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La gouvernance de l’Internet : Nouveau défi et nouveau dilemme

lundi 4 octobre 2004, par Hassiba

Globalisation des médias et technologie numérique avec ses implications directes sur l’information et la communication ont généré une nouvelle culture ; de nouveaux comportements, de nouveaux modèles et de nouveaux concepts.

Ainsi, la technologie de l’information et de la communication, la société de l’information, la société civile, la fracture numérique, la gouvernance (dans tous ses états) l’Internet, l’Intranet, le virtuel, l’économie basée sur le savoir, la gestion et le management du savoir, la culture électronique (e-gouvernance, e-banking, e-commerce, e-learning, etc.) sont le produit de la jonction entre la révolution numérique et la globalisation des moyens d’information. Beaucoup plus, la convergence entre les télécommunications, l’informatique et l’audiovisuel a elle aussi inauguré une nouvelle ère technologique ; celle des fils et des courts-circuits remplacés par des bits et les données et où l’écran a un rôle alternatif en tant que PC ou poste téléviseur. En somme, les communications traditionnellement transmises par les courts-circuits se sont déplacées sur le nouveau protocole Internet et son réseau, ouvrant la voie à la « nouvelle imagerie technologique ».

Nous et les NTIC
Ainsi, une partie de l’humanité est entrée de plain-pied dans une logique « virtuelle » et immatérielle pendant ce temps, l’autre partie sombre dans des problèmes existentiels et de survie. Et l’on s’interroge si les nouvelles technologies de l’information et la communication sont en mesure de réduire la pauvreté, la misère et le mal-vivre.

L’Internet en tant que réseau des réseaux sera-t-il une chance ? En tout cas, ils sont nombreux à croire en une solution miracle et magique prodiguée par l’avènement de l’Internet. Pourtant, la fracture numérique, sociale, culturelle, économique et scientifique est toujours présente dans les esprits pour nous rappeler des enjeux, des vertiges, des rêves et angoisses que suscite l’approche de l’Internet comme opportunité de développement. Déjà, Pierre Chambart, dans son livre NTIC et représentations des usagers, situe la problématique et la renvoie « à la question de savoir ce que les gens font des NTIC, plutôt qu’à celle de savoir ce que les NTIC font aux gens ». En d’autres termes, les NTIC et précisément le réseau Internet ne doivent pas nous « bouffer crûment », bien au contraire, nous devons savoir comment « composer avec » pour mieux répondre à nos besoins, nos exigences et nos vœux en tenant compte surtout de nos spécificités et des particularités sociales, culturelles, économiques et politiques.

Le président du Zimbabwe Robert Mugabé appréhende l’Internet comme étant un instrument aux mains d’une poignée de pays pour imposer leur domination et leur hégémonie. D’autres voix partagent son avis et s’élèvent pour dénoncer la nouvelle forme de colonisation et de mainmise sur les esprits et les cœurs en contournant les barrières idéologiques, politiques et culturelles et aussi les frontières naturelles. Ces appréhensions sont-elles légitimes et appropriées ? Bien qu’elles soient partagées par plusieurs pays en Afrique et en Asie, néanmoins elles ne doivent pas occulter une certaine réalité amère, celle du monopole exclusif par ces mêmes pays des moyens d’information et de communication et aussi l’absence des espaces de liberté de presse et d’opinion. Ainsi, selon la BBC, Internet demeure le seul et le rare moyen d’information qui échappe à la moulinette et au contrôle par le pouvoir au Zimbabwe qui compte, en 2002, plus de 100 000 utilisateurs. Cet état de fait ne doit donc pas nous faire oublier que le réseau internet constitue une bouffée d’oxygène pour ceux qui ne sont pas autorisés à accéder aux médias pour s’exprimer librement.

Engouement éphémère
En Algérie, selon Younes Grar, président de l’Association algérienne des fournisseurs de services internet (Internet Service Provider, qui en compte 33 membres), ils sont 750 000 utilisateurs à surfer sur le réseau internet à travers les 4 500 cybercafés et à domicile. Cependant, on est en droit de connaître les caractéristiques socio-démographiques de ces internautes, les sites visités et la langue utilisée, non pour des objectifs inavoués ou mal-intentionnés mais pour savoir la nature et le degré de l’apport de l’Internet dans la formation, l’éducation et l’émancipation des citoyens. En effet, force est de constater que les quelques observations faites au niveau des cybercafés à Alger laissent entendre que les sites liés au sexe et à la « tchatche » (excusez le terme) semblent prédominer l’opération de surfing. Alors qu’en pratique, le réseau internet est venu pour réhabiliter les valeurs de connaissance et de savoir et devenir un moyen efficace de liberté, de promotion socioculturelle et de développement économique. Il semble qu’en Algérie, l’engouement populaire pour le réseau se fait sentir uniquement pendant les épreuves et résultats du bac et les périodes électorales.

Au cœur de tous les enjeux
Face à cette situation, que faut-il faire ? Faut-il une autre autorité de contrôle et de régulation nationale et internationale, comment limiter les effets pervers du pollupostage (spams), comment gérer le contenu des sites à caractère pornographique, sexiste, xénophobe, raciste, subversif ou criminel ? Comment gouverner ce réseau en termes de méthodes et procédures, quelles sont les questions inhérentes, qui sont les acteurs, aussi les questions liées à la sécurité des réseaux, l’interconnexion, les droits de propriété intellectuelle, la protection des consommateurs et des données, la diversité linguistique ? Ces questions et bien d’autres sont aujourd’hui au cœur des enjeux et préoccupations des institutions internationales, des organisations gouvernementales et non gouvernementales. En fait, la complexité et l’enjeu de la gouvernance de l’Internet ont fait réagir toutes les parties concernées et intéressées, les Nations unions et agences spécialisées, les gouvernements, le secteur privé et la société civile. A ce sujet, le secrétaire général des Nations unies en a fait une question cruciale, il a nommé le diplomate suisse Mark Kummer à la tête d’un groupe de travail chargé de préparer des propositions concrètes sur la gouvernance de l’Internet. En fait, pourquoi les Nations unies s’approprient-elles cette question ? Aux yeux de Kofi Annan, le système onusien incarne la solution naturelle pour une gouvernance à l’échelle planétaire et la placer sous son égide lui confère une légitimité politique requise.

L’Union internationale des télécommunications (UIT), pour sa part, est également partie prenante en raison de son riche capital d’expérience dans les télécommunications, réseaux et fréquences. D’autres organisations non gouvernementales s’y intéressent telles que Association for Progressive Communications et Global Knowledge Partnership. Cette dernière, à titre de référence, s’est associée avec d’autres partenaires pour discuter et proposer des démarches et approches sur la gouvernance de l’Internet. Le secteur privé aussi affiche un intérêt particulier et ne veut pas être laissé en marge de ce processus. C’est ainsi que dans la composante du groupe de travail onusien, on trouve des représentants des institutions nationales et onusiennes, des organisations non gouvernementales et ceux du secteur privé ; Talal Abu-Ghazaleh & Co. International, Egypt, Cisco Systems, Cisneros Group of Companies, Siemens AG Germany, Nokia Corporation, ST Microelectronics, Network Computer Systems Ltd. et Hewlett-Packard.

Un débat d’école et d’intérêt
Ainsi, l’Internet est un phénomène complexe et sa gouvernance suscite des appréhensions et convoitises de toutes parts. A présent, deux écoles se querellent sur la question. D’un côté, les tenants d’une première vision qui estiment qu’elle relève essentiellement de la souveraineté nationale et que les gouvernements ont un rôle de coordination à jouer car ils disposent d’une plate-forme de dialogue. Aussi, l’existence d’un cadre multilatéral fondé sur des règles et de préférences et doté de la légitimité que lui confère le système des Nations unies est un atout de plus. De l’autre côté, les tenants de la deuxième version mettent en exergue l’importance d’une participation pleine et entière du secteur privé et l’ensemble des parties prenantes. En somme, c’est un dilemme de plus et il n’est pas le seul. En tout cas, le jeu est très serré entre les deux parties et l’on s’attend à des débats houleux et controversés entre les partisans de la primauté de la souveraineté nationale et ceux de la libre initiative et de la loi naturelle déterminée par des forces du marché. D’ailleurs, on voit mal comment par exemple la société internet (Internet Society), IETF (un groupe de travail chargé de l’ingénierie), ICANN (une institution privée installée en Californie et ayant un statut fédéral, chargée entre autres de protéger l’intérêt public de la communauté internet et gérer les questions de sa gouvernance globale) vont répondre à la nouvelle approche affichée dans la déclaration des principes et du plan d’action annoncée lors du Sommet mondial sur la société de l’information tenu en 2003 à Genève et dont la deuxième manche se prépare activement à Tunis en novembre 2005. Une approche qui milite pour un accès équitable, transparent et démocratique au réseau et aux autres technologies de l’information et de la communication.

Qui et comment gouverner ?
En plus des différences stratégiques et politiques liées aux enjeux et à la nature complexe et controversée de la gouvernance de l’Internet, viennent se greffer des questions méthodologiques et pratiques. Don MacLean, expert en TIC et consultant installé au Canada, s’interroge sur la définition même des deux concepts clés : Internet et gouvernance. Déjà, le terme gouvernance est l’objet de débats, est-ce un travail de coordination, de management ou d’autorité ? Quelle est cette autorité, quelles sont ses attributions ? L’auteur évoque aussi la nature et la dimension des structures, le processus de gouvernance, les niveaux de compétence (au plan institutionnel, politique et de la problématique), les services et prestations, l’accessibilité, la transparence et l’équité, etc. La réflexion de Maclean porte également sur l’apport des TIC dans la société de l’information et du savoir et où l’Internet demeure une force motrice. En somme, la gouvernance de l’Internet est devenue une affaire sérieuse et globale pour être ignorée car il y va de l’avenir même de l’humanité.

Par Laïd Zaghlami, La Tribune