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Le marché algérien des fruits et légumes gangréné par la spéculation

samedi 23 avril 2005, par Stanislas

On a beau accuser la vague de froid et la hausse des prix des carburants d’être derrière l’augmentation des prix des fruits et légumes, mais il semble que la réalité du marché algérien fait déjà ressortir d’autres explications.

Des oranges à 80 dinars, les carottes à 70, le poivron à 150, la pomme de terre à 40, les navets à 120 dinars. La hausse des prix, entamée depuis plus d’un mois et demi ne va pas prendre de sitôt une courbe ascendante. Plusieurs explications ont été fournies jusque-là. La première reste relative au rude hiver que le Nord du pays a connu, le plus froid et le plus enneigé depuis deux décennies au moins. Certaines sources ont évoqué les effets sur la productivité des exploitations agricoles, lesquelles n’ont pu profiter de leurs semailles, ou alors ont du revoir leur ambition en matière de qualité du produit offert.

Selon des sources du monde agricole, la pomme de terre, par exemple, est vendue au mandataire entre 5 et 6 dinars le kilo. En aucun cas, la multiplication de son prix (40 dinars) ne peut s’expliquer par les marges bénéficiaires des différents intervenants de la chaîne de distribution et l’addition des frais de transport et de stockage. D’autant que le froid rend la conservation plus facile et que l’augmentation des carburants n’a concerné que le gasoil et pour 1 dinar seulement.

Auprès de divers agriculteurs, c’est surtout la production qui a subi une réelle baisse, notamment dans les zones à culture maraîchère ou fruitière (Blida, Médéa, Djelfa, Tiaret, Mostaganem, Constantine, Mila, Biskra...). Si la production nationale des fruits est estimée à 12,5 millions de quintaux ces dix dernières années, soit une stabilité générale qui ne concerne pas les agrumes, pour cette catégorie de production, la production nationale, ces cinq dernières années, est passée de 35 millions de quintaux en 1997 à 4,7 m/q en 2001. Ces chiffres émanent du ministère de l’Agriculture qui estiment que "la couverture des besoins de la consommation (pour les fruits seulement, ndlr) est assurée à hauteur de 100 % par la production nationale". Le dernier recensement (RGPA) a donné le chiffre de 1 million d’exploitations agricoles (à 75% privées). Ce chiffre parait si important, mais ne permet pas de situer la productivité, puisque 85% des EAC et EAI sont données en location. Il faut donc chercher ailleurs les raisons de la hausse des prix. Ce n’est pas auprès du secteur de l’agroalimentaire que les clarifications se situent, du moment qu’il est établi que ce segment d’activité est totalement déconnecté du marché national, préférant s’approvisionner de l’extérieur.

C’est ce qui explique la hausse de la facture alimentaire (+1.2 milliards de dollars en 2004), malgré une croissance à deux chiffres (17%) du secteur agricole, au même moment que la filière agricole (entreprises publiques et privées) connaissaient une hausse de 18% du chiffre d’affaires.
Somme toute, c’est sur la distribution qu’il est temps pour les pouvoirs de se pencher sérieusement. Il y a près de deux ans, le ministre de l’Agriculture, Saïd Barkat en visite à Blida, avait accusé à travers des mots à peine voilés les propriétaires des chaînes de froid, créées grâce à l’argent du PNDA, de favoriser la spéculation. Tout porte à croire aujourd’hui, qu’au plan national, les choses n’ont pas du tout changé. Cette déclaration d’un ministre avait été faite sur le constat que les agriculteurs de certaines exploitations ne s’usaient plus à produire, du moment que les mandataires n’exigeaient plus, à leur tour, puisque les surfaces de stockages étaient pleines de réserves. Cette rétention de la marchandise, laquelle entame le cycle des pénuries et des hausses subséquentes, fait que non seulement ce sont les stockeurs qui déterminent les prix, mais ceux-ci cassent totalement l’ancien rapport entre mandataire et agriculteur, établi sur une offre réelle et qui constituait, surtout, une chaîne de solidarité sur plusieurs années en cas de mauvaise récolte.

Ce n’est pas sans mettre le doigt sur la vraie plaie que l’AGEA (Association générale des entrepreneurs algériens) compte remettre au chef de l’Etat un rapport sur le marché et des propositions pour réorganiser la distribution en gros des fruits et légumes. Casser les spéculateurs, améliorer la qualité des produits, constituer des chaînes de froid contrôlées et des réserves pour chaque wilaya, y compris en cas de catastrophe naturelle, bref, soumettre la grande distribution à une sorte de cahier des charges, tels sont les objectifs de cette démarche. Des propositions qui gagneraient à être écoutées...

Par Réda Amarni, lavoixdeloranie.com