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Le Medef, la Coface et le marché algérien

mercredi 16 mars 2005, par nassim

Dans son bureau sophistiqué au siège du Groupe Suez à Paris, Yves Thibault de Silguey, le « Monsieur Algérie » du MEDEF, évite de s’en prendre au ministre algérien des Finances après la visite électrique qu’ont effectuée 120 patrons français, à Alger.

Avec le Groupe hôtelier Accor et le pacte conclu avec le Groupe algérien Mehri et la perspective d’un contrat entre l’Algérienne des Eaux (ADE) et le Groupe Suez pour améliorer la distribution d’eau dans la capitale, De Silguey est assez optimiste sur le devenir des échanges économiques : « on espère que notre contrat va se concrétiser courant 2005 ce qui sera un signal très fort pour les investisseurs français », expliquera-t-il entre deux bouffées de sa pipe dans le seul bureau d’un patron français où l’on peut encore fumer.

Négociateur expérimenté, un des fondateurs de l’euro et ami personnel de Jacques Chirac, le président du comité algérien du MEDEF et directeur général du Groupe Suez, mise sur l’année 2005 qu’il estime être une « année charnière » dans les relations algéro-françaises. « En 2005, avec Suez et Accor, on espère 3 à 4 gros contrats avec l’Algérie notamment dans l’agro-alimentaire pour donner une nouvelle impulsion, c’est une année décisive ». A Alger, un mois auparavant, le ministre des Finances Abdelatif Benachenhou avait fustigé vertement certains patrons français qui « font dans l’informel » et a critiqué « la hausse de l’euro qui nous fait énormément de mal ». Le patron français ne garde pas rancoeur de cet épisode et estime qu’opérateurs français et Algériens se sont « parlé franchement (...), ces missions d’information en Algérie servent à cela, nouer des contacts, renforcer la confiance et lier des amitiés dans le milieu des affaires ».

Mais le MEDEF qui se trouve dans le giron de l’Elysée qui observe attentivement la pénétration du marché algérien ne cache pas sa déception quant aux faiblesses de l’économie algérienne malgré la surabondance de liquidités : « Il y a la disponibilité financière mais aussi des risques (...) Durant ces quatre dernières années, il y a une évolution mais qui ne va pas assez vite à notre sens ». Ce sont les banques algériennes, sous la tutelle de Benachenhou, qui sont pointées du doigt : « il y a une faiblesse du système bancaire, sur le retour de l’investissement, les droits et le système de régulation juridique. Il y a certes un gros travail législatif de fait mais pas de mesures concrètes sur le terrain », explique De Silguey, presque débonnaire, avant d’ajouter qu’il n’est pas concevable qu’un « chèque puisse mettre 6 mois pour être transféré de banque à banque, par exemple ».

Mais les 43 milliards de dollars de liquidités algériennes en appellent au pragmatisme du patronat français : « l’Algérie est actuellement riche et a beaucoup d’argent mais a un besoin énorme dans le secteur des services et le transfert du savoir-faire ». C’est le cas, notamment, dans le secteur de l’eau qui intéresse, au premier plan, le Groupe Suez, anciennement dirigé par Jérôme Monod, conseiller du Président Chirac qui supervise, depuis l’Elysée, les investissements français. Suez qui a réussi son pari en remodelant le réseau de distribution désuet de la ville de Casablanca mais qui risque de se faire chasser de Bolivie pour des raisons obscures, veut Alger : « nous travaillons sur un contrat de 2 à 5 années avec l’ADE, avec une période probatoire, où l’on va envoyer nos meilleurs experts ». Est-ce que cela suppose que le géant français va avaler l’ADE, appelée à ouvrir son capital ? Le patron français botte en touche : « la privatisation de l’ADE n’est pas mûre ». Et le Risque Algérie ? Le patron du MEDEF international est catégorique : « l’Algérie ne se mesure pas en terme de risques mais en terme d’organisation » qui est faillible.

Sa voix douce et son tailleur beige contrastent avec l’âpreté de la tâche de Mme Sylvia Greisman. C’est elle, dans un immeuble aux vitres teintées du quartier de « La Défense » à Paris, qui mesure le « Risque Algérie » pour le compte de la COFACE. Un organisme qui est devenu, en l’espace d’une décennie, la bête noire des opérateurs économiques algériens et un « frein » aux investissements français en Algérie selon les milieux économiques.

Pourtant, la responsable du risque pays de la COFACE se défend d’être à la tête de l’organisme qui régule les échanges économiques entre les deux pays et souligne que son classement est « mal interprété ». L’Algérie est actuellement notée « B » soit, selon les critères COFACE, comme « un environnement économique et politique incertain et susceptible d’affecter des comportements de paiements souvent médiocres ». Pas très reluisant comme diagnostic même si Mme Greisman rectifie que « l’Algérie est sous-surveillance positive ».

Pour comprendre le classement COFACE, notre interlocutrice qui est soigneusement entourée de deux responsables de la communication du groupe d’assurances, prévient : « nous ne garantissons pas les risques sur l’investissement et les expropriations (dépossessions) mais sur les risques des échanges commerciaux ». La fiche technique de l’Algérie est de ce fait, soumise à une analyse sous 7 aspects.

D’abord, la vulnérabilité de la conjoncture jugée par la COFACE comme étant « excellente avec une perception favorable pour 2005 ». Les taux de croissance stables et la rente pétrolière soutenue ravissent les investisseurs et la COFACE que « la politique budgétaire algérienne a soutenu la croissance ».

Ensuite, le calcul du risque de crise des liquidités en devises, le surendettement extérieur et la vulnérabilité financière de l’Etat. Sur ces trois aspects, la COFACE estime que : « la situation financière s’est considérablement rétablie et est très bonne. Les réserves de change sont très élevés et sont largement supérieurs à la dette extérieure. Sur les simulations de 19 dollars, la conjoncture financière est bonne et risque de le demeurer, vu les cours du pétrole ». En d’autres termes « pas de souci », résume Greisman qui ajoute que : « l’Etat a vu ses recettes fiscales confortées et pratique une politique économique extensible. Les soldes publics sont positifs ».

Enfin, c’est sur les volets de la fragilité du secteur bancaire, les fragilités politiques et institutionnelles et le comportement des paiements des entreprises, que la COFACE est plus critique sur l’évolution économique algérienne : « il n’y a pas suffisamment de clarté et de transparence sur la situation des banques et le poids de leurs créances constituées d’argent consenti aux entreprises publiques. Malgré les réformes, le secteur privé capte très peu de crédits bancaires et n’a pas accès aux financements à l’inverse du secteur public. Cette situation est embarrassante ». Cette vision amère est appuyée, selon la COFACE, par la « faillite de la banque Khalifa qui conforte ce diagnostic sur la faiblesse et la fragilité du secteur bancaire privé en Algérie ».

Quant aux réformes de Bouteflika, la COFACE est partagée entre : « une volonté de bonne gouvernance et du gouvernement à réformer et privatiser » et « le rythme lent de ces réformes ». Un diagnostic qui risque d’être plus pointu lors de la prochaine livraison du rapport de la Banque mondiale et la note « 4 » de l’OCDE accordée à l’Algérie.

Même au niveau politique, le gouvernement français semble en accord avec le diagnostic du MEDEF et de la COFACE qui trustent les analyses économiques sur l’Algérie comme le confie un conseiller du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin : « restent quelques problèmes liés à la protection des investissements, le rapatriement des bénéfices et les garanties à l’investissement »

Avec la présence d’Accor, Michelin, la Société Générale, Castel, Aventis-Synthelabo et bientôt Suez, les investisseurs français misent sur une année 2005 de « transition » en admettant, implicitement, que l’Algérie a le droit de diversifier ses partenaires économiques comme ce fut le cas depuis l’avènement du Président Bouteflika dont « l’amitié » avec Chirac est mise en valeur afin que les Français ne soient pas marginalisés dans les futurs gros contrats en Algérie.

Par Mounir B, quotidien-oran.com