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Le chardonneret d’Algérie très prisé

lundi 11 avril 2005, par nassim

Hier, coûtant quelques dizaines de dinars à peine, le prix du chardonneret d’Algérie a pris son envol ces dernières années pour atteindre des montants astronomiques.

Particulièrement à l’est du pays, région considérée par les ornithologues comme le lieu de nidification privilégié par cette espèce de la famille des passériformes. En 2005, cette industrie connaît un certain fléchissement avec une tendance vers la disparition du chardonneret à tête rouge vif, au dos brunâtre, au croupion blanc, à la couronne, ailes et queue noires. Il niche principalement dans différentes régions d’Afrique du Nord (Est algérien et Ouest tunisien), d’Europe, de Russie et d’Asie jusqu’à la Mongolie.

Cet élégant oiseau à bec court et conique,

Chardonneret

qui lui sert pour ouvrir facilement les graines dont il se nourrit, est un chanteur très proche des pinsons. Qualifié de viril, celui originaire d’Algérie niche notamment entre Annaba, Guelma et Souk Ahras. En captivité, il ne s’accouple en cage qu’avec d’autres types d’oiseau, généralement le canari, pour donner naissance à une espèce appelée dans le jargon des éleveurs le « mulet ». Cet hybride est également très apprécié pour son ramage au mille et une tonalités agréables, fortes et aussi harmonieuses que le chant des légendaires sirènes. Strictement limité à quelques éleveurs occasionnels, le commerce des oiseaux chanteurs et de compagnie a pris de l’ampleur. D’où l’intérêt particulier que lui ont accordé une dizaine d’hommes d’affaires algériens. Plusieurs ont, en effet, investi dans des opérations d’importation de canaris. On en trouve pour tous les goûts et toutes les couleurs, à l’exemple du canari blanc neige, mosaïque, bossu belge, yorkshire, malinois, frisé parisien, lézard, smeth. Il y a également des perroquets et des oiseaux de couleurs comme les mandarins, les diamants ou les colombes. Aux côtés de leurs congénères importés, les chardonnerets et les mulets locaux tout autant que leurs aliments et accessoires représentent une manne financière importante. Elle est évaluée par les économistes à une dizaine de millions de dollars/an. Les aliments tels que les graines du millet, du Niger, de farine et de navet, produits vétérinaires, cages et accessoires font partie du décor planté dans cette activité. Cette dernière est à l’origine de la création de plusieurs centaines de postes de travail. Tant et si bien que bon nombre de vétérinaires s’y sont engouffrés en se spécialisant dans la prise en charge des soins vétérinaires et le suivi de tout ce qui a trait à l’élevage de l’espèce volatile locale ou d’importation.

En nette progression, le marché mobilise et monopolise des moyens financiers et humains. Egalement en croissance, le nombre d’ornithologues en Algérie à l’origine de la création de véhicules aménagés pour le transport dans des conditions idoines des espèces. A l’import comme à l’export, Annaba figure en tête de liste des rares marchés sur le territoire national après Alger et Sétif. Espèce censée être protégée par la loi, le chardonneret forme le marché le plus rentable. Avec son hybride le mulet, sa commercialisation attire un grand nombre de connaisseurs y compris en provenance de France. Pour peu que les autorités locales y pensent, Annaba chef-lieu de wilaya pourrait se transformer en capitale de l’ornithologie avec, par exemple, l’organisation de la journée nationale d’ornithologie. Il faut dire que l’élevage des oiseaux chanteurs et de compagnie a attiré la grande foule cette décennie écoulée. Il s’est transformé en une véritable industrie avec tacitement une bourse et des fluctuations au gré de l’offre et de la demande. De 1000 à 50 000 DA le chardonneret, il y a de quoi intéresser les gros spéculateurs, y compris les grainiers.

En Algérie, cette espèce est sérieusement menacée. Dans certaines régions, elle a presque disparu en raison de son succès en tant qu’oiseau de ramage et de compagnie. Cette menace est traduite par le comportement sauvage qu’adoptent les chasseurs de ce type d’oiseaux. Que ce soit au moyen du filet ou de la glue, la majorité des chasseurs gardent les mâles et tuent les femelles. Les chardonnerets nichent 4 fois/an avec une moyenne de 4 œufs par nichée.

Une espèce menacée
Chaque période est précédée d’une période d’ouverture ou suivie de la fermeture de ramage du mâle. Elle coïncide également avec la tendance à la spéculation des revendeurs et éleveurs. Ces dernières semaines, le grand espace vert du jardin public Stambouli, Annaba, notamment ses annexes (anciennement des boulodromes), s’anime comme jamais. Des centaines de jeunes et moins jeunes y viennent de toutes les régions d’Algérie. Ce « souk el froukha » est le lieu de rendez-vous privilégié des vrais ornithologues et ceux en herbe, des éleveurs, des « multiplicateurs »... Chaque fin de semaine, les uns et les autres se présentent les mains chargées de cages de différentes formes et matières. Pour les oiseaux, en général, et le chardonneret, en particulier, le printemps est la saison où ils chantent l’amour et l’appel à la femelle pour la nidification. C’est en quelque sorte le retour d’un véritable événement dans la vie des citadins.

Nombreux sont les citoyens et visiteurs à avoir vécu durant les précédentes années ce qui s’apparente à un festival de chants et de couleurs chatoyantes créé par les chardonnerets, mulets et canaris. Un festival non officiel car né de rencontres spontanées entre acheteurs, ornithologues, éleveurs et simples curieux qui y évoquent avec passion ces « moments inoubliables », « cette ambiance tellement joyeuse », « ces rencontres sans masques » au contact de ces petites bêtes aux ramages ensorceleurs. On y vient des quatre coins des régions de l’extrême est du pays et même de la capitale. On y écoute les échos qui résonnent des mêmes propos sur les oiseaux chanteurs et de compagnie - du chardonneret au serin, du pinson au perroquet, du mulet au canari et de la perruche à la colombe : convivialité, ambiance, rencontres, échanges..., tout y est dans ce souk qui plante son décor les jeudi et vendredi. « En ce lieux, l’on évoque les compétitions des chants d’hier et celles planifiées pour les lendemains. On parie, on négocie les prix et l’on discute maladie aviaire. C’est un marché important et en même temps un phénomène social auquel les pouvoirs publics, notamment les responsables locaux, ne veulent pas accorder d’importance.

S’ils savaient ce que ce marché, où l’on parle importation et exportation, entraîne comme activité économique, je ne pense pas qu’ils seraient restés insensibles à la possibilité de la création d’une place spécifique à ce type d’activité où se mêlent l’ornithologie et l’ornithomancie », commente Abderazek B., un père de famille passionné de l’élevage du chardonneret. Pour lui comme pour de nombreux éleveurs ou spécialistes du métissage, les rencontres du « souk el froukha » ont donné naissance à de multiples échanges avec d’autres régions du pays. Ils sont issus de toutes les couches sociales. Même les universitaires, magistrats, avocats, hauts fonctionnaires, médecins... viennent en ce lieu pour donner leur avis, écouter des conseils, acheter l’oiseau rare, échanger des idées. « Savez-vous que les oiseaux chanteurs comme le chardonneret, le mulet et le canari voyagent aussi par train et par avion et qu’ils sont entourés d’autant d’attention sinon plus qu’un chien de race ? Il est dommage que chez nous il n’existe pas de clubs ou d’établissements spécialisés dans ce genre d’activité à même de créer des milliers d’emplois », a indiqué Nouar L., un enseignant universitaire.

10 000 euros le chardonneret blanc
Ce dernier mois de mars, « souk el froukha » a retrouvé son ambiance bon enfant pour des rencontres de la spontanéité et des chants harmonieux. Chaque jeudi et vendredi, ces oiseaux s’élèvent dans le ciel nourri de l’enthousiasme de leurs propriétaires. Ils attirent hommes, femmes et enfants de tous âges. « L’élevage des oiseaux est une discipline où n’importe qui, riche ou pauvre, instruit ou analphabète, enfant ou adulte, homme ou femme, peut adhérer. C’est une discipline à la fois individuelle et collective réclamant de la concentration, du doigté et du temps », indique Nourredine, qui a fait de l’ornithologie une passion et un moyen pour vivre. Le contact avec les oiseaux chanteurs ne manque pas de fasciner. Mohamed Tahar, un éleveur, évoque volontiers son expérience personnelle : « Imaginez ce qu’on ressent lorsque au moment où le soleil est à son zénith et que tout le monde somnole sous une brise printanière ou d’été, ou debout chez soi à l’abri du vent d’automne ou de l’hiver, à écouter ce chant agréable qui s’élève comme s’il partait à la conquête du cœur des hommes pour les amener à la paix. » Chanteur impénitent à multiples facettes, le canari est depuis des temps reculés une source fertile d’inspiration. Bon nombre d’ornithologues lui accordent mille et une vertus thérapeutiques.

Les origines de l’élevage de cet oiseau de couleur vert jaunâtre se perdent dans la nuit des temps. Pour Mallem Brahim, de situation sociale modeste, passionné de l’élevage du chardonneret et du mulet, c’est sous la dynastie omeyyade, en Syrie, que cet élevage a été encouragé. L’art et la technique de l’élevage de ce type de volatile ont pénétré l’Espagne et le Midi de la France par le canal des croisades. C’est au Moyen-Age que l’ornithologie a connu son âge d’or, privilège, distraction et moyens de richesses des seigneurs. De messager des cœurs et des esprits, le canari, le chardonneret et le mulet se sont transformés en une industrie florissante. Aujourd’hui, à Annaba, comme partout ailleurs à travers le pays, y compris dans les contrées les plus reculées du Sud, chardonneret, mulet et canari symbolisent principalement un grand engouement. Un art qui fait chaque année un peu plus d’adeptes. Mais les incidences de notre société moderne fortement industrialisée et urbanisée lui ont donné une autre dimension.

Le chardonneret et le canari ont leur « éducateur ». Il revient à cet éducateur d’adapter son oiseau au type de chant qu’il veut lui inculquer. Rien n’indique que c’est une espèce protégée par la loi (elle existe, mais n’est pas appliquée), d’où les risques d’extinction du chardonneret que l’on ne trouve plus à l’est du pays, sa région privilégiée pour nidifier. Il concurrence le leader des canaris le malinois, qui est très sollicité avec son ramage de plus ou moins 120 points. Particulièrement les malinois fichés à l’occasion d’un des nombreux concours officiels de ramage organisés par les associations d’éleveurs, surtout celles de France et de Belgique. En Algérie, l’activité ornithologique n’est toujours pas organisée. Il n’existe aucune association sur l’ensemble du territoire. Cette situation arrange énormément les affaires des importateurs de tout ce qui a trait à cette branche d’activité.

En matière d’exportation, le chardonneret de la région de Souk Ahras est très demandé par les Français et les Belges. L’intérêt de ces derniers pour cette espèce est motivé par les facultés de nidification, leur aisance à assimiler tous les répertoires de ramage et leur virilité dans la fécondation des canaris de race. Ils sont exportés illégalement d’Algérie, le plus souvent dans les bagages à main, pour être cédés contre 300 à 10 000 euros. Surtout le chardonneret blanc, une espèce rarissime, très prisé par les éleveurs et collectionneurs de différents pays d’Europe.

Par Gaidi M.F., elwatan.com