de sa disponibilité (bassins versants, nappes aquifères, hydrographie, hydraulique, recyclage...) ;

Il convient de garder à l’esprit qu’une économie de l’eau privée n’aurait pour seule préoccupation que d’ajuster par les prix l’offre à la demande, et de ce fait ruiner les populations les plus fragiles et les plus exposées (2). Ceci ne serait pas acceptable dans la mesure où la ressource est inextensible et le service assuré par un opérateur unique.

La procédure de « délégation de service public », autre nom de la privatisation, est ainsi inacceptable. Car un service public de cette importance stratégique ne se délègue pas.

Plus généralement, et indépendamment de la question hydrique, face aux difficultés managériales réelles, à une production insuffisante au regard de l’explosion des besoins, à l’obsolescence des technologies utilisées, face à la nécessité absolue de trouver rapidement une alternative à la place dangereuse qu’occupent les hydrocarbures dans les revenus de la nation, son PIB et ses exportations... le choix doctrinaire d’une politique de privatisation comme une sorte de planche de salut sans alternative, présente un danger pire que les contraintes qu’elle prétend lever.

Le regain d’activité constaté ces deux dernières années abuse et fait abuser. L’essentiel de cette embellie tient à la flambée des recettes d’exportation (des hydrocarbures à 98%), à la reconstitution des réserves de change, à l’augmentation importante des importations et à une injection artificielle de liquidités (de l’opportunisme keynésien qui ne s’assume pas), pour une part très pertinemment affectées au développement des infrastructures. (3)

Bientôt, il n’y aura plus d’entreprises algériennes à privatiser. L’état dans lequel elles ont été laissées (délibérément ?) : sous-investissement, endettement, lecture exclusivement comptable et financier des bilans, sous-encadrement... prépare ces entreprises au naufrage inéluctable, non à la réhabilitation par on ne sait quel sauveur altruiste venu de par-delà les mers.

Si privatisation il y aura, ce sera celle d’un marché, celle d’une place que les entreprises nationales cèderont à d’autres. Plus pour vendre pour l’instant que pour produire. Une analyse rapide du paysage socio-économique algérien montrerait les raisons évidentes du retard (que certains persistent à ne pas s’expliquer) que prennent les investisseurs étrangers à s’engager de manière plus importante et plus décisive (en dehors, cela va de soi, du secteur des hydrocarbures qui échappe complètement à une économie nationale schizophrène).

Le terrorisme, les problèmes du foncier ou les archaïsmes du système bancaire, aussi réels soient ces obstacles, ils ne suffiraient à la compréhension d’une économie bloquée à la recherche d’un système de référence adapté au XXIème siècle, d’une nation en quête d’un destin et d’une autorité légitime et crédible pour la signifier et l’incarner et non d’un commissaire-priseur pour en solder les instruments de développement.

Une pensée affectueuse pour Si Mohamed Salah, ancien Secrétaire général de la mairie de Constantine, ancien Directeur des services techniques. Il se plaisait à confier qu’il connaissait sa ville non pas seulement rue par rue, mais aussi compteur d’eau par compteur d’eau. Il en avait installé depuis le début des années quarante... !

Abdelhak Benelhadj, www.quotidien-oran.com

Notes

1- La Quantité D’ouvrages Consacrés A Cette Question Pourrait Servir De Fonds A Une Bibliothèque Et Occuper Une Armée

De Chercheurs. Citons :

 Gouvello B. (De), Marié M. (2001) : Les Services D’eau Et D’assainissement En Argentine A L’heure Néolibérale. Paris, L’harmattan, 241 P.

 Hérodote (2001) : Géopolitique De L’eau. Paris, La Découverte, N° 102, 169 P.

 Le Monde Diplomatique (2002) : La Ruée Vers L’eau. Manière De Voir N°65, Septembre-Octobre 2002, 98 P.

 Sironneau J. (1996) : L’eau, Nouvel Enjeu Stratégique Mondial. Paris, Economica, 112 P.

Le Conseil National Economique Et Social A Consacré De Nombreux Dossiers A Cette Question. Il N’est Pas Inutile De Faire Référence A Certains D’entre Eux :

Cnes (1997) : L’environnement En Algérie. Enjeu Du Développement. Ixème Session Plénière. Alger, 28-29 Octobre 1997, 75 P.

Cnes (1998) : La Ville Algérienne Ou Le Devenir Urbain Du Pays. B.O. N°6, Pp. 113-187. Xiième Session Plénière, Alger, 29-30 Novembre 1998, Travaux De La Commission Aménagement Du Territoire Et De L’environnement.

Cnes (2000) : L’eau En Algérie : Le Grand Défi De Demain. B.O. N°9, Pp. 105-149. Xvème Session Plénière, Alger, 15-16 Mai 2000, Travaux De La Commission Aménagement Du Territoire Et De L’environnement.

Cnes (2003) : La Prise En Charge Des Actions De L’environnement Au Niveau Des Collectivités Locales. Xxiiième Session Plénière, Alger, Décembre 2003, 94 P.

On Peut Se Porter Sur Le Site Du Ministère Algérien Des Ressources En Eau (Dont L’existence Es Qualité Complète Celle Du Ministère De L’aménagement Du Territoire Et De L’environnement), Où L’on Pourra Etre Informé Sur Les Activités Du Ministère (Projets, Séminaires, Documentation, Manifestations...). Http ://Www.Mre.Gov.Dz

2- La Pollution Des Eaux Tue 8 Millions De Personnes Par An Dans Le Monde, Dont La Moitié Des Enfants.

3- Plus De 50 Milliards De Dollars, Soit 4000 Milliards De Dinars, Ont Eté Annoncés A La Mi-Août 2004 Pour Le Financement Du Programme De Soutien A La Relance Economique (Psre).