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Le textile algérien face à la mondialisation

mardi 15 mars 2005, par Stanislas

Les bilans obtenus, positifs soient-ils ou négatifs, ne sont, en définitive, que le résultat de choix préalablement établis. La règle est transdisciplinaire et transsectorielle. Le secteur du algérien du textile n’échappant en rien à cette logique et il devient apparent qu’au regard de la situation actuelle, cette industrie est pratiquement au stade de la mort clinique. Un traitement de choc s’impose sous peine d’aller à l’enterrement d’un pan entier de l’industrie nationale né pourtant avec des signes de bonne santé.

Les choix « suicidaires » du départ Butin de la victoire sur le colonisateur français, le textile algérien héritera d’une base productive de matière première, notamment le coton.

S’en est suivie depuis 1966 et jusqu’à la fin des années 1970, une politique d’industrialisation à grande échelle qui dotera le pays d’une plate-forme industrielle textile des plus modernes pour son époque. Comble du paradoxe, c’est à cette même époque que la culture du coton est stoppée, freinant en plein élan l’intégration verticale qui commençait à se dessiner. En effet, des installations de filage et de tissage ont été acquises. Si l’on y ajoute les effets négatifs de la politique du tout-emploi, de l’unique objectif de garantir l’autosuffisance au niveau local, la fermeture des frontières aux produits étrangers, l’absence d’une main-d’œuvre suffisamment formée et qualifiée, le défaut d’observance des paramètres économiques en termes de coûts, de rentabilité et de taux d’utilisation de l’outil de production, ainsi que l’interdiction aux capitaux étrangers d’investir dans notre économie, il est clair que le virage des années 1970 était déjà mal négocié. Le dérapage s’accentuera sur trois décennies pour aboutir à l’hécatombe que d’aucuns constatent aujourd’hui. Pour la comparaison, Marocains et Tunisiens, deux exemples si touchants à notre ego national, ont dès le début des années 1970 consenti d’importants avantages à l’investisseur étranger pour délocaliser leurs industries textiles. Pendant ce temps, l’Algérie s’isolera un peu plus dans son enfermement.

Les aboutissements : une suite logique

Conséquence de ce choix, les investissements directs étrangers (IDE) ne se sont intéressés que très tardivement à notre économie avec ce handicap - logique pour les investisseurs - de ne s’orienter que vers les secteurs à plus forte valeur ajoutée, particulièrement les hydrocarbures. Le textile, la bonneterie et la confection arrivent difficilement à attirer 7% des IDE.
Présentement, le textile « made in Algeria » se fait timide. L’obsolescence de l’outil productif est sidérante et des complexes entiers rouillent faute de relance, sinon de repreneurs.

Au meilleur des scores, le textile n’atteint pas les 2% dans la formation du PIB (1,4% en 2000), moins de 1% des investissements dans l’industrie y sont absorbés et seulement 4% des revenus des ménages vont au secteur de la confection. Pour la confection-bonneterie, la production a été divisée par 2,5 sur 10 ans. La production textile-confection s’est effondrée jusqu’à atteindre le quart de sa valeur des années 1990. L’ouverture du marché à la libre initiative n’a pas eu l’effet attendu. En dépit d’une forte croissance du secteur privé, la compensation de la déficience de l’opérateur public ne s’est que faiblement opérée. Alors que sur les exportations, elles ont quasiment été rendues insignifiantes. Entre 1998 et 2003, révèle une étude d’un bureau américain commandée par le ministère de l’Industrie, les exportations ont été divisées par 20. De 42,2 millions de dollars en 1996, elles ont reculé à 2 millions de dollars en 2001. Les raisons de cette chute sont listées tant sur le plan interne qu’externe.
Au niveau national, une succession de restructurations stériles a abouti à des dépenses colossales avec des résultats médiocres. Pour la seule décennie 1990, le soutien du Trésor public s’est chiffré à plus de 88 milliards de DA.

De fusion en restructuration, jusqu’à la dissolution, beaucoup d’argent a été inutilement gaspillé. 1975 : un groupe industriel naît de la fusion entre Sonitex et Sonac. 1983 : restructuration organique de Sonitex en plusieurs entreprises par filières technologiques. 1985 : restructuration de Cotitex en quatre entreprises régionales.1987 : restructuration d’Elatex. 1988 : apparition des fonds de participation industries. 1996 : le fonds disparaissait laissant place à un holding dénommé Holdman. 1999 : nouvelle restructuration du secteur du textile sous l’égide du Holdman. L’autonomie est octroyée pour les unités de production de SPA. Trois groupes industriels voient le jour. Il s’agit de Texmaco (Textile Manufacturing Company), WSF et CH Fashion. En 2000 : dissolution du Holdman qui sera remplacé par Agroman. 2001 : dissolution d’Agroman et constitution de deux groupes industriels : Texmaco et CH. Le couronnement de toute ce processus infertile sera le plan triennal de redressement du textile devant s’achever en 2005. En l’absence d’une base statistique permettant d’analyser l’apport de ce plan, les spécialistes se montrent plutôt sceptiques quant à son efficience.

La dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour l’approvisionnement en matières premières li’te la production algérienne à la transformation. Quand on sait que 50 à 60% du prix de revient d’un article est conditionné à l’intrant, il est évident que son importation en devises ôte un avantage concurrentiel déterminant, alors que le gouffre technologique élimine toute capacité de compétitivité. De par le monde, les usines ont introduit depuis deux décennies l’électronique, alors qu’en Algérie, la plate-forme existante est dominée par la machine à coudre.

Le phénomène de l’informel, que ce soit par la sous-déclaration des opérateurs privés ou l’importation de la valise, participe à cette crise. L’absence d’une consommation locale suffisamment créatrice d’une économie d’échelle, ajoutée à l’obsolescence des modes de distribution, fléchit la volonté des investisseurs. La situation est d’autant plus difficile avec la carence des grandes marques sur l’Algérie. Or, dans les pays qui ont connu une accélération dans le développement de l’industrie textile, les grands noms mondiaux ont été les stimulateurs à travers des investissements directs, le transfert de savoir-faire, la mise à niveau technologique et la garantie de carnets de commandes pleins sur plusieurs années.
L’évolution de l’environnement international, notamment depuis l’adhésion de la Chine à l’OMC, a totalement modifié la donne. L’arrivée à terme, le 1er janvier dernier, de l’accord multifibre (AMF) corse la situation. Les Chinois étendent leur hégémonie sur le marché international.
Quasiment 45 000 emplois sont menacés de disparition à présent et les entités publiques ne cessent d’engloutir des milliards de dinars. Aujourd’hui, même avec de généreux repreneurs, l’Etat ose à peine espérer se débarrasser d’un aussi lourd fardeau socio-économique.

Le secteur est récupérable pour 1,5 milliard d’euros

Au deuxième semestre 2003, le ministère de l’Industrie recevait le rapport d’une étude consacrée au diagnostic des filières algériennes dans leur ensemble dont le textile. Malgré un constat peu reluisant, l’étude du bureau Booz Allen and Hamilton dégageait des pistes susceptibles d’être explorées pour que le textile algérien file du bon coton.
La condition est simple : consentir les investissements nécessaires dans les plus brefs délais. « L’industrie textile-confection en Algérie aurait besoin de 1,5 milliard d’euros (120 milliards de DA) d’investissements cumulés d’ici 2010 et pourrait ainsi créer au moins 42 000 nouveaux emplois sans compter la préservation des 45 000 postes actuels », conclut le rapport.

L’investissement annuel, public et privé confondus, ne dépasse pas les 30 millions d’euros, très loin des 320 millions d’euros indispensables en 2010. Profiter de la tendance de la délocalisation des firmes européennes et américaines pourrait se révéler déterminant. L’Algérie, pays méditerranéen géostratégique, est en mesure de faire valoir ses atouts même face à l’Empire du Milieu. La proximité des marchés d’écoulement est l’un de ces leviers. Au moment où une commande met pratiquement trois à quatre semaines en bateau à partir des embarcadères chinois, il est possible pour notre pays de livrer ses clients en moins de 48 heures, voire 24. La concentration de la consommation sur le Bassin méditerranéen joue également un rôle important, en ce sens qu’il est possible de parvenir à des économies d’échelle par la mise en pratique d’accords bilatéraux et multilatéraux. Deux autres avantages concurrentiels sont entre les mains des Algériens. Il s’agit de l’énergie et de la formation. Pour le premier, les prix sont un stimulant dont aucun des pays leaders du textile ne dispose. La formation est tout autant indispensable. Les centres de formation professionnelle et les universités peuvent être réorientées vers des formations plus adaptées. Il ne s’agit pas seulement de former des couturières et modélistes, mais aussi des ingénieurs, des managers, des marketers, etc. La promotion des échanges dans la sous-région (voir encadré) donneront un élan supplémentaire à cette industrie.

Avec un effort soutenu, il est possible de passer, selon cette même étude, à un produit de l’industrie textile-confection de 5,4 milliards d’euros à horizon 2010. Cette évolution est tributaire d’une réorientation de la branche vers l’exportation. Au niveau régional, le Maroc et la Tunisie ont exporté chacun pour 2,5 milliards d’euros dans la filière textile-habillement, le marché européen absorbant 90% des exportations des deux pays actuellement. Pour peu que les efforts soient fédérés, notre pays dispose des attributs pour renverser la vapeur et, pourquoi pas, commencer enfin à tisser un fil autrement plus solide.
M. Zentar

Le bilan des échanges intramaghrébins

Le Maroc et la Tunisie exportateurs d’environ 2,5 milliards d’euros de produits textiles ne sont que faiblement présents sur le marché algérien. En termes de parts de marché, ces deux nations représentent respectivement 0,9% et 0,8% des importations de textile de l’Algérie, soit seulement 0,3% des exportations globales marocaines de textile et 0,1% de celles de la Tunisie, tout en sachant que plus de 90% de la production de ces deux pays voisins sont absorbés par le marché européen.
L’Algérie effectue ses achats de textile auprès de la Turquie, de la Chine et de l’Espagne essentiellement.

M. Z. www.lanouvellerepupblique.com