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Le financement du développement et la dette extérieure

jeudi 7 avril 2005, par nassim

Comme la majorité des pays en développement, l’Algérie a appliqué, durant les années soixante-dix, une politique de développement nationale et populiste qui avait pour objectif principal, par le moyen des plans de développement, de transformer l’économie algérienne en y implantant une industrie industrialisante.

Le résultat final recherché était d’impulser une dynamique de développement économique et sociale afin d’accroître les moyens d’accumulation interne.

En revanche, cette industrialisation a été marquée par la formation d’une importante économie étatique qui a développé un mouvement de socialisation marchande étatique. Malheureusement, la formation de cette économie étatique n’a pas été régie par la rationalité du calcul micro-économique. Elle est commandée par la finalité de satisfaction des besoins de base. Ainsi l’Etat s’avance en tant qu’entrepreneur général du développement économique et social.

A l’origine, l’économie algérienne peut être caractérisée comme une économie orientée vers l’investissement durant cette décennie. Or l’investissement a fait appel à des biens d’équipements importés à cause du faible niveau de développement technologique du pays, ce qui a généré des revenus supplémentaires qui ont relancé la demande. La situation précaire de l’agriculture et des industries légères fait que toute demande supplémentaire des ménages se traduit par une demande d’importation de biens de consommation.

En effet, la politique retenue a profité d’une situation favorable des marchés pétroliers et des marchés financiers pour financer les importations par les exportations d’hydrocarbures et par l’endettement extérieur. Autrement dit, le moyen financier initial de ce type de développement était la mobilisation des revenus pétroliers avec le recours par la suite à un endettement extérieur. Cette stratégie de financement est bien exprimée par l’évolution du stock de la dette extérieure qui est passée d’environ un milliard en 1970 à environ 17 milliards en 1980.

La politique économique de cette décennie aura suffi pour révéler que les frais récurrents nécessaires au développement de l’économie et au fonctionnement des secteurs sociaux vont s’avérer beaucoup plus importants que ce que la pression fiscale et parafiscale peut mobiliser comme ressources collectives pour leur financement.

Avec les années quatre-vingt, les options diffèrent : l’industrialisation est freinée, au nom d’une meilleure gestion des investissements déjà réalisés, les grandes sociétés nationales éclatent en entreprises publiques de moindre taille et le taux d’investissement est réduit. Des signes de libéralisation apparaissent, sans grande conséquence sur les fondements du régime économique. De 1980 à 1985, la croissance économique est encore énergique : elle est le résultat du second choc pétrolier qui hisse les recettes d’exportation à des niveaux exceptionnels. Les échanges extérieurs ont connu une situation très favorable entre 1980 et 1985, puisque la balance courante était systématiquement excédentaire. De plus, l’évolution favorable à l’Algérie de la parité du dollar américain a participé dans le désendettement, puisque le stock de la dette extérieure est tombé de 17 milliards en 1980 à 14,9 en 1984.

C’est le choc considérable de 1986 qui aura eu des effets très dommageables sur l’économie, lorsque la situation du marché pétrolier et des marchés financiers internationaux deviendra défavorable. Les effets de ce choc se traduisent par l’accroissement de la dette extérieure du pays qui avait pour but d’assurer le niveau de consommation de la population.

L’Algérie a été prise dans le « cercle vicieux de la dette ». Le problème réel de cette dette a commencé à se poser avec acuité depuis 1988, année durant laquelle l’encours total a repris son ascension : 26,77 milliards de dollars en 1988, 28,37 milliards de dollars en 1990 et 29,48 milliards de dollars en 1994. A ces dates respectives, le service de la dette par rapport aux recettes des exportations de biens et services est de 76,6 %, 66,4 %, et 93,4 %. On peut noter qu’entre 1988 et 1993, l’Algérie a utilisé environ 75 % de la valeur de ses exportations pour payer le service de la dette (même pas la dette). C’est autant de perdu pour l’Algérie pour réorganiser son économie, pour relancer ses investissements, développer sa force de travail, créer de nouveaux emplois...

Après le rééchelonnement et l’application du programme d’ajustement structurel des années quatre-vingt-dix (avec l’augmentation des revenus du pétrole et une bonne gestion de la dette des années 2000), l’encours de la dette extérieure de l’Algérie a bien diminué pour se situer à un niveau de 21,411 milliards de dollars fin 2004 contre 31,22 milliards en 1997. Le service de la dette en % des recettes des exportations s’est également amélioré pour se situer à seulement 12,6% en 2004 contre 17,7% en 2003, 21,68% en 2002, 19,80% en 2000 et 39,05% en 1999. Autrement dit, selon la Banque d’Algérie le service de la dette s’est stabilisé à 4,440 milliards de dollars pour l’année 2004, contre 4,520 milliards en 1994, 5,116 milliards en 1999. Malgré les indications qui expriment bien aujourd’hui la soutenabilité de la dette extérieure, l’on peut remarquer, à travers les chiffres de l’ONS, que l’Algérie a dépensé entre 1994 et 2004 la moyenne de 4 à 5 milliards de dollars chaque année comme service de dette sans payer et en finir avec la dette.

Au total, entre 1980 et 2004, l’économie algérienne a transféré au reste du monde plusieurs milliards de dollars. Un tel effort financier est propre aux économies dynamiques et riches. La seule différence est que les sources dégagées par l’Algérie sont en passif. Elles servent les intérêts étrangers et celles dégagées par les économies riches sont logées en actif, c’est-à-dire qu’elles servent les intérêts nationaux. Le stock de la dette a été payé déjà à plusieurs reprises. Il risque d’être payé à d’autres reprises, si l’alternative ne sera pas mise en oeuvre. En effet, pour mettre fin à cette hémorragie des richesses algériennes, il faut inverser le flux en mettant fin au gaspillage des ressources par leur allocation optimale.

L’organisation et la gestion de l’économie, dans un contexte de mono-exportation lié aux variations des prix, se résument aux formules tendant à infléchir la contrainte extérieure ; cette dernière tenant essentiellement à l’endettement extérieur. C’est sous l’effet de cette contrainte que les adaptations corrélatives à la crise sont intervenues sous le générique de « réformes ». Il faut bien comprendre que même le passage à l’économie de marché ne peut réussir dans une situation de mauvaise gestion de moyens financiers. La résolution du problème de la dette doit être concrètement et durablement insérée dans le programme de développement prenant en compte les facteurs d’avenir que constitue le capital humain du pays.

Il serait illusoire de s’efforcer de mobiliser de nouvelles ressources si, dans le même temps, l’Etat ne s’attache pas, d’une part, à apporter une solution durable et équitable au problème de la dette, d’autre part, à stopper et inverser l’hémorragie fiscale qui empêche de soutenir des politiques économiques et sociales dans les domaines correspondant aux objectifs du millénaire. L’Etat doit pour cela accentuer et repenser les efforts de lutte contre l’évasion fiscale.

Enfin, dans le cadre de l’économie de marché, on parle souvent de l’approche du « moins d’Etat ». Par exemple, « ce moins d’Etat » ne doit surtout pas se réaliser au détriment du pouvoir d’achat, mais il doit être effectué sur le plan de la rationalité de l’utilisation des ressources financières du pays. Il est vrai qu’on ne peut pas parler de l’ajustement des prix de tous les produits, si on met de côté la question de l’ajustement du pouvoir d’achat de la population. L’objectif étant de faire supporter aux usagers une partie des dépenses de l’Etat, en leur donnant la possibilité de le faire : ceci dit, une bonne tarification accompagnée d’un pouvoir d’achat est un instrument de progrès social.

La mobilisation des ressources et leur utilisation efficace est une condition nécessaire, essentielle, de tout processus de développement, de tout processus de transformation sociale : il y a la mobilisation des ressources humaines, à travers le travail des individus, de leur qualification et de leur engagement, la mobilisation des ressources intellectuelles, culturelles et scientifiques, des connaissances et des savoirs, mais aussi et surtout la mobilisation des ressources financières. Cette mobilisation des ressources financières tient en premier lieu à la mobilisation des ressources intérieures publiques ou privées, de tout le pays et de toutes les régions. Elle suppose tout à la fois l’existence de systèmes bancaires et de régimes fiscaux efficaces, mais aussi équitables.

Il n’y a pas de développement sans investissement. Il s’agit de l’investissement dans l’homme (santé, éducation...), dans les infrastructures (distribution d’eau potable et d’énergie, moyens de communication, environnement, habitat) et, bien sûr, dans la production de biens et services. Seulement, l’approche économiste ne retient que les investissements dans la production, puisque c’est surtout ce poste qui produit la croissance économique. C’est vrai, le développement a besoin de croissance ; mais pour permettre à la population de vivre bien, ce qui est le but du développement, les investissements dans l’homme et dans les infrastructures sont indispensables. On constate d’ailleurs que ces investissements ont pour effet de permettre à la croissance de prendre base, même si ce n’est pas leur but premier. Il y a donc une sorte de « double effet ou récompense » de certains investissements sociaux ou d’infrastructure. Néanmoins, comme habituellement, ils ne créent aucun supplément direct de richesse mesurable et partageable, le marché ne s’y intéresse pas : alors c’est à l’Etat, à travers la collectivité locale ou nationale, de les financer, parce qu’il s’agit d’améliorer le bien-être de ses membres qui sont un paramètre important dans l’équation du développement.

Par Riadh Bouriche, quotidien-oran.com

Note : Les chiffres ou les statistiques de la dette extérieure sont tirés des documents suivants :

 Rapport du CNES, La dette extérieure de l’Algérie : dossier documentaire, juillet 1998.

 Rapport du CNES, Préliminaire sur les effets économiques et sociaux du programme d’ajustement structurel, novembre 1998.

 Ahmed Benbitour, L’Algérie au troisième millénaire.

 Site Web de l’Office national des statistiques (ONS).

 Le Quotidien d’Oran du 26 février 2005.